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Le billet de Jean-Luc Triolo -10
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Le billet de Jean-Luc Triolo -10

Pour ce bulletin d’automne avancé je me ferai un plaisir de me calquer sur la couleur des feuilles mortes évocatrices de flâneries et nostalgie pour profiter de la réédition dans la collection Folio SF de Gallimard des Aventures de Northwest Smith pour laisser divaguer ma plume sur les traces de cet aventurier des mondes perdus comme la SF américaine du milieu du vingtième siècle se plaisaient à nous offrir au rythme des parutions des pulps au couvertures aguichantes et colorées. Lorsque le personnage de Northwest Smith prit forme dans l’esprit de Catherine L. Moore ce fut, à l’origine sous l’apparence d’un hors-la-loi de l’Ouest possédant un ranch appelé le Bar-Nothing. En effet, dans cette période de sa jeunesse, Catherine L. Moore écrivait en majorité des histoires mettant en scène des Robins des Bois, des Lancelot, des Tarzans et des Rois. Cependant, l’achat de son premier Amazing Stories l’a poussa à catapulter ce héros en herbe dans les étoiles pour y vivre des aventures aussi multiples que passionnantes. Rien d’étonnant à cela quand on saura que les goûts littéraires de Catherine L. Morre allaient à des auteurs comme Robert Howard, Edgar Rice Burroughs et H.P. Lovecraft. Dés le début les nouvelles consacrées à Northwest Smith obtinrent un énorme succès dans Weird Tales où les lecteurs les mettaient à un rang d’égalité avec des textes signés Robert Howard, Clark Ashton Smith, Jack Williamson, Edmond Hamilton, et bien d’autres. Northwest Smith est une sorte d’aventurier de l’espace qui, fulgurant au poing, affronte les entités dévorantes hantant les sombres interstices des Trois Mondes : la Terre, Mars et Vénus. Longtemps les lecteurs de Weird Tales, le magazine de Farnsworth Wright, crurent que ce héros viril était du à la plume faconde d’un homme. Et aussi bien la rédaction de la revue que Catherine L. Moore elle-même ne firent rien pour dissiper cette erreur. Pourtant, comme le souligne très bien Alain Dorémieux dans son introduction au Livre d’Or consacré à Catherine L. Moore & Henry Kuttner : « Northwest Smith est loin d’être le mâle triomphant qu’on pourrait imaginer. Il apparaît les plus souvent démuni et désarmé, placé en position de faiblesse et sauvé du pire uniquement par le hasard des événements ». Bien souvent au cours des nouvelles qui vont suivre nous le verrons confronté à des créatures non-humaines envoûtantes et démoniaques qui le dépassent et plongé dans une soumission extatique dont, la plupart du temps, seules des interventions extérieures pourront le tirer. Et encore gardera-t-il toujours une perverse amertume au fond de la bouche et un goût de revenez-y fortement prononcé.

Tel est le cas pour la nouvelle qui ouvre ce recueil, Shambleau, narrant sa rencontre dans les rues de Laddkarol, la plus récente colonie terrienne de Mars, d’une créature vampirique tirant sa nourriture des forces vitales des hommes. Le succès de la nouvelle lors de sa parution aux Usa fut telle que Farnsworth Wright décréta un jour de congés supplémentaire en l’honneur de Catherine L. Moore. En France, bien que traduite vingt ans plus tard, on fut également sensible à son côté fantastique horrifique né d’un cocktail mêlant harmonieusement la mythologie, la violation des interdits, le suspense le plus angoissant qu’il soit, et l’horreur sexuelle poussée dans ses plus extrêmes limites. La soif noire, seconde nouvelle du recueil, envoie Northwest Smith sur Vénus où il vient en aide à la ravissante Vaudir, l’une des vierges de la citadelle de Minga, s’opposant ainsi à l’Alendar, descendant d’une race venue d’une autre planète qui élève les femmes comme terrain de culture afin d’assouvir le besoin dévorant de beauté dont il se nourrit.  Rêve écarlate (Songe vermeil dans une précédente traduction), le troisième récit du cycle nous entraîne dans le marché martien de Lakkamanda où notre héros fait l’acquisition d’un étrange châle dont le motif écarlate ouvre la porte vers le Pays des Rêve. Un lieu d’où l’on ne revient pas, mais dont Northwest Smith finira par partir grâce au sacrifice d’une jeune humaine tombée amoureuse de lui.

La nouvelle suivante, La poussière des dieux, représente la première histoire où le Vénusien Yarol, le grand ami de Northwest Smith, intervient de bout en bout. Ensemble ils partent en quête d’une poussière mythique dont les résidus seraient à même de ramener le dieu Pharol de son lointain asile de l’espace et du temps. Heureusement, ils la détruiront pour éviter de lâcher cette entité démoniaque sur le monde. Julhi, le texte qui enchaîne, voit Northwest Smith drogué se retrouver prisonnier d’une créature non-humaine avec une œil de cyclope et corps à la souplesse serpentine dont le peuple s’abreuve du sang des hommes afin d’obtenir les sensations et les émotions renouvelées dont il sont constamment friands. Une émule de Shambleau qui lui donnera encore beaucoup de mal, notamment à travers la fascination hypnotique qu’elle exerce sur ses victimes. La nymphe des ténèbres, illustrée par Catherine L. Moore lors de sa parution en magazine, est la première nouvelle du cycle écrite en collaboration, La quête de la pierre-étoile écrite avec Henry Kuttner où Northwest Smith et Jirel de Joiry se rejoignent étant la seconde. Forrest J. Ackerman founit l’idée de Nyasa, une jeune fille invisible qui appelle Northwest Smith à son secours. Celui-ci va lui venir en aide avant d’apprendre qu’elle est la ravissante fille d’un Dieu Obscur régnant sur un monde Ténébreux où il lui a permis d’accéder. Le dieu gris et froid conduit Smith à Righa, une ville polaire de Mars où il entre au service de Judai la mort vivante afin de récupérer un mystérieux coffret, en réalité une porte d’où s’échappe le Dieu Gris revenu sur Mars pour inonder la planète de sa maléfique essence. Heureusement, au prix d’une terrible combat, l’âme de Northwest parviendra à renvoyer cet être démoniaque d’où il venait. Yvala voit le retour de Yarol le vénusien pour une aventure où les deux hommes, parti en quête d’une race de femmes merveilleuses sur un satellite de Jupiter, seront confrontés à Yvala, incarnation des mythes conjugués des sirènes et de Circée, qui se délectent d’humanité et à qui ils échapperont de justesse.

Paradis perdu
renvoie pour la première fois Northwest Smith sur Terre, son monde d’origine, où il fera une courte escale car l’essentiel de l’action se situe sur une Lune d’un lointain passé dotée d’une atmosphère où il hantera l’esprit d’une habitant afin de vaincre d’anciens dieux maléfiques avec l’aide du vénusien Yarol à l’origine et à la conclusion de cette aventure. L’arbre de vie voit un Northwest Smith poursuivi par la Garde Interplanétaire qui se réfugie dans un temple en ruine. De là, de nouveau attiré par une femme assujettie à une créature démoniaque, il est projeté dans un sombre pays où règne le démon Thag ancré dans le monde réel grâce aux racines de l’Arbre de Vie plantées dans la terre martienne. En les détruisant il éloignera ce danger des Trois Mondes. La femme-garou, jusque là pas traduite en français, confronte notre héros blessé sur un monde perdu à une horde de loups-garous femelles. Epargné par la louve dominante, il finit par sauver un peuple fantomatique asservi par une ancienne malédiction. Il s’agit là du seul texte refusé par Farnsworth Wright, en fait le second dans l’ordre chronologique après Shambleau. Enfin Chanson sur un mode mineur est un court récit nostalgique de quatre pages où Northwest Smith revient sur son passé, dont il n’est pas toujours très fier, et parvient à la conclusion que sa destinée était toute tracée et qu’il n’aurait rien pu y changer, même en revenant en arrière. Un recueil bénéficiant d’une traduction révisée de Sophie Collombet par rapport à l’ancienne de Georges H. Gallet, qui permettra a beaucoup de lecteurs de faire la connaissance d’un héros bien sombre de la Fantasy de l’âge d’or des pulps apparu bien avant le Elric de Moorcock et contemporain du Solomon Kane de Howard. Un livre qui bénéficie en outre d’une préface inédite de Serge Lehman mettant en valeur le temps où, dans l’esprit des américains, la France était encore une terre de profond mystères.


Pour le second titre dont je voudrai parler, nous allons quitter des territoires plutôt dédiés à la space fantasy chère aux Edgar Rice Burroughs de John Carter ou au Cycle de Mars de Leigh Brackett pour revenir vers la matière elfique avec la publication chez le petit éditeur La Clef d’Argent d’un court roman de Sylvie Huguet, Le dernier roi des elfes. Adoptant la thématique du texte dans le texte, Sylvie Huguet, qui a déjà publié plus dune centaine de nouvelles dans des revues telles que Nouvelle Donne, Solaris, Brèves, le Codex Atlanticus, etc…, nous propose une histoire venue du futur qui atteste l’existence des elfes et en donne pour preuve la reproduction d’un manuscrit accompagné des notes de son découvreur, l’archéologue Sandwell. Ce récit raconte l’aventure de Lindyll, un enfant humain recueilli par Ilgaël, roi d’lmoor, et dernier souverain des elfes à un époque où les armées humaines conduites par le roi Louis repoussaient toujours un peu plus loin les frontières du domaine des elfes, abattant les arbres de leurs forêts, tuant les loups leurs alliés, s’emparant de l’ivoire des licornes et réduisant les trolls à l’impuissance. Mais avant que les racines de l’arbre d’Yggdrasil soient à jamais chassées des terres des hommes, il y eut ces dernières batailles où s’illustra Lindyll, l’homme elfe, s’efforçant de convaincre sa race d’origine de conclure une paix juste avec le peuple des forêts. Mais son entreprise était vouée à l’échec car les hommes avaient décidé d’exterminer les elfes car leur Dieu leur avait promis le monde et ils devaient faire périr ces démons par le fer ou par le feu. Dés lors la torture fut sa seule récompense.

Prolongement d’une nouvelle, L’anneau d’Ilthiar, publiée en 2001 dans le numéro 50 de la revue Chimères de Josiane Kieffer, ce court roman aurait pu s’intituler Le crépuscule des elfes, tant il baigne dans une oppressante ambiance fin de règne rendue encore plus pesante par l’intimité des rapports père-fils et par la surenchère dont doit faire preuve Lindyll afin de prouver sa loyauté à son peuple d’adoption, prouvant une fois de plus tout le talent de Sylvie Huguet à décrire dans un style admirablement ciselé où chaque mot compte les noirs méandres de l’âme, humaine, ou elfique, comme elle a su si bien le faire dans son recueil La vraie nature du croquemitaine publié conjointement par Le bruit des autres et Encres vagabondes en 2009. Rédigée dans une écriture volontairement travaillée et empreinte d’une profonde mélancolie cette histoire toute en noirceur nous rappelle parfois certains passages des Chroniques des elfes de Jean-Louis Fetjaine, tout en entretenant un certain parallèle avec l’extermination des indiens d’Amérique du Nord (mise en avant de la fécondité des humains par les roi des elfes, plus on en tue et plus il en arrive). Mais il a également le mérite de sortir le peuple de la forêt de l’image assez mièvre où il est parfois cantonné, rappelant qu’il peut faire preuve d’autant de cruauté que son adversaire qui, l’Histoire humaine l’atteste, n’est pas en reste dans ce domaine. C’est donc un petit livre qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de la collection KhRhonyk destinée à accueillir les Chroniques merveilleuses et terrifiantes de royaumes de l’imaginaire et dont la lecture conviendra parfaitement à tous ceux qui hésitent à se lancer dans les gros pavés où les cycles à rallonge lots communs de la Fantasy contemporaine.

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