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La Saison des Brumes

Neil Gaiman (Scénariste), Mike Drinkenberg (Dessinateur), Malcolm Jones (Dessinateur), Kelley Jones (Dessinateur), Matt Wagner (Dessinateur), Dick Giordano (Dessinateur), George Pratt (Dessinateur), P. Craig Russell (Dessinateur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2003  -  bd
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La Saison des Brumes

Dream, Desire, Despair, Destiny, Delirium, Death... Six frères et sœurs (sept à l'origine) qui participent au chaos et à l'exaltation humains. Dans le monde délirant et ô combien réel de Gaiman, six pions pour satisfaire un seul véritable acteur : l'histoire. Gaiman est un dieu de la narration, un géant de la structure, un metteur en scène exceptionnel. J'en vois déjà qui soupirent… Et pourtant, s'il y a bien un auteur avec lequel le voyage est mouvementé et irrépressiblement plongeant, un narrateur qui arrive à coller la nausée à force d'amener son lecteur aux extrêmes des sensations et sentiments, c'est lui… Il n'y aura aucune description des trouvailles dans cette chronique ; aucune définition du genre, aucune information impromptue. Il est hors de question, une fois qu'on a ouvert The Sandman, qu'on déflore l'imagination d'un lecteur potentiel, fut-ce son pire ennemi. Et pourtant, la tentation creuse son nid. Une envie terrible d'en parler, de communiquer son enthousiasme… Les comics sont ce qu'ils sont : des objets de culte ou de désintérêt. On cite facilement les Stranges et autres Marvel. On aime, on n'aime pas, on rigole ou on fanatise. Ils font partie de la culture américaine et connaissent quelques partisans en France. Le lecteur lambda citera Batman. Superman. Peut-être Wonderwoman ?
Maintenant, il faut compter avec Sandman.

Une réécriture des comics

Cette série a du succès, là bas, loin… Un monde de rêve, de références judéo-chrétiennes, de poésie et de frayeur s'ouvre enfin aux comics, qu'on croyait plutôt cantonnés à la bonne vieille technique du " ô mon dieu, on a tué mes parents et quand je serai grand, j'aurai une cape rouge et or et j'arrêterai tous les méchants… ". Les héros créés restent surhumains. Gaiman en a forgé des surnaturels. Chaque personnage, allégorie par excellence, intervient à la fois dans la vie des humains et tente de trouver une cohérence, à la fois proche et lointaine de celle des hommes, à la sienne. The Sandman est Dream. Le rêve. Le marchand de sable. Morphée. Il a choisi, dans un panel de cosmogonies, la référence occidentale, peut-être en opposition aux autres, toutes présentes.

Dans ce tome quatre, premier édité en France (la série en comporte dix, tous indépendants, d'où le choix de l'éditeur de commencer par celui-là qui, selon lui " constitue une excellente initiation à cette saga ".), Sandman retourne aux enfers pour chercher une mortelle qu'il a condamnée et qui l'aimait. Arrivé sur place, il s'aperçoit que Lucifer a décidé de laisser son domaine à l'abandon. Ce qui n'est pas sans attiser la convoitise de toutes les déités de l'univers… La trame est placée ; il faudrait parler d'aventure. Se greffent dessus plusieurs intrigues : une histoire d'arrière plan, impliquant Dream et ses frères et sœurs mais à peine esquissée, et plusieurs petites aventures d'ambiance, tout à fait secondaires. Le mélange obtenu détournerait le lecteur anti-comics le plus réfractaire de ses bandes dessinées belges.

Du grand art ! Du bel art ! Du plaisir !

Gaiman est sans conteste un excellent scénariste : tout d'abord de séries (Neverwhere) mais aussi de bandes dessinées. On lui doit Black Orchid, un autre comic et Violente Cases. Il a redécouvert les comics tard, vers 24 ans, avec Swamp Thing d'Alan Moore et Dave MacKean. Il a sans doute eu le temps de forger sa plume de toutes les excellentes références littéraires qu'il utilise. Son génie tient peut-être à l'interprétation personnelle et originale des vieux mythes et des légendes contemporaines. American Gods, son roman considéré comme le plus abouti, réunissait déjà cette modernité époustouflante et ce goût très sûr d'histoires anciennes. Son sens de la dérision et ses connaissances en théologies diverses (nous n'irons pas jusqu'à dire que son amour des histoires bibliques devient une obsession lorsqu'il s'agit d'anges et de démons, mais tout de même…) ont suscité le succès du livre co-écrit avec Terry Pratchett, De Bons Présages. Neverwhere reste son roman le moins littéraire et dont le style a moins de maturité. Et pour cause, c'est non seulement un des premiers mais en plus une adaptation de sa série télé. Il pèche donc par le style, jamais par la structure.

Emigré aux Etats-Unis (Gaiman est anglais), il semble logique que sa créativité ait pu s'exprimer dans les comics, lecture de son enfance… On peut râler un peu : il y a dix tomes et apparemment Delcourt a prévu deux sorties par an. De quoi rugir d'impatience !

Un peu de pub, histoire de rigoler

Le secret de Sandman est une fois de plus, pour Gaiman, dans cette charpente étonnante : découpé en chapitres entrelacés les uns aux autres, il sait parfaitement faire retomber l'action pour mieux créer l'émerveillement, au moment où l'incompréhension ou l'ennui pointe son nez. Le style graphique colle également à la perfection au scénario et aux personnages. Plus travaillé et moins net qu'un trait de comics, le dessin fait appel à de nombreuses références visuelles (reprenant selon les origines des protagonistes le style lié à leur ethnie).

Cette B.D. remporte également le titre envié de " bel objet à offrir "… La couverture, magnifique, porte le sigle du héros, sans lequel un grand mythe ne saurait se créer, chaque personnage de comics ayant son propre symbole, presque son propre logo. Et il est beau, ce logo ! La clé des rêves, clé des enfers, symbole d'éternité… Ce qu'on veut…

Gaiman sait être un dieu et il connaît le diable. Plonger dans son imagination infernale est une bénédiction ; des rédemptions comme ça, au pays du comics, on en demande. On ne dira plus que c'est idiot, si par hasard on ne fait pas partie des fans. Son univers rappelle parfois celui de Terry Gilliam, en plus sombre, en plus direct, en moins controversé, pas encore pris dans le débat du commercial et de la créativité.
Gaiman est un dieu.
Thanks God !

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