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La Ville Froide

B. David (Scénariste, Dessinateur), Thomasine (Coloriste)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/06/2004  -  bd
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La Ville Froide

La collection Poisson Pilote de Dargaud continue d'explorer les terrains de la bande dessinée alternative. Cette BD se distingue de la production mainstream par un ton affirmé, une recherche scénaristique sans concession, et une touche graphique qui n'a pas grand chose à faire des virtuosités manganesques. Avec des grands noms de ce qu'il convient d'appeler un véritable phénomène de société, cette collection ne cesse de surprendre, de ravir les lecteurs en attente d'autre chose. Mais outre les Larcenet, Trondheim et Sfar, cette collection recelle aussi quelques noms moins connus du public mais tout aussi doués. Parmi eux, un certain David B. que l'on a vu au côté de Joann Sfar pour Urani, ou de Christophe Blain pour la série Hiram Lowatt & Placido pour laquelle ses talents de scénariste ont déjà été largement récompensés (Totem BD de Montreuil pour La Révolte d'Hop-Frog, Grand prix de la ville de Genève pour Les Ogres). Après une oeuvre solo plutôt réaliste (L'Ascension du haut-mal, édité par L'Association), David B. impose aujourd'hui son trait à travers un conte oriental dans la Bagdad de l'an 808. Les Chercheurs de trésor constitue, à n'en pas douter, une oeuvre charnière dans la carrière de cet auteur, et la sortie du deuxième tome : La Ville froide, un événement qu'ActuSF ne pouvait pas manquer.

Qui perd son ombre perd son âme

Bagdad s'enfonce peu à peu dans l'inertie : la population, dépossédée de ses ombres par les armées du Prophète voilé, se cherche des coupables. Dans ces conditions, les vieilles rancoeurs trouvent un terrain fertile : les chiites de l'est se dressent contre les sunnites de l'ouest, les Persans s'opposent aux Arabes. Pour le guerrier et ses acolytes, il n'est d'autre alternative que de retrouver le Prophète voilé, qui a visiblement survécu au brasier dans lequel il s'était jeté. Mais la disparition du Bourreau dans La Ténèbre leur fait craindre le pire. A tort, car au plus profond de la nuit magique, le Bourreau fait appel à Azrael, l'Ange de la Mort, et invoque son aide pour vaincre le faux prophète. Azrael lui confie que le Prophète voilé est invincible, tant qu'il se cache dans son ombre. De quoi compliquer une situtation déjà inextricable. D'autant que le Prophète voilé s'en est déjà pris à celle que le Bourreau aime : la princesse Dyia, dont le fils Nasir est désormais entre la vie et la mort, dépossédé de son ombre. Le Bourreau parviendra-t-il à mettre fin aux agissements du voleur d'âmes? Le Guerrier saura-t-il arrêter à temps le conflit qui s'annonce ? Bagdad retrouvera-t-elle ses âmes perdues ?

De toute beauté

David B. frappe un grand coup avec ce conte merveilleux. Le scénario, bien ficelé et sans chichi, fonctionne admirablement et fournit à l'auteur des tas d'opportunités de discuter plus loin que le premier degré ne laisse supposer. En fait, David B. use des mêmes armes pour le scénario et le dessin : un premier degré simple, efficace, même convaincant, mais sublimé par un deuxième niveau de lecture qui en fait un véritable conte. Les personnages, sous leur côté archétypal, déjouent admirablement nos préconceptions, à commencer par le Bourreau, le véritable héros de la série, qui brave la mort pour protéger Dyia.

Pour ce qui est purement du dessin, j'ai été là encore conquis. Le travail sur la composition est localement digne des fresques du palais royal de Bangkok ou de la tapisserie de Bayeux : les planches en pleine page sont savamment agencées, tandis que d'autres exploitent avec art leurs éléments récurrents, liant les cases successives dans des ensembles cohérents qui dénotent de véritables talents d'enluminure. La planche 43 notamment, où l'ombre du bourreau est capturée et forgée pour être transmise au jeune Nasir, est tout simplement splendide avec comme fil conducteur, ici posée en bordure de la page, l'ombre elle-même, étirée en une forme serpentine qui tente de se faufiler entre les bras des protagonistes. L'apparente négation de la perspective est utilisée ici avec beaucoup d'à-propos. La naïveté du trait (la simplicité des regards notamment) n'est là encore qu'une façade, tant la recherche graphique est énorme dans cette série. Les couleurs chaudes contrastent merveilleusement avec les teintes de la nuit d'une Bagdad qui cède peu à peu à la pénombre. Et le lecteur de céder lui aussi à une torpeur où flotte le souvenir du prophète malveillant. Un album de toute beauté.

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