- le  
La boussole du capitaine - mai 2015
Commenter

La boussole du capitaine - mai 2015

Cette fois, c’est plutôt l’éditeur qui va s’exprimer, car j’aimerais parler de livres au format de poche. Quasiment disparu outre-Manche, de plus en plus remplacé même outre-Atlantique par des moyens formats, le poche demeure un format auquel je suis très attaché, et au premier plan en tant que lecteur. Je trouve quelque chose de très satisfaisant dans ces petits livres très compacts, généralement légers, tenant dans la main. Et puis bien sûr, les littératures de l’imaginaire ont toujours eu un rapport très fort, très privilégié, avec ce format de poche : il faut le savoir, beaucoup de l’identité de la fantasy et de la science-fiction s’est forgée directement dans des collections de poche.
 
Songez seulement à la fondation-même de la fantasy en tant que genre par le travail des « Ballantine Adult Fantasy » de Lin Carter, à partir de 1969 : c’est dans cette collection, et par le titre que lui avait choisi Carter, que la fantasy a acquise le statut de genre littérature distinct des autres. Ou bien encore, pensez à l’essor d’une image réellement adulte et mature acquise par la science-fiction grâce au travail conjoint du graphiste Richard M. Powers et de l’éditeur Ian Ballantine, chez Ballantine Books dans les années 1950-60 ; ou à l’arrivée de la révolution cyberpunk au sein des « Ace Science Fiction Specials » de Terry Carr… Sans parler de l’étrange et superbe collection qu’était les « Ace Double », ces petits formats tête-bêche blanc et bleu qui publièrent tant de novellas importante pour la science-fiction américaine. Et en France, que l’on pense à la fabuleuse série des « Grande Anthologie de la Science-Fiction », au Livre de Poche ; à l’introduction au départ sans étiquette (c’était osé) de la science-fiction par Jacques Sadoul au sein des J’ai Lu ; de la longue et belle histoire des « Présence du Futur » chez Denoël ; ou bien encore des « Pocket Terreur » dirigés par Patrice Duvic et David Camus… Sans parler de l’arrivée de toute une jeune école de fantasy française grâce aux formats de poche des débuts des éditions Mnémos…
 
En tant qu’éditeur, pourtant, je n’avais jamais réellement osé rêver publier du poche. Ma maison, les Moutons électriques, avait débuté par un moyen format dont la mise en page et la gamme de prix était très proches du poche — trop proches, en fait, car notre rentabilité s’était avérée fort médiocre. Et c’est ainsi que courant 2008, nous restructurâmes notre activité éditoriale et qu’il fallut dire au revoir aux petits formats. Avec malgré tout comme un regret… Et puis 4 ans plus tard, deux collègues me proposèrent de s’associer avec eux (les éditions Mnémos et ActuSF), et naquit un collectif d’éditeurs, les Indés de l’imaginaire. Et c’est parce que le poche est si important dans notre culture de genre, parce qu’il représente tout à la fois un dynamisme, une créativité et la possibilité d’un véritable fonds, qu’un jour de la fin 2013 nos trois maisons s’organisèrent pour créer « Hélios ». Une nouvelle collection de poche dédiée aux littératures de l’imaginaire — pas une entreprise banale, de nos jours, et ce d’autant moins qu’il est quasiment historique qu’une telle collection soit suggérée par un diffuseur (car c’est la direction de chez Harmonia Mundi qui nous en souffla l’idée, sur la base des « Hélios » blancs déjà réalisés par Mnémos seuls), et qu’elle soit gérée par trois éditeurs. En fait, dans l’histoire de l’édition française, il n’y a sans doute que deux autres exemples d’une telle entreprise conjointe : la collection « Le Rayon Fantastique », autrefois coéditée par Hachette et Gallimard (en science-fiction, donc !) ; et les poches classiques Garnier-Flammarion. Quant à de telles aventures collectives, de nos jours, je n’en vois guère comme autre exemple que l’éditeur de bande dessine Olivius, cofondé par L’Olivier et Cornélius.
 
Ainsi, depuis notre premier titre en novembre 2013, avons-nous construit un catalogue, non seulement en reprenant en poche certains de nos anciens titres les plus porteurs, mais aussi en rachetant des droits à d’autres éditeurs, en sélectionnant quelques inédits dont le format court convenait au poche, en proposant certains auteurs majeurs (Dick, Simmons, Martin, Lovecraft ou Jaworski, avouons que nous ne sommes tout de même pas peu fiers d’aligner de tels noms), en cultivant quelques écrivains (Dominique Douay et Roland C. Wagner, déjà), enfin bref, en faisant un véritable travail d’éditeur, et un véritable travail de poche. Et il s’agit non seulement d’une belle aventure éditoriale, mais d’une jolie satisfaction personnelle, je dois bien le dire : par exemple, je rêvais depuis toujours d’être le mec qui rééditerait L’Impasse-temps de Dominique Douay ! Et lors de la création des Moutons électriques, je me souviens qu’avec Michel Pagel, l’un de mes associés, nous avions relu une bonne partie de Douay, dans l’espoir de pouvoir les rééditer — las, à l’époque ses éditeurs d’origine bloquaient son fonds en en conservant une poignée en disponibilité, mais aujourd’hui c’est enfin devenu possible, et Dominique a même décidé de retravailler chacun de ses anciens romans, afin d’en livrer une version « définitive », que demander de plus ? Je viens ainsi de sortir son chef-d’œuvre, La Vie comme une course de chars à voile, par exemple, et vous n’imaginez pas le plaisir que j’en ai. Cette collection « Hélios », c’est une véritable machine à démultiplier les belles occasions de publication. Un autre exemple, j’avais regretté, en tant que fan, qu’un inédit de Jacques Boireau, écrivain presque inconnu mais si incroyablement talentueux, sorte posthumément chez un micro-éditeur. Eh bien qu’à cela ne tienne : j’ai racheté les droits poche à Armada, et je le ressors en « Hélios » à l’automne.
 
 
Et puis, ça bouillonne pas mal, dans nos cerveaux d’éditeurs passionnés. Les littératures de genre en général étant dans nos « gènes », l’idée a émergé, toujours sur l’amicale suggestion de notre diffuseur, d’également nous ouvrir à toutes les couleurs du noir : le thriller, le roman noir, le roman policier, le roman ésotérique — absolument tout le polar. Parce que là aussi nos avons nos passions, et là également un très beau travail peut être fait, si les libraires nous prêtent vie. Les Moutons électriques en ont toujours publié un peu, du polar, cette évolution nous est donc naturelle — reste à imposer cela dans les rayons déjà surchargés, les libraires harassés sont souvent réticents, ils sont rarement tout de suite preneurs d’une nouvelle initiative, il faut insister, avoir la tête dure, poursuivre, développer… Mais j’y crois, l’outil « Hélios » est tellement beau.
 
 
Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?