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Le billet de Jean-Luc Triolo -15
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Le billet de Jean-Luc Triolo -15

Trois récits ont particulièrement attiré mon attention dans le domaine qui nous intéresse en ce mois de mars, deux de SF et un autre de Fantasy.
  
Le premier est publié dans la collection Folio SF des éditions Gallimard, et il s'agit de La vie secrète et remarquable de Tink Puddah de Nick DiChario (A small and remarkable Life, 2006 – Tr. : Claudine Richetin – Couv. : Bruno Wagner – Préface : Pierre Pelot). Auteur d’une quarantaine de nouvelles aux États-Unis, Nick DiChario avait déjà fait paraître ce roman aux éditions Télémaque, trop confidentielles pour toucher vraiment l’ensemble des lecteurs dévolus au genre. Il est vrai que les aficionados des envolés lyriques de la SF, style space opera à la Star Wars ou techno-écolo à la Avatar resteront sur leur faim. Par contre, les fans de SF intimiste qui ont apprécié des films tels que L’Homme venu d’ailleurs avec David Bowie ne bouderont pas leur plaisir. En effet, grâce à son écriture ciselée, Nick DiChario nous invite à nous enfoncer dans une Amérique campagnarde et profonde capable de surpasser ses bons vieux préjugés lorsqu’elle se trouve en face d’un individu doué d’un remarquable don d’adaptation. Usant d’un procédé à la Colombo, on connaît déjà la fin du livre (ou plutôt on croit la connaître) dès les premières pages, l’auteur sait habilement faire monter en puissance le point de vue de Jacob Persol, un pasteur de circonstance fier de sa paroisse et de ses ouailles, qui nous aide à découvrir la vie et les actions remarquables d’un extraterrestre à la peau bleue qui n’a rien à voir avec le ET de Spielberg, si ce n’est sa capacité à gagner rapidement la confiance et les égards de son proche entourage. Livré à lui-même alors que ses parents sont morts en arrivant sur Terre, Tink Puddah, après un passage plutôt mouvementé au sein d'une famille adoptive au cœur des forêts de la Pennsylvanie, devra apprendre à faire accepter aux autres sa difformité et la couleur bleue de son épiderme dans un pays où le simple fait d'être noir vous met en danger de mort. Conduit comme une enquête policière, le récit alterne habilement les flash-back sur les premiers pas douloureux d’un Tink confronté à la brutalité de notre condition humaine face à laquelle il oppose une arme sans appel : son intelligence et sa gentillesse à toute épreuve. C’est donc sans retenue que nous nous joignons aux louanges de l’éditeur en quatrième de couverture, parlant pour ce roman d’un livre original et poignant qui aborde sous l’angle d’une densité émotionnelle plus qu’enrichissante le récit de contact extraterrestre, nous proposant ainsi une réflexion sur l’approche de la différence totalement imbriquée dans certaines de nos préoccupations contemporaines.
 
 
Le second s'intéresse à la SF francophone avec Vegas Mytho de l'incontournable Christophe Lambert, paru chez Pocket SF et reprise d'un Fleuve Noir, 2010 (320 p., 7,60 € – Couv. : Bruno Wagner). Les dieux existent et Thomas Harlson les a rencontrés. Personnage à la Ellroy vivant dans le Greenwich Village de l'Amérique de l'année 1957, sa trajectoire d'écrivain désœuvré l'amène à croiser celle de Sofia Stamatis, une jeune et riche héritière qui l'entraîne à Las Vegas pour l'inauguration de l'Olympic Winner, le Casino dirigé par son auguste famille, qui cache en vérité des descendants de l'Olympe ayant quelque peu perdu de leur panache. Exilés sur Terre, ils y vivent incognito, tout en détenant encore quelques parcelles de pouvoir qui pourraient facilement les transformer en protagonistes de la série Heroes chère aux adolescents. Cependant, ils n'ont rien perdu de leurs rivalités ancestrales, notamment celle qui oppose des mythologies différentes. Voilà pourquoi, les Nasrallah, famille formée par des divinités de l'ancien panthéon égyptien, n'accueillent pas avec enthousiasme l'inauguration de l'Olympic Winner construit juste en face leur propre Casino. Des agissements qui n'ont pas manqué d'attirer l'attention de la Mafio ainsi que du FBI de John Edgar Hoover. Dès lors, Thomas Hanlon se trouve embarqué avec son entourage dans une suite de règlements de compte où les pouvoirs divins se mélangent allègrement aux bons vieux ravages de l'artillerie humaine s'en tirant à merveille pour effectuer le travail quotidien de la Dame Faucheuse. Harmonieuse hybridation de fantastique et de roman noir symbolisé par la création des personnages des dieux mafieux, ce roman, mis quelque temps en sommeil à la suite de la parution d'American Gods de Neil Gaiman, avec qui il entretient une lointaine parenté, déroule son intrigue avec la facilité d'une bobine cinématographique débordante d'action mettant en scène des dieux profondément humains qui n'hésitent pas à se mêler des affaires des hommes, même les plus louches, non pour les régenter, mais plutôt pour en tirer un substantiel profit. Copiant ainsi des préoccupations bien terre-à-terre dignes du plus commun des Mortels, ils finissent par remplir totalement le contrat de base voulu par Christophe Lambert, c'est à dire : « Raconter l'histoire du Parrain, mais cette fois en y ajoutant l'ingrédient des super pouvoirs. »
 
 
Le troisième enfin s'apparente à un genre que j'ai baptisé l'Aventure Fantasy, quête conduite par héros charismatiques, jeunes le plus souvent, fertile en combat et en magie. C'est Le Mur de la nuit de Helen Lowe (421 p., 21,90 € – The heir of night 1.The wall of night, Eos, NY, 2010 – Tr. : Guillaume Fournier – Couv. : Silas Manhood – Carte : Peter Fitzpatrick) premier tome du cycle de L'Héritière de la nuit, paru dans la collection Orbit des éditions Calmann-Lévy. Si la nuit tombe... tout tombe, telle est la sinistre mise en garde qui court à travers les murs du Château des Vents, la forteresse ancestrale de la Maison de la Nuit. Une prophétie aussi vieille que l'Alliance Deraï, une race venue des étoiles et dont les Neuf Maisons ont investi le monde Tairre afin de défendre le Mur-bouclier, immense chaîne de montagnes qui les protège de l'Essaim des Ténèbres qui, après une première défaite due au sacrifice de l’héroïne Yorindesarinen, fourbi sournoisement ses armes afin de resurgir pour tenter de conquérir le monde. Face à eux se dresse cependant la jeune Malian, l'héritière de la Nuit, fille du Comte de la Nuit, qui ne maîtrise pas encore toute l'étendue de ses pouvoirs, et qui pourtant devra combattre en première ligne lors de l'attaque menée contre le Château des Vents par des chasseurs-garous accompagnés d'un redoutable Rapace des ténèbres avide d'âmes humaines. Aidée par Kalan, le jeune prêtre, et par le retour du Feu Doré, la puissance magique que seuls les Deraïs que l'on appelle le Sang, c'est-à-dire les Comtes des neuf maisons et leur proche descendance, pouvaient invoquer, elle parvient à repousser l'ennemi, mais se retrouve perdue dans les ténèbres. Désormais une terrible course contre la montre s'engage entre les créatures de l'Essaim et les meilleurs guerriers de son père afin de la retrouver. Parmi eux, elle peut compter sur l'aide indéfectible d'Asantir, la capitaine de la Garde d'Honneur, d'Haimyr, le mystérieux ménestrel, de Nhairin l'intendante attentionnée auxquels sont venus se joindre deux visiteurs inattendus, Tarathan d'Ar et Jehane Mor, deux Hérauts d'une Guilde aux puissants et obscurs pouvoirs magiques venus apporter un message important au Comte de la Nuit et désormais étroitement impliqués dans la bataille contre les forces de l'Essaim de Ténèbres. Perdue dans les profondeurs du Vieux Château, Malian s'attardera un temps auprès du feu de l'héroïne Yorindesarinen qui tracera les lignes de son destin fait d'embûches et de questionnements, mais qui l'entraînera à devenir l'ultime rempart contre le déferlement de l'Essaim, gigantesque nation constituée de créatures monstrueuses qui ne rêvent que d'étendre leur démoniaque emprise à travers le monde de Tairre et le reste des étoiles. Forcée de quitter son pays et les abords du Mur de la Nuit, Malian, escortée par Kalan le novice et par une petite troupe de compagnons d'armes, devra se lancer dans une aventure trépidante afin d'approfondir ses connaissances des pouvoirs anciens et de mieux contrôler ceux que lui ont conféré son héritage et qui en font une cible primordiale des créatures d'au-delà du Mur. Distillant peu à peu au fil des péripéties des détails sur l'histoire du peuple Deraï, des guerres civiles, des trahisons, et des massacres qui ont fragilisé l'Alliance des Neuf Maisons et créé un fossé presque infranchissable entre les Guerriers et les Prêtres, Helen Lowe construit un roman palpitant qui, bien que rappelant le background de la série du Trône de Fer de George R. R. Martin à travers la gigantesque muraille qui protège des forces du Mal, s'en détache rapidement pour plonger le lecteur au cœur d'un récit sans temps morts aux personnages bien campés qui donnent un incontestable souffle à cette histoire épique que l'on quitte à regret en tournant la dernière page, tout en espérant que les éditions Orbit nous en offrent rapidement la suite. On ne peut que les remercier de nous avoir fait découvrir cette romancière venue de Nouvelle-Zélande, dont c'est ici le premier cycle adulte publié et qui a obtenu pour ce livre le Sir Julius Novel Awards, prix néo-zélandais le plus recherché dans le domaine de la Fantasy.
 
 
Jean-Luc Triolo

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