- le  

La Dame des abeilles

Patrick Marcel (Traducteur), Thomas Burnett Swann ( Auteur), Arnoeld Boecklin (Illustrateur de couverture)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/08/2007  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

La Dame des abeilles

Dans ce dernier tome du cycle du Latium, il n’est plus question d’Enée, mais de ses descendants mythiques, Romulus et Remus, juste avant la fondation de Rome. C’est Mellone, l’ex-reine des dryades et amante d’Enée, qui, grâce à sa longévité exceptionnelle, fait le lien entre le débarquement des colons troyens, fondateurs d’Albe la longue et la naissance des rois jumeaux.

Poète et conteur de talent, Thomas Burnett Swann, nous livre là le tome le plus maîtrisé et le plus abouti du cycle. Le monde des dieux Grecs et Romains prend peu à peu le pas sur le panthéon panthéiste (dryades, naïades, faunes, centaures, lémures, télesphores). La civilisation se bâtit sur le deuil de la nature enchantée que nous voyons disparaître à travers les yeux de Mellone, l’aborigène arboricole, chantre de la nature primitive et heureuse, et de Sylvan, le faune chaste, propre et fidèle (autant dire l’antifaune).

L’auteur américain puise son inspiration dans la littérature épique antique (Homère, Virgile), dans la littérature romantique « lakiste » (Coleridge, Wordsworth) et dans la créativité vigoureuse et libertaire de la Beat Generation.   L’originalité de son œuvre, empreinte d’une grande poésie, provient en grande partie du caractère notoirement antagoniste de ces sources.

Ici Rome : un triple inceste se solde par un fratricide

Quatre cent cinquante-trois ans plus tard, Mellone, « la Vierge perpétuelle », ne s’est jamais vraiment remise de la disparition d’Enée et de son fils Ascagne. Les autres dryades, ces fées des arbres, ont disparu. Mais voilà que l’occasion de flirter avec des rois humains se présente à nouveau. Une princesse vestale, Rhéa Silvia, a fauté avec Mars et a donné naissance à deux jumeaux. Son oncle Amulius s’est emparé du pouvoir en destituant son père. Elle sera enterrée vivante, mais les deux princes seront sauvés. Mellone les recueille avec son amie la louve Luperca.

Romulus et Remus, les deux louveteaux, grandissent vite et s’installent avec des bergers et des voleurs sur la colline du Palatin. Ils se font les armes sur de misérables habitants de la forêt, et c’est ainsi que Sylvan, le faune, sera sauvé des griffes du méchant Romulus par le bon Remus. C’est ainsi qu’il devient le meilleur ami de Remus, exacerbant la jalousie du jumeau. Remus tombe amoureux de sa mère adoptive, bien conservée, qui fut aussi l’amante de ses aïeuls, Enée et Ascagne (un triple inceste, donc). Cet amour scellera une alliance entre les deux jumeaux et Dame nature des abeilles, contre Amulius et la ville d’Albe. C’est ainsi que les fameux jumeaux, nourris aux mamelles d’une louve, prendront le pouvoir avec l’issue que l’on sait : Remus n’y survivra pas puisque ce n’est pas Rème qui fut fondée mais Rome…

Au-delà de Rome, au-delà de la mort

Thomas Burnett Swann s’écarte, cette fois-ci, de l’Enéide de Virgile puisque Romulus et Remus n’y étaient mentionnés en tant que descendants que lorsqu’Enée rendait visite à son père aux enfers dans le livre VI. Il s’éloigne sciemment de la vérité historique (architecture des temples et des palais, calendrier de douze mois, etc.), mais reste proche du mythe: Romulus et Remus se battront autour de l’interprétation d’auspices  sur le choix du mont Palatin ou du mont Aventin. L’auteur rassemble en une les deux thèses officielles de la mort de Remus (le coup de pelle de Celer et la mort de la main de Romulus après le franchissement du sillon sacré).

Il force l’opposition de caractères entre les deux frères. Remus est proche de la nature, humain et réfléchi. Romulus a l’âme d’un général avisé et avide de pouvoir. Romulus, c’est l’hybris politique. Remus, c’est l’harmonie avec le passé et la sagesse humaine. Pour Rome, Romulus, fils de Mars, sera gage de conquêtes. Remus, en dépit de sa mort, insufflera l’esprit des lettres et du droit à la Cité impériale. Les jumeaux ne se haïssent pas. Ils se tuent par hasard sous l’empire de la colère (Mars ?) et plus lâchement par nécessité publique. 

Soyons clair. L’intérêt de l’ouvrage n’est pas dans son interprétation du mythe défendue par l’auteur dans une note historique finale. Le mythe permet de bâtir une trame propice à l’action, plus palpitante que dans les précédents tomes : ici, on se révolte, on s’unit, on attaque une ville par la ruse, on renverse un roi et on se chamaille. La véritable signature thématique du cycle, c’est l’attirance réciproque, sensuelle, entre deux personnages foncièrement bons, courageux et loyaux, ballotés par les événements, parce qu’ils sont naïfs et un brin dépassés (les temps changent). La mise à mort du naturel et de l’innocence par la modernité.

Cette didactique phylogénétique (leçon sur l’évolution de notre espèce) est servie par une langue superbe et une verve gourmande de nature. Les descriptions foisonnent de détails bucoliques, sylvestres ou mythologiques. Thomas Burnett Swann est un mythographe hors pair. Richesse sémantique, luxuriance du vocabulaire exotique. Un vrai plaisir de lecture. Les métaphores, habiles et efficaces, égrènent le récit d’une poésie nourricière. Cette leçon de nature  est dénuée de culpabilité (amour entre Sylvan et Remus, désir partagé de Mellone). Bien que les destins soient  scellés dès le début dans l’esprit du lecteur, on ne verse jamais dans la tentation du tragique. En toute innocence. C’est comme si nous restions suspendus aux vérités du plaisir naturel et de l’érotisme infantile, hors de tout temps historique. Hors de toute Rome antique.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?