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La boussole du capitaine - Janvier 2016 bis
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La boussole du capitaine - Janvier 2016 bis

Collectionner, entasser, amasser : des termes qui passé un certain seuil deviennent très vite synonymes, dans l’univers des acheteurs compulsifs de livres.
 
Il n’y a pas très longtemps, je lisais avec un sourire goguenard un article clamant « Que faire avec les 30 000 livres d’Alberto Manguel ? La bibliothèque, classée selon une logique propre à l’auteur, est une espèce en voie de disparition ». C’était dans Le Devoir et la journaliste semblait penser que 30 000 houlà là là mais dite donc c’est beaucoup ça. Et de citer la personne chargée d’en établir le catalogue : « La bibliothèque d’Alberto Manguel, c’est plus qu’une bibliothèque, dit Jillian Tomm, spécialiste des sciences de l’information de l’Université McGill. C’est un peu comme une maison. C’est comme si sa bibliothèque contenait toute sa personne. » Oui… Mais n’est-ce pas justement le cas de toute bibliothèque un tant soit peu personnelle ? J’entends bien que ce papier naïf ne cherchait qu’à faire la promotion de cet écrivain, pilier robuste de la culture dominante et qui venait alors de diriger une grande exposition. Ce qui m’a fait sourire c’est l’espèce d’arrogance intellectuelle qui consiste à croire qu’une telle bibliothèque serait vraiment exceptionnelle. J’avoue, ça m’a fait rire : je venais justement de rendre visite dans son Béarn au grand collectionneur Francis Saint-Martin. Et il a 175 000 volumes, le monsieur, alors 30 000 livres, comment dire… ? C’est bien, hein ? Bel effort mais peut mieux faire.
 
 
175 000 volumes bien sûr, c’est certainement un record. Mais je peux citer aisément plusieurs personnes ayant plus de livres qu’Alberto Manguel et qui en font moins des caisses dans tous les médias. Je me suis laissé dire que la collection Debaque-Luce, dans le Nord de la France, dépasse allégrement les 35 000 volumes. Une collection dans laquelle j’ai plusieurs fois pioché une précieuse iconographie (par exemple pour Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux), car ce type de collections regroupe des ouvrages bien loin du « mainstream » de la culture officielle : foin des grands écrivains et des grands penseurs, ce que l’on y trouve est finalement bien plus rare et bien plus précieux, c’est l’univers infini de la littérature populaire et de la bande dessinée. Autant de domaines en général négligés, méprisés, et dont des passionnés sauvegardent toute la richesse dans leur bibliothèque privée.
 
Pour ma part j’estime n’être qu’un petit joueur, avec mes 5000 romans (plus 500 BD, plus les essais, plus les beaux livres, plus l’enfantina…), mais en tant que passionné et éditeur de littératures de genre, ces grandes collections me fascinent. Et quand vous apprenez qu’une petite librairie indépendante ne propose généralement qu’entre 5000 et 10 000 titres, tout comme une petite bibliothèque de prêt, ça me laisse un peu songeur. Visiter l’extraordinaire entrepôt de Francis Saint-Martin m’a soulevé d’enthousiasme et c’est ce type d’expériences exceptionnelles qu’un nouveau site veut partager sur le web : Farenheit est son nom (http://fahrenheit.lu/), un site d’entretiens avec de grands « amasseurs » de littérature populaire. Pour citer le blog de Laurent Queyssi : « Il s’agit d’aller visiter des amoureux de livres pour les faire parler de leur passion. C’est aussi l’occasion de faire de beaux clichés de collections étonnantes ou hors du commun, de bibliothèques démentes ou atypiques. » Le sous-titre dit déjà tout : « Derrière la bibliothèque… Portraits d’amoureux des livres ». Un amour que Laurent Queyssi aux textes et Ludovic Lamarque à la photographie souhaitent nous faire découvrir, et c’est réjouissant, rien moins que fascinant me semble-t-il.
 
André-François Ruaud 
 
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