Actusf : Comment est né ce projet ? Et comment vous y-êtes-vous pris pour faire sa biographie, comment avez-vous travaillé ?
Laurent Queyssi : L’envie me titillait depuis longtemps et il me semblait que les biographies et les évocations de la vie de Phil Dick en général manquaient d’image. De façon générale, on a peu d’images de Dick, ce sont toujours les mêmes photos qui reviennent et les vidéos sont encore plus rares. Ce qui est peut-être banal pour un auteur des années 60-70, je ne sais pas trop. Et je trouvais que l’image de l’auteur était donc trop associée à celle des films hollywoodiens auquel son nom est attaché et qui ne me semble pas du tout correspondre à ce que je pouvais savoir du contexte d’écriture des romans en question. Travaillant, en pointillés, depuis une vingtaine d’années sur l’œuvre de Dick, je me suis dit que j’allais oser et que j’allais m’atteler à la tâche d’une biographie, mais en y ajoutant ce qui manquait, à mes yeux : de l’image.
J’ai donc passé deux ans à faire des recherches pour mettre au point le projet en lisant tout ce que je pouvais trouver. Les biographies précédentes, les lettres, des articles éparpillés, les livres écrits par ses ex ou ses ami.es. J’ai rencontré des personnes qui le connaissaient et je suis même allé faire un tour en Californie sur ses traces, histoire de m’imprégner des lieux et de comparer le décor que je voyais avec celui que j’avais fantasmé en lisant les livres. Et ils n’étaient pas si différents, finalement.
Actusf : Vous avez développé l'album en vous intéressant à des moments clefs. Comment les avez-vous choisis ?
Laurent Queyssi : J’ai essayé d’aller de l’anecdotique au « grand moment incontournable » en gardant en tête que ce qui primait restait le récit, la compréhension que pourrait avoir le lecteur de l’histoire que je lui racontais. Les scènes moins importantes pour l’avancée du récit servent à développer le personnage. Mais la plus grosse contrainte restait celle de la place. On ne pouvait malheureusement pas faire une bande dessinée de 300 pages. Même si j’avais largement la matière.
[...]" je garde de lui l’image de quelqu’un de profondément humain et empathique, quelqu’un qui, me semble-t-il a avancé et progressé tout au long de sa vie" [...]
Actusf : L'homme est complexe, c'est peu de le dire. Quel regard portez-vous sur lui après tous ces mois plongé dans sa bio ?
Laurent Queyssi : Je dois vous avouer que j’ai été soulagé lorsque mes cinq ans de travail sur le personnage Dick se sont achevés. Ce n’était pas un travail de tout repos. Mon amour de l’œuvre s’est transformé en une profonde empathie pour l’auteur. Jusqu’ici, j’en avais une image plutôt extérieure, celle d’un écrivain complexe, comme vous dites, mais je n’avais pas mesuré véritablement l’étendue de ses difficultés et de ses souffrances. Sa vie n’a vraiment pas été facile, mais je garde de lui l’image de quelqu’un de profondément humain et empathique, quelqu’un qui, me semble-t-il a avancé et progressé tout au long de sa vie ; ce dont tout le monde ne peut pas se vanter.
Actusf : On y voit à peu près toutes ses petites amies. Quelle place ont-elles eue pour lui dans sa carrière d'auteur ?
Laurent Queyssi : Oh, non, on ne voit que quatre de ses épouses, il y a en eu une autre, brièvement, et j’ai fait l’impasse sur la plupart de ses petites amies. Sans être un homme à femmes, Dick avait une vie amoureuse bien remplie. Il s’énamourait facilement et écrivait alors des lettres magnifiques et très emphatiques. De la drague d’écrivain, quoi.
Chacune de ses femmes a joué un rôle différent dans sa vie, mais il n’est peut-être pas anodin qu’il ait trouvé un véritable équilibre à la fin de son existence, lorsqu’il vivait seul. Peut-être qu’une vie solitaire lui convenait, mais ce ne sont là que conjectures de ma part.
Actusf : Philip K.Dick a eu un succès somme toute assez relatif. Dans l'album, vous lui faites dire qu'il tirait une partie de ses revenus de ses publications en France. Quel rapport avait-il avec notre pays ?
Laurent Queyssi : Il était plutôt ravi du succès qu’il connaissait ici. Il me semble qu’il était plutôt germanophile, mais il a vraiment dit (ou écrit, je ne sais plus) qu’il considérait que la semaine passée à Metz était la plus belle de sa vie. Peut-être qu’il le pensait vraiment, à ce moment-là.
"Honnêtement, c’était une collaboration de rêve. Comme s’il lisait parfois dans mes pensées."
Actusf : Comment avez-vous travaillé avec le dessinateur Mauro Marchesi ? Je pense notamment à des scènes clefs comme le rayon rose. Comment avez-vous choisi de les illustrer ?
Laurent Queyssi : Mauro et moi nous sommes parfaitement entendus (il faudrait aussi lui poser la question). Il a très vite compris le parti-pris du livre et le rythme que je voulais donner. Au bout d’un moment, une fois la confiance installée, tout est devenu d’une extrême facilité. Honnêtement, c’était une collaboration de rêve. Comme s’il lisait parfois dans mes pensées.
Au départ, le livre ne devait pas être en couleur et en bichromie et j’avais décidé d’entrée que la double page sur les hallucinations lorsqu’il est allongé dans son lit serait la seule en couleur. Puis l’éditeur, emballé par ce qu’il lisait, nous a proposé de tout mettre en couleurs. L’effet est donc absent, mais c’est sans doute pour le mieux.
Pour la scène de l’anamnèse, nous avions un prédécesseur de taille : Robert Crumb. J’ai un temps envisagé de reprendre telle quelle une case de son récit sur l’expérience mystique de Philip K. Dick pour montrer que nous savions très bien qu’il existait et lui rendre hommage, mais c’était un peu gratuit, alors j’ai fait comme je l’aurais fait si je n’avais jamais lu l’histoire courte de Crumb. Mauro et moi avons fait notre truc.
Actusf : Vous avez beaucoup travaillé autour de Philip K.Dick. A-t-il une influence sur votre propre production littéraire ?
Laurent Queyssi : Je ne crois pas. C’est paradoxal, parce que c’est sans doute son œuvre que je connais le mieux, peut-être même mieux que la mienne. Mais nous ne travaillons pas du tout la même matière, les mêmes thèmes. Il y a peut-être une influence diffuse dont je ne me rends pas compte, mais alors elle m’a échappée. Je me sens plus proche, sur le plan thématique (et sans leur arriver à la cheville), d’auteurs comme Harlan Ellison, Paul Di Filippo, Daryl Gregory ou Howard Waldrop pour n’en citer que quatre.
Actusf : Est-ce qu'il y a d'autres biographies que vous aimeriez faire en BD ?
Laurent Queyssi : Oui. Une. Un autre écrivain américain à la vie aussi folle que celle de Dick. Mais je ne sais pas si je suis prêt à replonger sur un projet d’une telle ampleur aussi vite.
Actusf : Quels sont vos projets, et sur quoi travaillez-vous ?
Laurent Queyssi : Plusieurs projets de bd à divers stades d’avancement. Et un gros roman en cours. Je compte bien faire une autre bd avec Mauro et nous réfléchissons déjà à quelque chose. Niveau sorties, mon roman Moloch, pré-publié sur carbone.ink, paraîtra en avril.
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