Perdue quelque part entre Les Profondeurs de la terre et L'Homme programmé, cette Tour de Verre est un peu oubliée. Elle n'apparaît d'ailleurs guère que dans les plus exhaustives de ses bibliographies. Court roman qui prend place dans la plus faste des périodes de Robert Silverberg, il mérite pourtant bien mieux qu'une attention anecdotique.
Un peu mou au début
Il est vrai qu'on attaque mollement cette histoire de Tour de Babel moderne. Les poussées de fièvre mégalomane de Simeon Krug semblent un peu ternes, et en somme, on s'intéresse assez peu à cette tour de 1500 mètres de haut qu'il s'entête à faire construire pour répondre à d'énigmatiques signaux venus de l'espace. Parti sans grande conviction sur les traces d'une figure classique de self-made man du rêve américain, vous allez tomber sans coup férir dans un guet-apens, et buter, comme par surprise, presque par hasard, sur une intrigue simple, mais d'une richesse d'implications insoupçonnée.
Car si Simeon Krug peut s'offrir le luxe fou de ce chantier titanesque, c'est qu'il est outrageusement riche. Inventeur et seul détenteur du brevet des androïdes, il a libéré ses semblables du fardeau du travail, en lui offrant une race d'humains synthétiques. Une réussite technique telle, que la frontière qui nous sépare d'eux ne tient guère que sur un statut juridique qui les réduits à la condition de simples biens matériels. Un statut évidemment contesté au sein de la communauté androïde. D'un côté les tenants de la solution politique, de l'autre, le clergé de Krug, culte secret à dimension christique, qui professe le temps de la rédemption. Une rédemption que Krug décrétera un jour prochain. C'est du moins ce que croient la majorité des ouvriers androïdes du monde, dont bien-sûr, ceux qui œuvrent à l'édification de la tour de verre.
Message...
Lorsqu'il se prend à démonter les mécanismes de la croyance, Robert Silverberg emprunte bien évidemment à son propre substrat culturel. La position sociale des androïdes n'est pas sans rappeler celle des juifs d'Europe, à la fin du XIXème siècle. De même, l'opposition entre la solution politique et la solution religieuse trouve certainement son origine dans les luttes d'influence auxquelles se livrèrent le Bund et les différentes sectes messianiques pour le contrôle des élites. Cette filiation avec une culture qui lui est familière, rend cette parabole sur la croyance et le pouvoir tout à fait surprenante. On pourra certes lui reprocher d'enfoncer des portes passablement entr'ouvertes, mais en 1970, il était bon de se méfier des gourous, et Robert Silverberg fait clairement passer le message à une génération en quête d'idéal.
La chronique de 16h16 !