Robert Charles Wilson est né en Californie mais vit au Canada, à Toronto. Consacré par Spin et sa suite Axis, son talent n’est plus à démontrer.
La cabane de l’aiguilleur est son premier roman, paru en langue originale en 1986.
Une jeune fille mystérieuse
L’Os, comme le surnomment Deacon et Bill, ses compagnons de voyage, en raison de sa maigreur extrême, sa grande taille et son allure étrange et dégingandée, ne se rappelle pas avoir été autre chose qu’un vagabond. Il erre de ville en ville, empruntant clandestinement les trains, arpentant la voie ferrée, se faisant chasser par la population mécontente ou obtenant parfois le gîte et le couvert en échange de travaux de ferme. Travis Fisher, quant à lui, suite au décès de sa mère, débarque en plein été à Haute Montagne, municipalité desservie par la voie ferrée, pour vivre chez sa tante et son oncle, Liza et Creath Burack. Cette petite bourgade tranquille et conservatrice, qui n’a pourtant pas été épargnée par la Grande Dépression, ne tolère pas vraiment les étrangers et les comportements extravagants. Travis obtient un poste à la fabrique de glace tenue par son oncle, mais ce dernier ne l’aime pas et le lui fait bien ressentir. Le jeune homme de dix-neuf ans rencontre alors Nancy Wilcox, dont la pieuse mère accepte mal le comportement indépendant, jugé impur en ces années 1930. Les deux jeunes gens tombent amoureux, mais Travis se sent étrangement attiré et obsédé par la mystérieuse Anna Blaise, hébergée par les Burack, qui tient lieu de bonne à tout faire et à laquelle Travis n’a pas le droit de parler. Qui est cette jeune fille, comment est-elle arrivée à Haute Montagne, pourquoi demeure-t-elle cachée aux yeux du reste des habitants ? Nancy et Travis vont tenter de découvrir son secret…
Une petite bourgade américaine des années 1930
Avant toute chose, La Cabane de l’aiguilleur nous transporte dans une époque et une ambiance très particulières. L’atmosphère pesante de cette petite ville conservatrice des Etats-Unis, embourbée dans un déclin et un avenir peu chantant, nous frappe dès les premiers pas de Travis dans les rues poussiéreuses de Haute Montagne. La crise de 1929 est passée par là, étranglant le futur d’un village qui aurait pu devenir une ville respectable, et qui se contente à présent de vivoter.
On pense immédiatement aux décors et personnages des Raisins de la colère de John Steinbeck. Des vagabonds empruntant les trains qui passent sur les chemins de fer, en perpétuel mouvement, à la recherche de nourriture et d’un lieu pour dormir. Le manque de travail, les fermetures, la méfiance des habitants envers toute personne extérieure… le tableau est sensiblement le même, bien que Haute Montagne, relativement préservée de par son isolement, ne soit qu’un écho lointain de la grande crise qui secoue le pays.
Cette époque désabusée et pauvre nourrit des comportements de repli sur soi et de désolation. L’implacable chaleur de l’été rajoute une couche de poussière étouffante à cette situation. Lancinante, poisseuse, la torpeur envahit les habitants, couplée à une violence contenue. La défiance rôde partout, il faut montrer patte blanche. Dans cette petite ville, tout le monde se connaît et se surveille, provoquant chez Travis et Nancy une sensation d’étouffement. L’oppression de regard des autres ne les laisse pas en paix. Tous deux sont des « inadaptés ». Travis, car sa mère était une prostituée, a toujours été mis au banc de la société. Le père de Nancy est parti lorsqu’elle était enfant, laissant sa mère bigote l’élever. En opposition à cette éducation trop stricte, Nancy a choisi la liberté, ce qui n’est pas accepté pour les femmes à cette époque et en ces lieux, les Femmes baptistes régentant la ville. Nancy lit, pour s’échapper, Ernest Hemingway, Carl Gustav Jung… et rêve de s’enfuir comme son père quelques années plus tôt.
Ce qui est différent nous est étranger
C’est dans ce tableau des moins réjouissants qu’Anna Blaise est apparue un jour pour ne plus repartir. Personne ne sait d’où elle vient, ni pourquoi elle reste chez les Burack, mais tant qu’elle ne sort pas de chez eux elle est tolérée. Sa beauté parfaite, presque inhumaine, obsède Travis. Il se sent comme envoûté par cette créature innocente. Mais est-elle aussi pure qu’il n’y paraît ? Quel rôle va jouter Travis à Haute Montagne ?
La tension monte au fur à et mesure que l’été passe et que l’automne arrive. Aux beaux jours lumineux passés avec Nancy après le travail, à ces premiers émois d’adolescents, succède une période plus sombre. La chasse aux sorcières commence, la haine des villageois pour les « inadaptés », pour ceux qu’ils ne comprennent pas s’exacerbe, se transformant presque en bestialité.
La cabane de l’aiguilleur pose la question de la nature profonde ou cachée des individus, s’interroge sur les apparences et les incompréhensions auxquels font face ceux qui ne rentrent pas dans le moule de la bienséance. On peut également y voir une métaphore du passage à l’âge adulte, à travers l’image de la chrysalide qui devient papillon. Le mythe de la sirène, de la tentatrice, du succube y est également développé. On peut y trouver des similitudes avec les textes de Catherine L. Moore et Lovecraft, cette notion d’univers parallèle avec lequel le nôtre communiquerait.
Une métaphore du passage à l'âge adulte
Texte fantastique sans aucun lien avec l’univers de science-fiction de Spin, ce premier roman de Robert Charles Wilson a la force d’une évocation, la précision d’un tableau. Mais finalement il ne se passe pas grand-chose dans La Cabane de l’aiguilleur. Il s’agit d’un instantané d’une époque, d’un roman d’atmosphère. Bien que ce ne soit pas le meilleur livre de Robert Charles Wilson, on y retrouve déjà sa belle plume et son style. Peut-être plus personnel que d’autres, cet ouvrage très métaphorique reste moins marquant que d’autres de ses textes.