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Le billet de Jean-Luc Triolo -1
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Le billet de Jean-Luc Triolo -1

Comme Obélix l’a fait avec la potion magique, je suis tombé il y a longtemps dans le chaudron de la fantasy. Depuis, son influence me suit partout, au point que j’ai jugé utile d’y consacrer un bulletin bibliographique, Les Chroniques d'Ailleurs, initié en 1994, que ce site propose en téléchargement et en consultation gratuite à chaque parution, ainsi que deux blogs visibles aux adresses suivantes : http://fantasyindex.blogspot.com et http://fantasyindexauteurs.blogspotcom.

Pour moi, qui ai découvert les premiers Conan de Howard aux éditions Spéciales de Jean-Claude Lattès dans les années 70, et qui ai attendu de pouvoir acheter les 3 tomes du Seigneur des Anneaux publiés chez Christian Bourgois dans cette même période, l’explosion de la Fantasy en France aujourd’hui est un véritable bonheur, bien que l’abondance des productions à chroniquer me pose parfois pas mal de problèmes.
Béni soit donc le Seigneur des Anneaux de Jackson et autres Harry Potter, qui ont servi de révélateur pour le grand public et Bragelonne qui a su s’engouffrer dans une brèche qui ne demandait qu’à être agrandie.

Succès oblige, on publie à présent de la Fantasy tout azimut (en particulier du côté de la jeunesse et des Bandes dessinées) et, bien entendu, comme dans tous les genres littéraires, il y a du bon, du très bon, de l’excellent, mais aussi du mauvais et du pire. Toutefois, bien que je comprenne parfaitement que l’on puisse ne pas aimer certains textes de Fantasy, je ne comprends pas que l’on condamne le genre dans son ensemble. C’est trop facile et cela traduit un manque de sens critique flagrant. L’exemple le plus représentatif est celui du qualificatif « fascisant » que l’on attribue généralement parmi ces détracteurs-là, au genre par excellence. Bien sûr, l’apologie de la force virile (Conan de Howard), la machisme exacerbé (le cycle de Gor de John Norman) et d’autres idées réactionnaires se retrouvent dans les récits d’heroic fantasy. Mais il y a également l’humanisme d’un Simak, le romantisme ténébreux de l’Elric de Moorcock, l’astuce et l’humour de Fafhrd et du Sourcicier gris chez Leiber, l’exotisme d’un Vance ou d’un Sprague de Camp, la richesse d’évocation d’une Marion Zimmer Bradley et j’en oublie beaucoup d’autres, notamment les têtes de file de ces dernières années tels que Terry Pratchett, Tad Williams, Robert Jordan, David et Leigh Eddings, Robin Hobb, etc., etc.

Cette mise au point faite, je n’ai donc plus qu’à me consacrer à la véritable finalité de cette rubrique : vous parler de quelques livres que j’ai découverts, et que j’ai appréciés.

Pour ouvrir le bal, j’ai choisi la Fantasy pour la jeunesse avec Eon et Le douzième dragon de la romancière australienne Alison Goodman.

Terre du fantastique par excellence, la Chine n’a pas manqué de servir d’inspiration à des auteurs talentueux tels que l’américo-irlandais Lafacadio Hearn, l’asiatique Wu Ch’eng En avec son Pèlerinage en Occident, ou encore Barry Hughart et sa trilogie La Magnificence des oiseaux, La Légende de pierre et Huit honorables magiciens, pour ne citer qu’eux, tandis qu’au cinéma on trouve, par exemple, La Légende des poignards volants et sa fabuleuse chorégraphie de combats. Parallèlement, du côté jeunesse on découvrait Lian Hearn et son cycle du Clan des Otori (Gallimard) ou le cycle de Liu de Caroline Wilkinson (Bayard). Aujourd’hui, l’éditeur Gallimard et son département jeunesse, publient conjointement avec les éditions de La Table Ronde ce récit empruntant sa thématique de base aux récits de dissimulation de féminité, comme l’a fait déjà par exemple le cycle du Royaume de Tobin de Lynn Flewelling (Pygmalion).

L’histoire racontée est celle d’Eon, jeune garçon de douze ans, en qui son maître, l’ambitieux Heuris Brannon, a placé tous ses espoirs en dépit de l’infirmité qui handicape l’une des jambes de son protégé. Le récit se déroule dans une Chine mythique dominée par douze dragons capables de manipuler l’énergie présente en toutes choses, le Hua. Chaque début d’année l’un des dragons devient ascendant pour les douze mois suivants et, à cette occasion, il doit se choisir un apprenti. Or, c’est le tour du Dragon Rat de désigner cet élu au cours d’une prestigieuse cérémonie pour laquelle des jeunes gens triés sur le volet, dont Eon, s’entraînent depuis de nombreuses années. Cependant, le puissant Seigneur Ido a suffisamment intrigué pour devenir le nouvel Œil du Dragon Rat. Mais il n’a pas prévu le réveil du Dragon Miroir, une créature disparue depuis plus de 500 ans, qui fait une réapparition spectaculaire pour insuffler son énergie à un Eon quelque peu dépassé par les événements. Car, en obtenant cette investiture inattendue et privilégiée, il se retrouve englué au cœur des intrigues fomentées par le Grand Seigneur Stehon, le propre frère de l’empereur, qui contrôle le Conseil des Dragons par l’intermédiaire d’Ido ainsi que l’armée, et qui veut profiter de la maladie de l’empereur et de la jeunesse du prince Kygo pour prendre les rennes du pouvoir. Un rôle d’autant plus difficile à tenir qu’Eon dissimule un dangereux secret : il est en réalité Eona, une jeune fille de seize ans à qui son sexe interdisait de concourir au statut d’apprenti - l’accès de la magie des Dragons étant en effet strictement réservé aux hommes. Dés lors, nous sommes entraînés dans une histoire aux multiples circonvolutions dont la complexité rend à merveille l’atmosphère feutrée de la Chine Impériale telle qu’on l’imagine. Sortant des sentiers battus de la fantasy pour la jeunesse, ce livre, remarquablement écrit (même si quelques uns se plaindront du luxe de détails et de descriptions que contiennent ses pages) a le privilège de présenter une héroïne peu sûre d’elle-même et des choix qu’elle adopte, tout en brossant autour d’elle une galerie de personnages symbolisant les catégories opprimées de la Chine d’alors : des femmes, des infirmes, des eunuques et un travesti.

Un roman original dans lequel on n'entre pas forcément tout de suite, mais que l’on a du mal à refermer lorsqu’on a su s’imprégner de la lenteur voulue d’une intrigue dont Alison Goodman a patiemment brodé la trame en s’inspirant de ses voyages au Japon et à Hongkong et de la culture japonaise à laquelle l’a initiée sa tante Nachie, originaire de ce pays.

Jean-Luc Triolo

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