Du « storytelling » appliqué aussi bien à la politique qu’à la publicité à la vogue quasi universelle des séries télé, nous vivons dans une société obsédée par les « histoires » : nous voulons que l’on nous raconte, nous voulons du récit. Je n’imagine pas qu’il s’agisse là d’un phénomène nouveau, bien sûr : de même qu’avant les stars de la pop et du ciné, il y avait par exemple les poètes à succès (Lord Byron !) et les étoiles de la danse ; avant notre époque, il y avait déjà les phénomènes des romans-feuilletons, par exemple. L’anecdote des gens se pressant sur le port de New York pour attendre l’arrivée d’un bateau apportant la dernière livraison d’un feuilleton de Dickens pourrait faire pâlir d’envie bien des best-sellers actuels.
Tout cela pour dire que, comme la plupart de mes concitoyens, je suis « accro » aux histoires. Et me mouvant dans les littératures de genre, je suis peu sensible en revanche au minimalisme et au politiquement correct de la littérature pour vieilles dames que défendent tant de librairies fronçant du nez lorsque l’on ose évoquer fantasy ou science-fiction… Mais c’est là encore un autre débat, celui de la « culture geek », qui est devenue phénomène global, et de ce qu’Ursula Le Guin qualifiait récemment de « littérature dominante ».
« Accro » aux récits, je veux que l’on me raconte des histoires, et tous les jours, tous les matins, tous les soirs, dans mes lectures personnelles comme dans la production que je m’efforce de faire émerger au sein de ma propre maison d’édition, ce qui me motive, ce qui me propulse, ce qui me met en appétit comme ce qui me nourrit, ce sont les « histoires ». Et quoique d’aucuns estiment certainement que je ne lis et ne publie que des « sornettes » (comme Malicorne disait en chanter), cela ne m’empêche pas dans un même mouvement de m’interroger sur les genres, leur construction, leur évolution, leurs formes diverses (car tout de même, du feuilleton populaire à la « spéculative fiction », il y a tout un monde, ou plusieurs), leurs forces… et leurs limites, bien sûr.
Ces dernières semaines, par exemple, j’ai un peu pioché dans les romans rapportés de Londres à la fin de l’été. Et tout en lisant avec plaisir, je me suis surpris à m’interroger vaguement sur la frontière toujours plus perméable entre ce que les marketeux nomment désormais le « Young Adult » et les littératures de genre plus « adultes » ; sur la pertinence de certains outils narratifs ; et sur les cosmétiques différences entre space opera et fantasy, et leur appartenance en réalité à la même famille du roman d’aventures.
Étant fan de Londres et de fantasy urbaine, j’étais allé à la convention mondiale assister à une table ronde sur… la fantasy urbaine de Londres. Un des auteurs présents, Tom Pollock, m’ayant séduit par son charme juvénile et son bagout enthousiaste (ou l’inverse), je m’étais donc fait dédicacer les deux premiers volumes de sa trilogie « Skycraper Throne », The City’s Son et The Glass Republic. J’ai lu le premier à Londres, dans un appartement à la température chutant lentement tandis que la grisaille envahissait le ciel, puis commencé le deuxième en rentrant. Et s’il est indéniable que se trouve à l’œuvre dans ces deux romans une imagerie urbaine très poétique et plutôt originale, dépassant encore en délire magico-anthropomorphe les superbes romans de Kate Griffin, je suis malgré resté un peu sur ma faim — jusqu’à ce que je réalise qu’en fait, il ne s’agit pas réellement de romans pour adultes. Je ne sais dans quel rayon la maison Jo Fletcher Books (un « imprint » créé par une excellente directrice littéraire) commercialise les Tom Pollock, mais, pour moi, il s’agit de « Young Adult » : protagonistes jeunes, intrigue linéaire, enchaînement serré des péripéties, et le vieux monsieur que je suis n’y trouve finalement pas totalement son compte. Pourtant, j’ai toujours lu de la littérature jeunesse, mais le fait que les héros de la SF/fantasy soient de plus en plus jeunots et les récits de plus en plus simples, finalement calqués sur la narration d’une série télé (je ne vois guère de différence narrative frappante entre Tom Pollock et les premiers épisodes de la nouvelle série Flash, par exemple)… Eh bien, sans doute est-ce un effet de mon âge, mais je trouve que cela manque un tantinet de profondeur, de psychologie, de maturité — oh, pas grand-chose, je ne m’attends pas à chaque roman de littératures de genre que l’auteur ait le talent d’un Dominique Douay ou d’un Graham Joyce pour camper des personnages « vrais », immédiatement « épais » et vivants. Mais tout de même, j’ai la sensation de lire de plus en plus d’œuvres un peu trop superficielles, où l’on s’agite sans que je me sente assez concerné.
Tout cela pour dire que, comme la plupart de mes concitoyens, je suis « accro » aux histoires. Et me mouvant dans les littératures de genre, je suis peu sensible en revanche au minimalisme et au politiquement correct de la littérature pour vieilles dames que défendent tant de librairies fronçant du nez lorsque l’on ose évoquer fantasy ou science-fiction… Mais c’est là encore un autre débat, celui de la « culture geek », qui est devenue phénomène global, et de ce qu’Ursula Le Guin qualifiait récemment de « littérature dominante ».
« Accro » aux récits, je veux que l’on me raconte des histoires, et tous les jours, tous les matins, tous les soirs, dans mes lectures personnelles comme dans la production que je m’efforce de faire émerger au sein de ma propre maison d’édition, ce qui me motive, ce qui me propulse, ce qui me met en appétit comme ce qui me nourrit, ce sont les « histoires ». Et quoique d’aucuns estiment certainement que je ne lis et ne publie que des « sornettes » (comme Malicorne disait en chanter), cela ne m’empêche pas dans un même mouvement de m’interroger sur les genres, leur construction, leur évolution, leurs formes diverses (car tout de même, du feuilleton populaire à la « spéculative fiction », il y a tout un monde, ou plusieurs), leurs forces… et leurs limites, bien sûr.
Ces dernières semaines, par exemple, j’ai un peu pioché dans les romans rapportés de Londres à la fin de l’été. Et tout en lisant avec plaisir, je me suis surpris à m’interroger vaguement sur la frontière toujours plus perméable entre ce que les marketeux nomment désormais le « Young Adult » et les littératures de genre plus « adultes » ; sur la pertinence de certains outils narratifs ; et sur les cosmétiques différences entre space opera et fantasy, et leur appartenance en réalité à la même famille du roman d’aventures.
Étant fan de Londres et de fantasy urbaine, j’étais allé à la convention mondiale assister à une table ronde sur… la fantasy urbaine de Londres. Un des auteurs présents, Tom Pollock, m’ayant séduit par son charme juvénile et son bagout enthousiaste (ou l’inverse), je m’étais donc fait dédicacer les deux premiers volumes de sa trilogie « Skycraper Throne », The City’s Son et The Glass Republic. J’ai lu le premier à Londres, dans un appartement à la température chutant lentement tandis que la grisaille envahissait le ciel, puis commencé le deuxième en rentrant. Et s’il est indéniable que se trouve à l’œuvre dans ces deux romans une imagerie urbaine très poétique et plutôt originale, dépassant encore en délire magico-anthropomorphe les superbes romans de Kate Griffin, je suis malgré resté un peu sur ma faim — jusqu’à ce que je réalise qu’en fait, il ne s’agit pas réellement de romans pour adultes. Je ne sais dans quel rayon la maison Jo Fletcher Books (un « imprint » créé par une excellente directrice littéraire) commercialise les Tom Pollock, mais, pour moi, il s’agit de « Young Adult » : protagonistes jeunes, intrigue linéaire, enchaînement serré des péripéties, et le vieux monsieur que je suis n’y trouve finalement pas totalement son compte. Pourtant, j’ai toujours lu de la littérature jeunesse, mais le fait que les héros de la SF/fantasy soient de plus en plus jeunots et les récits de plus en plus simples, finalement calqués sur la narration d’une série télé (je ne vois guère de différence narrative frappante entre Tom Pollock et les premiers épisodes de la nouvelle série Flash, par exemple)… Eh bien, sans doute est-ce un effet de mon âge, mais je trouve que cela manque un tantinet de profondeur, de psychologie, de maturité — oh, pas grand-chose, je ne m’attends pas à chaque roman de littératures de genre que l’auteur ait le talent d’un Dominique Douay ou d’un Graham Joyce pour camper des personnages « vrais », immédiatement « épais » et vivants. Mais tout de même, j’ai la sensation de lire de plus en plus d’œuvres un peu trop superficielles, où l’on s’agite sans que je me sente assez concerné.

Ma lecture suivante me donna la même sensation de « creux », de gentille agitation plutôt vaine : Seven Wonders du Néo-zélandais Adam Christopher. J’avais déjà lu, avec grand plaisir, son premier roman : Empire State. Il s’agissait d’un intrigant roman noir rétro-futuriste, dans un New York virtuel et précaire, l’esthétique était assez neuve, l’histoire prenante. Dans Seven Wonders, Adam Christopher s’est attaqué au mythe des super-héros, je me disais qu’il y avait là de quoi lire quelque chose d’amusant et de vif, mais… qu’est-ce qu’un roman peut apporter à cette thématique que des milliers de comic books n’apportent pas déjà, depuis si longtemps ? Qu’est-ce qu’un roman de super-héros peut faire de mieux qu’une bande dessinée de super-héros ? Réponse : pas grand-chose, ma foi. Le roman de Christopher se lit comme le développement en prose du type même des longues sagas de chez DC et Marvel. Ni plus, ni moins, et avec les mêmes travers — j’avoue que la fin en « apothéose » m’a laissé un peu dubitatif, je commençais déjà à être lassé de cette succession frénétique de retournements et de coups de théâtre… Pour moi, et il ne s’agit là que de mon point de vue subjectif, de telles structures narratives sont fort plaisantes en comic book, avec la distraction supplémentaire du dessin, mais ne semblent pas très pertinentes dans la forme roman.

Tant qu’à faire le « fanboy », je m’étais également fait dédicacer un Paul McAuley récent, Evening’s Empires. Je suis amateur de space opera, comme l’aura démontré le gros ouvrage que j’ai consacré au genre il y a quelques années, mais il y avait longtemps que je n’en avais pas lu. Longtemps aussi que je n’avais pas lu Paul McAuley, n’ayant pas trop suivi sa carrière. C’est donc avec plaisir que j’ai retrouvé la prose élégante, parfaitement stylée, de cet auteur anglais. Clairement, Evening’s Empires (quel beau titre poétique) n’a pas prétention à être autre chose qu’un bon roman d’aventures dans l’espace — quelques petits clins d’œil çà et là au passé du genre (par exemple une planète nommée Trantor), ne laisse guère de doute quant au caractère jubilatoire d’une telle œuvre. La maturité de l’auteur lui permet cependant de conférer une certaine épaisseur, une présence, à ses personnages. Le décor, lui, est qualifié de « hard SF » en couverture. Je n’ai jamais été bien sûr de ce que l’on nomme ainsi (les français disent « hard science »). Disons qu’il s’agit d’un space opera qui respecte apparemment les données scientifiques les plus récentes et spécule dans un cadre scientifiquement solide, sans doute assez documenté, plutôt que de faire rugir des réacteurs dans le noir de l’espace. Pour autant, me suis-je souvent demandé, en quoi ce roman diffère-t-il d’un tome de fantasy ? Il y a un jeune homme orphelin, des vieux sages, un baroudeur, des escrocs, des tueurs genre ninja, des auberges à la faune louche, des souks aux marchandises étranges, des courses-poursuites, d’anciens royaumes, une grande quête… Paul McAuley prend plaisir à évoquer des post-humains insectoïdes (j’ai songé au peuple fourmi chez Thomas Burnett Swann), des hommes ailés, des jardins de plantes adaptées au vide… mais en dépit de tout son technobabble, il m’a bien semblé qu’il écrivait un roman de fantasy. Ce qui n’est pas un mal, hein ? McAuley est un écrivain intelligent et j’ai pris grand plaisir à cette lecture. Simplement, la pérennité des structures du roman d’aventures et le peu de distance objective entre fantasy et space opera amusent le vieux fan que je suis.
André-François Ruaud