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La route de Corlay
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La route de Corlay

John Middleton Murry Junior, fils d'un célèbre critique et éditeur britannique, a écrit une vingtaine de nouvelles et presque autant de romans se rapportant à la science-fiction sous le pseudonyme de Richard Cowper avant de troquer son stylo contre des pinceaux d'artiste peintre. Parmi ses ouvrages les plus connus figurent surtout Le crépuscule de Briareus et le cycle de L'oiseau blanc de la fraternité dont La route de Corlay constitue le premier volume. Comme un certain nombre d'écrivains britanniques des années soixante et soixante-dix, il avait une prédilection marquée pour les récits post-apocalyptiques, un contexte qu'il enrichissait souvent de thèmes liés à la religion.

Le trente-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas.
 
En 3018 au large du Pays de Galles, un millénaire après la grande inondation qui a submergé une grande partie des terres de la planète, deux marins sauvent Thomas de Norwich de la noyade. Ils constatent rapidement que celui-ci porte les signes de son appartenance à la Fraternité de l'Oiseau, une nouvelle religion jugée hérétique par l'Église et dont les fidèles sont persécutés par les séides d'une Inquisition féroce. Les marins décident alors de le confier aux bons soins de deux adeptes du nouveau culte, un vieil homme et sa fille dotée d'étranges pouvoirs mentaux. Ce que Jane verra dans l'esprit de Thomas a-t-il un rapport avec les expériences de voyages extra-corporels menées par un groupe de scientifiques anglais à la fin du vingtième siècle et au cours desquelles un des participants a sombré dans un coma d'où rien ne semble pouvoir l'extraire ?
 
Après le prochain déluge, un nouvel évangile SF pour le quatrième millénaire.
 
Voici un roman post-apocalyptique des plus envoûtants, servi par un style à la fois simple, poétique et raffiné. Une fois n'est pas coutume, la catastrophe naturelle ne se trouve pas au centre du récit et n'est évoquée qu'avec la plus grande parcimonie. La légèreté est en effet une des caractéristiques les plus appréciables de La route de Corlay. Le modèle féodal de l'organisation de la société en royaumes participe au cadre de l'histoire d'une façon naturelle, sans ostentation, ce qui permet sans hésiter de lui dénier toute appartenance au domaine de la fantasy, avec lequel elle aurait pourtant beaucoup de points communs. Mais n'en doutons pas, il s'agit bien de science-fiction, proche par son cadre, ses thèmes et sa qualité de chefs d'œuvres du genre comme Un cantique pour Leibowitz.
 
Notons au passage que La route de Corlay constitue le développement d'une nouvelle antérieure dont le titre évoque un des chapitres du Vent dans les saules de Kenneth Grahame, Piper at the gates of dawn, traduit en français par Le chant aux portes de l'aurore dans le recueil de Richard Cowper Les gardiens. L'aulos, la flûte double des anciens Grecs, y joue un rôle de premier plan et la musique que les aulètes en tirent permet parfois l'accès à une épiphanie instantanée, un contact établi entre le musicien et l'Adolescent, figure centrale de cette forme naissante de paganisme chrétien. Cette impression donnée par la nouvelle religion est renforcée par la présence d'un certain nombre d'éléments d'origine celtique disséminés avec discrétion dans ce roman dont l'action se déroule au Pays de Galles et dans les îles de Bretagne nouvellement formées, l'ensemble n'étant pas sans évoquer le temps des hérésies du christianisme celtique. Ce nouvel avatar de l'éternelle lutte entre obscurantisme et illumination est une belle réussite et il serait bien dommage de passer à côté d'un livre d'une telle qualité. Il ne reste donc plus aux lecteurs tentés par l'aventure qu'à prendre La route de Corlay à la suite de Thomas de Norwich en étant assurés de vivre un excellent moment de lecture.

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