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La Maison d’ailleurs donne la parole aux jeunes chercheurs - Octobre 2013
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La Maison d’ailleurs donne la parole aux jeunes chercheurs - Octobre 2013

À côté de mes études, j’ai en ce moment la chance de travailler à un projet qui me passionne : la rédaction d’une préface au Nouveau Déluge de Noëlle Roger pour les toutes nouvelles Éditions Stentor. Cette maison suisse romande sera l’une des premières à se dédier entièrement aux « mauvais genres » ; oui, vous savez, toutes ces œuvres que les gens de lettres et les critiques ont parfois la mauvaise habitude de dédaigner... Parmi les premières œuvres que cette publication permettra de (re)découvrir on trouvera : un recueil de contes illustrés, préfacé par la Vigousse chroniqueuse Émilie Boré, ainsi que l’œuvre d’Emer de Vatel, Les Fourmis et autres Pièces conjecturales qui sera, lui, postfacé par l’historien André Bandelier (tous deux sortiront en janvier 2014). Ce dernier ouvrage inaugurera la collection conjecturale dans laquelle s’inscrira le roman de Noëlle Roger, à paraître en avril 2014.
 
Jamais entendu parler de Noëlle Roger ? Ce n’est pas surprenant puisqu’elle fait partie de la petite vingtaine (seulement !) d’auteurs à avoir pratiqué la science-fiction en Suisse. Et si l’on considère le nombre d’auteurs suisses, francophones et féminins qui plus est… Noëlle Roger ferait presque passer la licorne pour un animal commun.
 
Et pourtant, le premier de ses neuf volumes appartenant au genre science-fictionnel vaut franchement le détour. Le Nouveau Déluge raconte le périple d’une famille qui se voit contrainte de fuir son lieu de séjour estival pour échapper aux eaux d’une mer qui ne cessent de grimper. La fuite éperdue de ce petit groupe donne lieu à des descriptions de chaos qui valent bien certaines scènes de nos blockbusters hollywoodiens. Mais le meilleur reste encore de voir l’apocalypse se dérouler à Paris, au bord du Lac Léman et dans les Alpes valaisannes. Car c’est là qu’iront se réfugier les quelques survivants qui parviennent à échapper à la catastrophe. Les premiers jours suivant le déluge, la priorité va à la survie : c’est l’occasion de questionner l’utilité de l’art ou du savoir académique dans de telles circonstances. Le futur ingénieur Max Dainville ne peut ainsi que constater à quel point le berger Ignace et sa connaissance de la nature lui est supérieur. Et puis l’heure vient où, isolés sur leur îlot, nos rescapés doivent réinventer les bases d’une société nouvelle. À quoi servent l’amour, les liens matrimoniaux ou encore la foi ? Qu’est ce qui – dans un contexte où l’homme est rattrapé par son passé primitif – assure la cohésion d’un groupe et la survie de celui-ci ?
 
Genevoise, affectionnant beaucoup la France et ayant servi en tant qu’infirmière auprès des soldats blessés lors de la Première Guerre mondiale dans un hôpital de Lyon, l’écrivaine est très influencée par des événements qui sont au cœur de son actualité. En témoigne l’un de ses autres écrits, Les Carnets d’une Infirmière (1915), qui rapporte les propos et raconte les actes des soldats dont elle s’occupe. Plusieurs paroles que la romancière met dans la bouche des protagonistes du Nouveau Déluge sont d’ailleurs les échos de celles de ses patients. Mais les parallèles sont plus qu’anecdotiques puisqu’ils viennent rappeler une fois de plus à quel point la science-fiction entretient des rapports étroits avec la réalité. La valeur de la vie humaine et de l’individu est mise en valeur au travers des péripéties que vivent les personnages de Roger, et ce alors même qu’autour de l’auteure les morts se sont comptés par milliers. De même, l’importance de l’art et des connaissances académiques dans des situations extrêmes ou encore les préjugés sociaux dont souffrent les rescapés d’un conflit (ou d’une apocalypse), sont des thèmes qui peuvent encore nous toucher aujourd’hui.
 
Publié en 1922, d’abord en cinq parties dans les fascicules de La Petite Illustration, Le Nouveau Déluge paraît en un seul volume dans l’édition Calmann-Lévy au cours de la même année. Jusqu’à aujourd’hui cet ouvrage était resté un peu oublié – dans sa forme originale et dépourvue de commentaires qui en facilitent l’approche – sur les étagères de nos bibliothèques romandes mais, grâce à l’entreprise de Monsieur Mottaz, la chance nous est donnée de dépoussiérer ces œuvres ainsi que notre connaissance des auteurs suisses. Pour moi, ce fut surtout l’occasion d’aller découvrir les fonds de la Bibliothèque Universitaire Genevoise (BGE) et les trésors qu’ils renferment. Correspondances, courriers de lecteurs, notes et manuscrits : derrière le roman c’est toute une vie, un contexte, une histoire qui se cachent.
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