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La pédagogie de l’espace dans la science-fiction.  Le space-opera, entre littérature et cinéma
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La pédagogie de l’espace dans la science-fiction. Le space-opera, entre littérature et cinéma

 

« La pédagogie de l'espace dans la science-fiction.

Le space-opera, entre littérature et cinéma »


par Ugo Bellagamba

Conférence prononcée à l'I.U.T. De Digne,

dans le cadre de l'Année Mondiale de l'Astronomie,

le 16 septembre 2009.


Introduction :

Il était une fois l'espace et la science-fiction...


 

Permettez-moi de commencer par une citation qui me permettra d'illustrer mon propos, de faire l'économie de définitions ennuyeuses, de vous faire ressentir, par la fiction, ce que recouvre la notion de space-opera. Il s'agit des premières lignes des Cométaires, un roman datant de 1936, écrit par Jack Williamson (1908-2006), docteur en littérature anglaise, diplômé de l'Université du Colorado, inventeur du terme de « terraformation », et l'un des plus grands et des plus productifs auteurs américains du genre du XXème siècle :

« Phobos tournait au rythme de la Terre, car les anciens conquérants de cette petite lune de Mars avaient réglé son mouvement selon leur impériale convenance. Ils avaient couvert ses roches stériles de verdure, l'avaient enveloppée d'un air artificiel, et, de ses palais, ils avaient gouverné les planètes telles des îles captives. Mais, leurs orgueilleuses flottes spatiales avaient été vaincues et étaient tombées dans l'oubli bien avant le milieu de ce trentième siècle. Autour du soleil, les îles humaines étaient de nouveau libres, et dans le Hall Pourpre humilié, le plus jeune héritier de cet empire perdu n'était plus qu'un prisonnier impatient. »

Tout mon sujet est là, ou presque : la pédagogie de l'espace, celle du système solaire (Mars, Phobos, la Terre, le Soleil), est ici mariée, à un sens aigu de l'épopée et de l'émerveillement (un empire en crise, un prince héritier, un palais majestueux), ce que les anglo-saxons appellent le sense-of-wonder.

Mariage, disais-je ? À dire vrai, je préfère considérer l'histoire des rapports entre la science-fiction, littéraire comme cinématographique, et l'espace lui-même, celui que les sciences peuvent explorer et comprendre, astronomie en tête, comme des « fiançailles » qui durent depuis près de deux siècles, disons, par commodité, depuis De la Terre à la Lune de Jules Verne ; depuis si longtemps qu'elles ne peuvent plus être rompues ou concrétisées par une union définitive, tant elles sont tissées de promesses tenues et non tenues, que représentent des oeuvres intemporelles, cultes, ou irrémédiablement datées, telles que Buck Rogers, Flash Gordon, Les rois des étoiles, La faune de l'espace, La légion de l'espace, le cycle de Fondation, l'Histoire du Futur, Destination Moon, Planète interdite, Les Seigneurs de l'Instrumentalité, la série TV Star Trek, les six épisodes de Star Wars, 2001, l'odyssée de l'espace et ses suites, Dune, Hypérion, Le cycle de la Culture, etc.

Ce jeu de séduction mutuel a entraîné les « fiancés » dans une valse énivrante depuis l'étroite salle de danse de notre système solaire, jusqu'aux pistes étoilées des plus lointaines galaxies. Mais la fête terminée, il arrive que les amants s'éveillent en proie à une mélancolie grise comme le régolite lunaire, ou hantés par une déception aussi profonde que les grands canyons martiens. Chacun reprend ses habitudes, en se faisant la promesse qu'on ne l'y reprendra plus. L'espace s'en retourne auprès de la science, qui, de prouesses techniques en typologies révisées, fait avancer notre connaissance de l'univers, établit la composition des anneaux de Saturne, redéfinit à l'envi la notion de planète, classe les soleils comme s'ils n'étaient que les pièces de la collection d'une humanité philatéliste. La science-fiction, de son côté, se détourne parfois de l'espace au sens astronomique du terme, pour plonger dans l'exploration d'autres thématiques. Conservant son impertinente liberté , elle spécule alors, sans restriction ni prétention, sur le futur proche, l'apocalypse nucléaire, le désastre climatique, l'histoire et les passés qui auraient pu être, l'existence de mondes parallèles, le voyage dans le temps, l'émergence de l'intelligence artificielle, et sur l'impact politique et social des réseaux informatiques. Délaissant le space-opera, elle se fait tour à tour anticipation, utopie, uchronie.

Mais, lorsqu'elle renonce ainsi à l'embrasser, l'espace, son exploration sinon sa conquête, ne se pare plus des rêves épiques que peut produire la science-fiction, seule capable d'enchanter les défis qu'il représente, de montrer qu'ils ne sont pas seulement techniques ou scientifiques, mais aussi et surtout, humains. En retour, le public en vient à considérer que l'avenir « stellaire » de l'humanité, sa conquête du système solaire, voire l'établissement programmé de colonies humaines sur des mondes extrasolaires, n'est que le fruit des élucubrations de raconteurs d'histoires. Ainsi, alors même que nous fêtons cette année les quarante ans du programme Apollo, que les Américains s'apprêtent à retourner sur notre satellite et évoquent un projet de mission sur Mars, que les Chinois accélèrent leur programme spatial, que des sondes automatisées visitent la quasi-totalité de notre système solaire, que des télescopes, à l'acuité améliorée, fouillent l'espace à la recherche des exoplanètes, la poésie et l'émerveillement semblent ne plus être au rendez-vous. En cette année mondiale de l'astronomie, la conquête spatiale semble boudée, alors même qu'elle accomplit sa révolution conceptuelle et technique.


 

Aujourd'hui, le space-opera (au sens classique du terme) fait figure de curiosité un peu surannée, dans laquelle les afficionados se replongent avec nostalgie, comme dans des souvenirs d'adolescence. Pourtant, il ne faut pas minimiser la dimension pédagogique qu'a su assumer le space-opera, familiarisant des générations entières de lecteurs avec les notions cosmologiques fondamentales de galaxies, d'étoiles, de systèmes solaires, de planètes et de satellites, ou, démontrant de façon concrète, sous la plume d'un Robert A. Heinlein, la faisabilité, économique et technique, du voyage jusqu'à la Lune, sinon sa nécessité patriotique, et ce, bien avant l'alunissage d'Apollo XI en 1969, et la course à l'espace face à l'Union Soviétique.

Une chose est certaine : l'âge d'or du space-opera remonte aux (déjà lointaines) années cinquante, quand, selon les propos de Gérard Klein, grand théoricien du genre, les romans de science-fiction donnaient à voir « des empire immenses et bouleversés, des hommes dont la puissance maléfique s'étend sur des centaines de mondes, mais que leurs gardes géants ne parviennent pas à protéger de l'arme d'un tueur » ; quand les auteurs, Américains en tête mais sans exclusive, rivalisant d'audace, imaginaient des techniques de propulsion et de communication interstellaires leur permettant de donner corps à « cette incroyable, cette admirable toile d'araignée qui relie les mondes, qui est une altération du temps et de l'espace, et qui emprisonne l'univers exploré dans un filet de voies qu'empruntent les grands navires ». Si l'espace est le miroir métaphysique que l'Univers tend à l'Humanité, la science-fiction de cet « âge d'or », probablement, en a été le meilleur tain.


Pour autant, faut-il considérer que la valse entre l'espace et la science-fiction, appartient définitivement au passé ? De mutation en mutation, les auteurs, toutes nationalités confondues, les francophones ne sont pas en reste, continuent pourtant de livrer leur lot de rêveries spatiales, étayées par des considérations scientifiques plus ou moins poussées. À tel point qu'à l'aube du XXIème siècle, le genre a cru bon de se doter d'une nouvelle étiquette, qui manifeste une énième « résurrection » : le Nouveau Space Opera. Après une phase de désamour, l'espace et la science-fiction, s'attireraient donc, à nouveau, des étoiles dans le regard comme au premier jour ? Pour le vérifier, pour mesurer l'authenticité de ce nouvel élan, il faut revenir à la quintessence du space-opera et en retracer l'histoire.

Puisque le titre de ma conférence postule une dimension pédagogique de la science-fiction, je vous propose de suivre le cursus de l'éducation à la française : nous commencerons donc, naturellement, sur les bancs de l'école primaire, puis nous entrerons au collège et au lycée, étapes nécessaires afin d'acquérir les outils de base de la réflexion et de l'évasion, avant de plonger, baccalauréat en poche, avec mention j'espère, dans la myriade des spécialités universitaires de toutes galaxies, des écoles supérieures d'Imaginaire aux Instituts Universels de Technologie ; nous pousserons peut-être, jusqu'au doctorat es « amas galactiques » auquel vous n'aviez jamais osé penser ; à moins qu'à la faveur de notre parcours, vous ne préfériez entrer de plain-pied dans la vie active en embrassant la carrière, fort ingrate mais fascinante, des ingénieurs du système solaire.


I – DES FUSEES ET DES EMPIRES

(DES ORIGINES DU GENRE JUSQU'AUX ANNEES CINQUANTE) :


Résumé :

Les premiers chantres de l'exploration de l'espace furent européens, à la fin du XIXème siècle, et n'hésitèrent pas à embrasser l'univers, se faisant les maîtres de l'espace et du temps avec une audace que certains de leurs successeurs ne possèderont pas. Puis, dans le creuset de la culture américaine, marquée par la notion de colonie et de frontière, naîtra le véritable « space-opera » dans les années quarante, entre comics, serials et pulps. Enfin, dans la décennie suivante, une nouvelle génération d'auteurs fera le choix d'une approche plus épurée, plus pédagogique, sinon plus scientifique, livrant ainsi les clefs d'un âge d'or, marqué par une mythologie propre : celle de la conquête spatiale.


A – Le regard ébloui de l'enfance : les maîtres de l'espace et du temps.


Dans La République, Platon préconisait, à partir des enseignements de Socrate, d'imprégner l'âme des enfants avec le sens du beau, et ce, dès l'âge de sept ans. Cette première phase de l'éducation idéale pourrait être ici incarnée par les maîtres de l'espace et du temps que furent les premiers auteurs de « proto-science-fiction », selon le terme consacré. Tous, ou presque, sont européens : Jules Verne, bien sûr, Joseph Henri Rosny Aîné, Herbert George Wells, Sir Arthur Conan Doyle et Rudyard Kipling, pour ne citer que les plus connus d'entre eux, auxquels il faudrait ajouter les américains Edgar Allan Poe et Howard Philips Lovecraft. Tous firent de l'univers en lui-même, avec une belle générosité, le voyage le plus extraordinaire, le spectacle le plus vaste, cherchant à atteindre, selon les termes de Sir Arthur Conan Doyle, « l'enfant qui n'est qu'un petit homme et l'homme qui n'est qu'un grand enfant ».

Le but sous-jacent de leur fiction est d'offrir une réflexion philosophique sur la place de l'homme dans l'univers, la destinée qui le pousse à l'explorer, sinon à le conquérir, et les moyens techniques d'y parvenir. L'entre-deux siècles (1860 à 1930), est propice au questionnement sur les espaces et les mondes extérieurs, qui excède largement la fiction. Rappelons que l'empire britannique est encore à son apogée et s'appuie sur la technologie pour se pérenniser. Et les Etats-Nations nés du XIXème siècles s'affronteront bientôt. L'astronome français Camille Flammarion publie en 1862, La pluralité des mondes habités, un essai de vulgarisation dans lequel il postule l'existence de nombreuses planètes et civilisations au-delà de la Terre ; et, dans l'Homme de Mars, en 1887, Guy de Maupassant, clame qu'« il faut être un sot, un crétin, un idiot, une brute, pour supposer que les milliards d'univers brillent et tournent uniquement pour amuser et étonner l'homme, cet insecte imbécile, pour ne pas comprendre que la terre n'est rien qu'une poussière invisible dans la poussière des mondes, que notre système tout entier n'est rien que quelques molécules de vie sidérale qui mourront bientôt ».

Du côté de la proto-science-fiction, c'est d'abord la Lune qui s'impose comme la destination privilégiée (et elle le restera, ou le redeviendra à plusieurs reprises, dans l'histoire du genre), avec des déclinaisons différentes, tantôt plus didactiques, tantôt plus fantastiques, selon la plume : en 1835, avec l'Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall, Edgard Poe n'y croit pas vraiment, puisqu'il fait de son texte un canular journalistique, narrant le voyage d'un modeste raccommodeur de soufflets jusqu'à la Lune en ballon expérimental (on n'est pas très loin, encore, de la fantaisie satirique, des Etats et Empires de la Lune et du Soleil de Cyrano de Bergerac, ou de celle, échevelée, des Aventures du Baron de Münchhausen), et bafouant délibérément les lois de la physique élémentaire ; avec son dyptique De la Terre à la Lune (1865) et Autour de la Lune (1870), Jules Verne s'avère, lui, plus timoré mais plus pédagogue. Michel Ardan, l'aventurier et Barbicane, l'ingénieur, le capitaine Nicholl, préparent minutieusement leur voyage en obus, et opèrent une véritable révolution lunaire ; avec ses Premiers Hommes dans la Lune, en 1901, Herbert George Wells marie l'audace narrative à une apparente scientificité : grâce à la cavorite, métal capable de créer l'apesanteur, son expédition atteint la Lune et opère le premier contact avec les étranges sélénites.

Les auteurs de l'époque, toutefois, ne se contentent pas tous de la Lune. Dans Les navigateurs de l'Infini (1925), J. H. Rosny Aîné (par ailleurs auteur de La Guerre du Feu), si la destination des personnages est la planète Mars, leur vaisseau et leur équipement semblent tout à fait capables de les emmener plus loin : « Les cloisons du Stellarium, en argine sublimé, d'une transparence parfaite, ont une résistance et une élasticité qui, naguère, eussent paru irréalisables et qui le rendent pratiquement indestructible. Un champ pseudo-gravitif, à l'intérieur de l'appareil, assurera un équilibre stable aux êtres et aux objets (...) Notre vaisseau vogue dans la nuit éternelle ; les rayons du soleil nous frapperaient durement, à travers l'argine, si nous ne disposions pas d'appareils qui atténuent, diffusent ou suppriment la lumière, à notre gré (...) La prodigieuse vitesse qui nous entraîne équivaut à une suprême immobilité. Profond silence : nos appareils – générateurs et transformateurs – ne font pas de bruit ; les vibrations sont d'ordre éthérique... Ainsi, rien ne décèle le bolide lancé dans les solitudes interstellaires ». Outre le jargon pseudo-scientifique qui tente de suspendre l'incrédulité des lecteurs, le passage est d'une pertinence remarquable pour l'époque (danger des rayonnements solaires, le silence des moteurs, sensation d'immobilité, etc). Cinq ans plus tard, l'auteur britannique Olaf Stapledon incarne l'apogée de cette  veine scientifique et métaphysique de la science-fiction européenne. Avec son roman Les premiers et les derniers, il relate le lointain futur de l'humanité (plutôt de plusieurs « humanités » successives) sur deux milliards d'années ! Les hommes y sillonnent tout le système solaire, de Vénus à Neptune, en passant évidemment par Mars, jusqu'à ce que la mort du soleil ne les menace d'extinction définitive. Là encore, l'appel de l'espace résonne comme le chemin le plus logique de la survie de l'Homme, et les merveilles offertes à sa curiosité semblent inépuisables : « Il devint évident que l'humanité devrait abandonner sa planète natale. Les recherches portèrent dès lors sur la possibilité de voler à travers l'espace vide et de s'établir sur des mondes voisins (...) il ne fallut pas beaucoup de siècles à la cinquième espèce pour trouver un moyen supportable de voyager dans l'espace interplanétaire. On construisit d'immenses fusées dont le moyen de propulsion était l'énergie dérivée de l'annihilation de la matière (...) Une fois que le navire était sorti de l'atmosphère terrestre et avait atteint sa vitesse maxima, il pouvait bien entendu la garder constante sans utiliser l'énergie du moteur-fusée ».

Tout concourt à susciter des visions d'une ampleur démesurée, les auteurs embrassant à la fois le temps et l'espace, comme l'attestent idéalement les romans de Herbert George Wells, tels que La machine à explorer le temps (1895) et La guerre des mondes (1898). Pourtant, c'est bien la Lune qui inspirera les premiers pas de la science-fiction au cinéma, avec le très célèbre Voyage dans la Lune de Georges Méliès, qui date de 1902. Illusionniste professionnel, Méliès conçoit ses films comme le prolongement de sa magie et invente les premiers effets spéciaux, en opérant un habile syncrétisme entre la vision « scientifique » d'un Jules Verne, dont il reprend l'obus, et des éléments plus « merveilleux ». Grâce à son oeuvre, à l'opposé de celle des frères Lumière, l'imaginaire devient l'un des premiers sujets du cinéma, et l'espace l'une des destinations les plus proposées aux spectateurs. D'ailleurs, en 1919, Leigh adaptera à l'écran, First Men on the Moon de Wells. Suivront La femme dans la Lune de Fritz Lang, en 1928, et Things to Come de William Cameron Menzies, en 1936.

Mais, dès lors, l'imaginaire spatial semble traverser l'océan et, enfante, de l'autre côté de l'Atlantique, le « collège » des héros aux vaisseaux argentés et aux lasers surpuissants, qui occuperont, quelques vingt années, l'espace des « pulps » et de l'imaginaire populaire américain.

B – Le collège des héros : « Messieurs, sortez vos empires galactiques ! »


Au tournant des années 1920-1930, nous assistons à la véritable naissance du space-opera, en même temps, il faut bien le reconnaître, que s'opère un net recul de la « pédagogie » de l'espace au sens strict du terme, au profit du foisonnement d'un imaginaire jeune, décidé à bousculer toutes les frontières pour offrir de nouveaux mondes.

L'élément déclencheur est la publication, aux Etats-Unis, en 1909, d'une revue de vulgarisation scientifique, intitulée Modern Electrics, dirigée par Hugo Gernsback (1884-1967), un émigré belge. Celui-ci va avoir l'intuition que les merveilles de la science peuvent donner lieu, au-delà d'articles purement techniques et explicatifs, à des récits épiques glorifiant les avancées technologiques du nouveau siècle tout en extrapolant les futuribles qu'elles promettent. Pour diffuser ces « scientifictions », Gernsback fonde une autre revue, un fanzine, qui leur serait entièrement dédié, et dans laquelle il publierait ses propres textes d'extrapolation : c'est Amazing Stories, dont le premier numéro paraît en avril 1926. L'ère des « pulps » de science-fiction vient de commencer ! Ces revues bon marché qui vont rapidement se multiplier (précisons toutefois que les pulps non-SF existaient déjà, consacrés à des aventures historiques, des « western », des « péplums », ou des récits de guerres), imprimées sur de papier de mauvaise qualité, de la « pulpe » de bois, qui jaunit et s'altère vite, et affublées de couvertures criardes, voire racoleuses (fusées étincelantes, rayons lasers, planètes en collision, robots géants et très agressifs, extraterrestres bulboïdes, et moultes héroïnes à demi-dénudées aux formes généreuses).

Les récits de « space-opera » vont s'y tailler la part du lion, mettant en scène des empires galactiques démesurés, des vaisseaux traversant toute la galaxie en un souffle, des héros invincibles luttant contre des savants machiavéliques, et, le plus souvent au mépris de toute crédibilité scientifique. Le terme de « space-opera » est un terme construit à partir de celui de « soap-opera » qui désignait les séries radiophoniques, puis télévisuelles, bâties selon une intrigue à rebondissements, toujours outrés, extrêmement mélodramatiques, et jouant systématiquement sur la surenchère et le cliffhanger, c'est-à-dire la survenue d'un événement dramatique qui laisse le héros en mauvaise posture à la fin de l'épisode. À dire vrai, à l'exception du cadre stellaire, les aventures des héros de l'espace, souvent archétypaux, n'étaient guère moins rocambolesques, ni plus crédibles, que celles des personnages des « soap » et autres « horse-opera », et, au moins dans un premier temps, n'avaient qu'un lointain rapport avec une quelconque culture scientifique.

Même si l'on peut citer les textes, très représentatifs de l'époque, d'Edgar Rice Burroughs (1875-1950), créateur de Tarzan (1912), du cycle de John Carter de Mars, ou de celui de Pellucidar (bâti sur l'idée de la « terre creuse »), les plus grands auteurs de space-opera, dont certains textes sont encore lisibles aujourd'hui, sont au nombre de trois : Edward Elmer Smith, surnommé « Doc » en raison de son doctorat de chimie de l'université de Columbia (1890-1965), Edmond Hamilton (1904-1977), auteur des Rois des étoiles, et, le plus prolifique et durable de tous, Jack Williamson (1908-2006), auteur de La légion de l'espace et bien d'autres textes, déjà évoqués. On peut se concentrer sur l'oeuvre de « Doc » Smith, car elle inspira Hamilton et suscita l'admiration de Williamson. Mais, surtout, elle est remarquable par sa démesure mélodramatique et sa cohérence interne, même si la plausibilité scientifique n'était pas toujours au rendez-vous !

Son premier texte, The Skylark of space, littéralement « l'alouette de l'espace » (traduit en France sous le titre La Curée des Astres), paraît dans Amazing Stories en 1927, et, au vu de son succès, fera l'objet de trois suites. À côté de cette tétralogie, son Triplanétaire (1934), sera intégré dans le grand Cycle des Lensmen (Fulgur en VF), sous-titré, de façon révélatrice, The history of civilisation, qui fera de son auteur la vedette incontestée du space-opera. Sur le plan de la structure narrative, l'oeuvre de « Doc » Smith relève de l'archétype : « les intrigues se résument, au fond, à des courses-poursuites à travers l'espace, agrémentées de morceaux de bravoure de super-science, d'escales en des mondes divers et variés et de retournements de situation ». Sur le plan « scientifique », son héros, le jeune chimiste Richard Seaton invente un mystérieux « métal X », dont la désintégration dégage une telle énergie que les voyages supra-luminiques permettent aux « héros » et aux « méchants » du cycle de porter leurs différends jusqu'aux confins de notre Voie Lactée, lorsque la menace ne vient pas, dès Skylark Three (1930) d'une autre galaxie ! Dans Triplanétaire, soixante ans avant la découverte de la première exoplanète, « Doc » Smith se paye le luxe d'expliquer « scientifiquement » l'existence d'une pluralité de systèmes solaires : « Voici environ deux milliards d'années, deux galaxies entrèrent en collision, ou plutôt passèrent l'une à travers l'autre. Peu importent cent ou deux cent millions d'années, puisque ce fut à peine le temps nécessaire au déroulement de ce phénomène d'interpénétration. À peu près au même moment, toujours avec la même marge d'erreur (...) la majorité des soleils des deux galaxies se trouva dotée de planètes. »

Il ne faut pas oublier, à côté de ces pulpsters, le rôle joué par les comics strips, ces bandes-dessinées américaines publiées en revues : les aventures du pilote Buck Rogers au XXVème siècle, racontées par Francis Nowlan, et la lutte acharnée entre l'athlète Flash Gordon (Guy l'Eclair en France), d'Alex Raymond, contre l'implacable empereur Ming de la planète Mongo, bien décidé à envahir la terre, et à lui ravir la belle Dale Arden, seront si populaires, qu'elles feront bientôt l'objet de serials, ces films à tous petits budgets, moyens métrages conçus par épisodes, diffusés dans les cinémas de quartier jusque dans les années cinquante, et prototypes des futures séries télévisées. À bien des égards, on peut considérer que l'hexalogie Star Wars de George Lucas, dont le premier (en fait, quatrième) épisode, Un nouvel espoir, déferla sur les écrans en 1977, est, de l'aveu même de son auteur, un hommage très appuyé aux serials de son enfance, et donc, plus proche de l'épopée que de la pédagogie.

On peut ajouter à la liste les aventures spatiales de Captain Future, alias Curtis Newton, personnage créé par Edmond Hamilton : depuis sa base lunaire, avec l'aide des ses compagnons, les Futuremen qui l'ont élevé, un homme synthétique, « androïde » produit de la génétique, Grag, un robot immense aux yeux photos-électriques et virtuellement indestructible, et le professeur Simon Wright, « un cerveau humain vivant, logé dans un coffre de métal transparent dont les sérums constamment purifiés le maintiennent en vie », Curtis Newton protège l'humanité contre tous les dangers qui peuvent surgir de l'espace. Cela devrait rappeler quelque chose aux trentenaires... C'est Capitaine Flam, avatar animé du personnage d'Hamilton, série japonaise créee par la Toei Animation à la fin des années soixante-dix et qui fut très populaire en France.


Dans les années 1940-1950, les « pulps » de science-fiction vont connaître leur « âge d'or », offrant à leur jeune public, une évasion et un émerveillement toujours faciles, mais servis par des plumes de plus en plus assurées et renouant petit à petit, sous l'influence de John W. Campbell (1910-1971), le rédacteur en chef visionnaire de la revue Astounding à partir de juillet 1939, avec une approche plus scientifique, plus rationnelle, de la conquête de l'espace, répondant désormais à des étapes plus « réalistes ». Paraissent ainsi des oeuvres maitresses qui, pour être des space-opera flamboyants, ne se résument plus à cet aspect : les grands « maîtres » ont désormais les noms de Robert A. Heinlein, Isaac Asimov, Alfred E. Van Vogt, Poul Anderson, Alfred Bester, Eric F. Russel, et, toujours, Jack Williamson. Le Cycle de Fondation d'Asimov, inspiré de l'Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain de l'historien britannique du XVIIIème siècle, Edward Gibbon, retrace les efforts d'une civilisation galactique pour se préserver du chaos en instaurant deux &la

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