C’est une archive de poids, ce mois-ci, par un auteur légendaire qu’il est presque inutile de présenter : présente-t-on Homère à un amateur de poésie ? Shakespeare à un comédien ? Jack Vance à un lecteur de SF ? Car c’est bien de lui dont il s’agit, l’homme à qui l’on doit quelques-unes de nos plus merveilleuses expériences de lecture, celui qui a rendu tous les rêves possibles grâce à un « sense of wonder » hors du commun, l’intégrale des quatre recueils de ses Nouvelles chez J’ai lu en témoigne. Qu’en dire de plus ? Presque toute sa bibliographie en français reste disponible, il suffit de plonger dans les rayonnages de votre librairie favorite ! Et pourtant… Et pourtant il en reste un que seuls les vieux, très vieux archivistes, sont capables de citer : La planète des damnés, sorti en 1984 dans l’hexagone et épuisé depuis bien longtemps… Vaut-il réellement la peine d’y consacrer quelques heures ?

Deux cent pages de bonheur !

La Terre a été colonisée par les Lekthwans, représentants d’une civilisation extra-terrestre bienveillante qui n’hésite pas à partager ses connaissances avec les Terriens, même si l’égo de ces derniers ne peut s’empêcher d’en prendre ombrage… La cohabitation se passe pourtant relativement bien jusqu’au jour où les Klaux, ennemis mortels des Lekthwans, font une incursion et manifestent sauvagement leur nature belliqueuse. C’est ainsi que débutera pour Roy Barch, domestique d’un seigneur Lethwan, une série d’aventures qui le conduiront sur la planète Magarak où il se rebellera contre l’esclavage auquel les Klaux tenteront de le réduire, fera la rencontre d’un groupe de fugitifs pour le moins hétéroclite, tentera de susciter l’amour d’une belle extra-terrestre stoïque aux yeux d’or…

Un bon roman ne vieillit jamais…

De l’aventure, d’étranges extra-terrestres, une planète exotique, les trois éléments clefs de l’œuvre de Jack Vance sont présents, pour notre plus grand plaisir. D’un bout à l’autre du roman, nous suivons le héros comme si nous faisions partie de son équipe d’extra-terrestres boudeurs, roublards ou tout simplement incompréhensibles… Paru aux États-Unis en 1958, ce récit n’a (presque) pas pris de rides, l’aventure demeure palpitante, les détails exotiques sont originaux et la psychologie de la plupart des personnages aussi crédible que possible pour un livre d’un peu moins de deux cent pages. Au Diable les pavés soporifiques alors qu'il suffit d’un opuscule de qualité pour nous éveiller et nous émerveiller. Si l’exotisme du décor est pour beaucoup dans l’attrait des histoires de notre auteur, il sait bien entendu nourrir son univers plus en profondeur. Les aspects ethnologiques de cette science-fiction dont il reste l’un des représentants majeurs (avec Ursula Le Guinn, dans un autre registre) participent à une caractérisation efficace de l’intrigue. En quelques mots, Jack Vance parvient à nous faire entrevoir la complexité des langues les plus insolites, des formes de sexualités les plus déconcertantes, des coutumes les plus curieuses… Bien moins connu que ses cycles de Tschai ou de Cugel, La planète des damnés satisfera pourtant largement toutes les attentes d’un fan de Jack Vance, et enchantera ceux qui ne le connaissent pas encore…