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Là où vont nos pères

Shaun Tan ( Auteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 28/02/2007  -  bd
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Là où vont nos pères

Shaun Tan, Australien âgé de seulement 32 ans, embrasse dès l’adolescence une carrière d’illustrateur pour les magazines de science-fiction ou d’horreur. Quelques années plus tard, sorti de l’université avec tous les honneurs, il réalise plusieurs albums pour la jeunesse, dont le sublime L’Arbre rouge, et enchaîne les récompenses parmi lesquelles le prix du « Meilleur Artiste du monde de la fantaisie » à Montréal en 2001. Prolifique et universelle, son œuvre devient peu à peu polymorphe. Il travaille maintenant pour les studios d’animation Blue Sky et Pixar ainsi que pour le monde du théâtre. Là où vont nos pères s’inscrit dans cette perspective transversale, puisque qu’une pièce fut élaborée parallèlement à la préparation de l’album. Jouée au Spare part Puppets Theater, elle a reçu le prix de la meilleure production.

Va, vis et deviens...

Un homme part dans la nuit noire, accompagné de sa femme et sa fille jusqu’à une gare non identifiée, tandis qu’une ombre mystérieuse les suit à travers les ruelles d’une ville indéterminée. L’indétermination, c’est aussi celle de ce personnage, dont le visage pourrait être celui de tous les hommes. On ne sait pas d’où il vient, on ne sait pas où il va. Après le train vient la traversée maritime, alors qu’un immense nuage menace de tomber sur le cargo, si minuscule, si insignifiant dans l’immensité océane. Enfin, notre héros parvient de l’autre côté du monde. Dans la brume se profile une néa-polis, ville tentaculaire, peuplée de statues sidérantes, prémisse fantastique au second voyage à suivre, bien plus long et compliqué : celui de l’étranger, venu recommencer sa vie dans une contrée nouvelle.

Un nouveau monde à couper le souffle

L’indéfini est le maître mot de Shaun Tan. Cet homme pourrait appartenir à toutes les vagues d’immigration connues de notre ère moderne, cette ville résonne avec toutes les mégalopoles d’ici et d’ailleurs. De cette abstraction, l’œuvre en retire une force immense : l’universalité.

Cette universalité des images est telle que les mots sont inutiles, c’est pourquoi il n’y a pas l’ombre d’une bulle. Ce choix, ajouté à la monochromie, confèrent à l’album de Shaun Tan l’énergie intemporelle des grands films muets du début du siècle : Métropolis de Fritz Lang et L'Aurore de Murnau en tête, qui sont deux grandes références de portraits urbains.

Cependant, aussi universelle que soit cette histoire, la prouesse de l’auteur consiste en l’alliance de cette intemporalité avec un effort d’invention fulgurant. Car rien n’est plus difficile que de donner le jour à un univers semblable au nôtre tout en étant totalement inédit : Shaun Tan crée une architecture nouvelle à base de cônes, cornets, sphères verticales, grandes roues…Mais dans cette cité aux allures de parc d’attraction sont implantées de véritables usines et des habitations recouvertes d’inscriptions insolites. Les moindres détails de la vie quotidienne sont repensés, de la calligraphie aux lampadaires, qui sont autant d’étoiles à portée de la main que l’on peut cueillir en se promenant dans les rues, en passant par les fleurs, les moyens de locomotion aussi bien aériens que terriens : montgolfières collectives et individuelles, vaisseaux des airs. On est épaté en découvrant chaque page. Même les animaux de compagnie sont nouveaux. Chaque élément de la ville est magique. Chaque image est un chef d’œuvre, un tableau en soi.

Une profonde critique du capitalisme et de l’oppression humaine

Au détour des rues, notre héros rencontre d’autres immigrés, qui racontent à leur tour leur douloureuse histoire, nôtre douloureuse histoire. Ainsi, cette jeune fille à qui l’on arrache le livre des mains, pour y substituer une pelle. Alignée avec des centaines d’autres adolescentes dans des fourneaux titanesques, elle alimente le feu tout le jour durant, avant de réussir à s’échapper. Plus tard un homme épouvanté raconte comment des géants masqués ont détruit sa ville et en ont chassé tous les hommes.

La guerre est en ligne de mire de Shaun Tan, dont il démontre l’ignominie par un montage ingénieux, comme le démontre le trajet d’un homme que l’on vient chercher dans son village pour le faire rejoindre le bataillon, et dont les pieds bottés foulent la rue, puis les chemins de terre, puis la boue des tranchées, puis la boue mêlée au sang des cadavres, puis les charniers. Enfin, l’un des deux pieds disparaît…

Au fil des pages, l’émotion nous gagne devant cette histoire, qui est celle de dizaine de millions de gens, et que Shaun Tan a sublimé jusqu’au génie. Pours petits et grands. Incontournable.

*Vous pouvez visiter l’excellent site de l’auteur www.shauntan.net afin d’en savoir plus.

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