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La révolte des anges
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La révolte des anges

Figure incontournable de la littérature française, académicien et prix Nobel de littérature, Anatole France (1844-1924) n'est pourtant pas (pas seulement) ce vieux birbe à la prose soporifique que l'on s'imagine lorsqu'on ne l'a pas lu. En dépit d'un cerveau plus petit que la moyenne, cet homme de gauche a œuvré dans les genres qui nous intéressent et peut encore être fréquenté de nos jours avec un réel plaisir. Parmi ses œuvres les plus fameuses figurent en effet quelques romans utopiques tels que L'île des pingouins et Sur la pierre blanche. La révolte des anges dont il va être question ici est un roman qui pourrait quant à lui figurer en bonne place parmi les précurseurs de la fantasy urbaine.

« La science a porté des coups mortels à l'église »

Un ange-gardien, Arcade, pénètre par effraction dans une superbe bibliothèque privée et perd la foi après avoir soigneusement étudié les fondements de la religion. Dès lors, pour Arcade qui vient de découvrir que la vérité se trouve dans les livres, Dieu ne sera plus ni omniscient ni omnipotent. Après avoir pris la décision de se rebeller, il recrutera d'autres de ses congénères révoltés, en exil parmi les hommes : le Prince Istar, un ange libertaire et poseur de bombes, Zita, bel(le) androgyne athée, Nectaire, un très vieil ange jardinier qui participa à la première révolte angélique, menée par Lucifer lors de sa chute... Le but des conjurés sera de renverser Dieu et d'établir une démocratie au Royaume des Cieux.

« Où il est parlé d'amour; ce qui plaira car un conte sans amour est comme du boudin sans moutarde, c'est chose insipide. »

Bien entendu, les anges rebelles profitent de leur passage pour lutiner les femmes humaines et traîner dans les cabarets, ce qui confirme ce que nous soupçonnions tous : les anges ont un sexe et ils s'en servent. Certains passages de ce roman évoquent, par leur ambiance à la fois poétique et discrètement libertine, ceux de Thomas Burnett Swann. On pourrait même s'abandonner au plaisir de multiplier les références, bien qu'Anatole France leur soit bien antérieur. La guerre entre les anges fidèles à Dieu et les révoltés donne l'occasion de lire des pages que ne renieraient pas bien des auteurs de fantasy contemporains... Quant à la bibliothèque, qui joue un rôle si important au début du livre, où il est question d'ouvrages volés, on se prend à penser à Terry Pratchett lorsqu'un singe vient à être soupçonné du forfait... Puissent ces quelques rapprochements périlleux orienter les jeunes lecteurs vers ce grand classique !

« ... pour peu qu'il vous en chaille... »

Le style, et le contraire eut été surprenant de la part d'un académicien, est d'un classisisme des plus délectables, avec moult imparfaits du subjonctif et autres gâteries du même ordre. Quant aux (très) longs titres de chapitres, c'est un vrai régal comme en témoigne par exemple le « Chapitre VII, d'un intérêt assez vif et d'une moralité qui sera, je l'espère, très goutée du commun des lecteurs, puisqu'elle se formule par cette exclamation douloureuse : « Où m'entraînes-tu, pensée ? » et que c'est en effet une vérité généralement admise, qu'il est malsain de penser et que la vraie sagesse est de ne songer à rien » !

Le grand âge de ce livre, presque un siècle, lui donne un charme suranné qui n'entame en rien la pertinence des réflexions qu'il suscite. En effet, Anatole France fut ce que nous appellerions un artiste-engagé-de-gauche et ses œuvres de fiction reflètent ses prises de position et ses préoccupations politiques et sociales. Ses anges mécréants doivent donc certainement beaucoup au mouvement de la libre-pensée dont il fit partie et nous pouvons encore saluer, au vingt et unième siècle, leur lutte contre le fanatisme et autres aveuglements religieux.

Vous n'aurez cette fois pas besoin de hanter les bouquineries car La révolte des anges est disponible en librairie dans l'Omnibus intitulé Anatole France, au tournant du siècle. Il figure également au sommaire du tome 4 de ses œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade.

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