Actusf : L’Autre moitié du ciel, votre nouveau recueil, sort prochainement chez Mü Editions. Comment est-t-il né ?
"Je souhaitais mettre en scène des histoires de femmes, plus ou moins dures, plus ou moins drôles. C’est le dernier recueil de textes que Yal ait corrigé."
Sara Doke : L’Autre moitié du ciel est né il y a plusieurs années et devait être publié par une maison d’édition défunte. Le recueil est né de la constatation qu’une grande partie de mes textes courts ou moins courts parlaient de féminin ou de féminisme. J’en ai écrit quelques autres pour le compléter, dont une réécriture de plusieurs contes de fées d’un point de vue militant. Je souhaitais mettre en scène des histoires de femmes, plus ou moins dures, plus ou moins drôles. C’est le dernier recueil de textes que Yal ait corrigé.
Ensuite, le travail avec Li Cam puis avec Davy Athuil a été passionnant, tendre, enrichissant, nous avons revu, retravaillé chaque texte pour le rendre le meilleur possible, éliminer mes tics d’anglophone par exemple, mettre en avant certains thèmes. C’est un souvenir merveilleux.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue de L’Autre moitié du ciel ?
"J’ai voulu donner ma plume à une chose dont peut d’autrice parlent : la féminité, le corps, le sensoriel, la douceur, la peur et le rejet, le vieillissement, l’enfantement, le refus d’enfanter, l’amour aussi."
Sara Doke : Le recueil parle de féminité et de féminisme. Oscille entre cruauté, critique et humour. Sans m’en rendre compte en cours d’écriture, j’ai écrit des femmes de toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les orientations, des situations, des regards, des ressentis. J’ai voulu donner ma plume à une chose dont peut d’autrice parlent : la féminité, le corps, le sensoriel, la douceur, la peur et le rejet, le vieillissement, l’enfantement, le refus d’enfanter, l’amour aussi. Lorsque ma première nouvelles, Miroir de mon âme est sortie en 2000 dans Cosmic érotica, j’ai réalisé que les autres écrivaines (nous étions 17, de toutes les nationalités, de tous les genres), dans leur majorité, n’avaient parlé que de sexe et de violence alors que l’anthologie proposait aussi de parler d’amour. Quand un homme parle d’amour ou de sensuel, on admire sa sensibilité, pour une femme, l’exercice est plus dangereux, on trouvera cela charmant, par exemple. J’ai souhaité dépasser cela, écrire l’intime en quelque sorte.
Actusf : Des filles. Des femmes. Des mères. Des sorcières. Des guerrières, mais surtout des héroïnes. Les femmes sont au cœur de cet ouvrage. Comment les avez-vous créées ?
Sara Doke : Cela dépend, d’une nouvelle à l’autre. Certaines me sont venues des mythes ou des contes de fées, d’autres rassemblent les caractéristiques de femmes que j’ai rencontrées, d’autres encore sont des parties de moi, de mon histoire, de mes peurs, de mes angoisses ou de mes joies, de mon rapport au monde en quelque sorte. La plupart sont apparues parce que le texte les appelait, parce que le thème que je voulais aborder avait besoin d’elles. L’histoire des femmes me passionne depuis 35 ans, je possède une grande bibliothèque à ce sujet, que ce soit de l’historique, de la sociologie, de la politique. Elle fait partie de moi, de ce qui me constitue.
Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspirations pour ces récits ?
Sara Doke : Les contes, les mythes, l’actualité, le questionnement, le féminisme, le féminin, tout ce qui nous construit et nous colle à la peau. Certains textes sont partis d’autres nouvelles que j’avais décidé de fragmenter, d’autres sont des réflexions sur les rapports humains, les désirs et les engagements, sur mes rencontres aussi, sur les femmes qui m’ont faite.
Actusf : Y-a-t-il une part de vous en elles ? Laquelle ?
"Et les quatre portraits qui rythment les récits sont ceux des femmes qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui, ce que j’ai choisi, ce que j’ai refusé. Des femmes d’images quand je suis une femme de mots."
Sara Doke : C’est sans doute le livre le plus intime que j’aie jamais écrit. J’y suis quasiment partout, par petites touches ou à grandes flaques de couleurs. Et je m’y suis découverte a posteriori, en relisant, réalisant alors tout ce que j’y avais mis de moi.
Et les quatre portraits qui rythment les récits sont ceux des femmes qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui, ce que j’ai choisi, ce que j’ai refusé. Des femmes d’images quand je suis une femme de mots.
Actusf : En avez-vous une préférée ? Pourquoi ?
Sara Doke : Je les aime toutes mais j’ai sans doute une préférence pour deux d’entre elles, La Femme du miroir et Lire ou mourir. Parce qu’elles parlent de moi, parce qu’elles parlent de nous, parce que, lorsque je les ai fait lire à des hommes ou des femmes, ils s’y sont retrouvés, immédiatement.
Actusf : Comment travaillez-vous ? Établissez-vous un plan précis ou laissez-vous votre plume vous guider ?
Sara Doke : Pour les nouvelles, je ne fais jamais de plan, je laisse l’envie et la plume divaguer, construire l’histoire et le texte. Sauf peut-être pour L’enfant sans nom pour lequel j’ai établi non pas un plan mais une carte, celle du cheminement de l’enfant venant du nord de l’Écosse pour rejoindre Camlan.
Pour l’écriture de mon roman, par contre, j’ai eu besoin de jalons. De très laconiques jalons pour guider la plume, pour savoir où j’allais, ce qui devait se passer pour chaque chapitre… et je ne les respecte pas toujours.
Actusf : Pourquoi choisir d’écrire de l’imaginaire ? Est-ce plus simple pour parler de certains sujets ?
"C’est une manière de parler de la réalité, du présent, du global, en faisant un pas de côté, c’est une lettre persane."
Sara Doke : L’imaginaire est dans mon sang, dans mes gènes. J’en ai toujours lu, mes parents sont de grands lecteurs, et particulièrement de science-fiction. Je ne pouvais pas écrire autre chose. C’est une manière de parler de la réalité, du présent, du global, en faisant un pas de côté, c’est une lettre persane. Selon moi, la littérature générale est généralement anecdotique, incapable de voir la globalité, le monde en soi.
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Sara Doke : Je suis en train de terminer La Complainte de Foranza pour les éditions Leha, un mélange de fantasy historique décalée, de steampunk, de thriller qui met les femmes en avant. Le personnage principal reste la cité elle-même mais aussi toutes les femmes qui la vivent et la construisent, l’enquêtrice, les artisanes, les combattantes, les ouvrières, les prêtresses des fées.
Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Sara Doke : Je serai à Trolls et Légendes du 19 au 21 avril, aux Intergalactiques du 26 au 28 avril et aux Imaginales du 24 au 27 mai. Il y aura aussi une soirée de lancement à Liège chez Livres au trésor dont je ne connais pas encore la date.