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Le billet de Jean-Luc Triolo -2
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Le billet de Jean-Luc Triolo -2

Après un première intervention qui nous a permis de faire connaissance, voici de nouveaux quelques mots sur trois livres qui ont jailli des étagères de ma bibliothèque pour s’imposer à ma lecture. Car si vous croyez innocemment toujours choisir vos livres, réfléchissez un peu, revenez sur les événements qui vous ont incité à vous plonger dans tel ou tel ouvrage et vous vous apercevrez que de nombreux paramètres sont venus orienter votre décision (auteur, titre, couverture, collection, etc…), véritable tissu de conjonctures vous plaçant livre de poche ou grand format entre les mains, aussi bien qu’un enchanteur l’aurait fait avec sa baguette magique. Vous ne me croyez pas ? Eh  bien, faites l’expérience, et vous finirez peut-être un jour par vous poser cette intéressante question : « Livres, avez-vous donc une âme ? ».

Les derniers que j’ai lus ces temps-ci possédaient en tous cas assez de consistance pour susciter un intérêt que je vais m’efforcer de vous faire partager.

Restons dans le traditionnel tout d’abord avec Forteresse Draconis  de Michael A. Stackpole, premier tome de la série La guerre de la couronne publiée dans la collection Fantasy des éditions Bragelonne. L’histoire débute lorsque, pour prouver son talent, Will, un jeune voleur, dérobe aux elfes un objet magique, s’engageant ainsi, sans le savoir, dans une suite de périlleuses aventures dont dépendra la survie du monde où il évolue. Recueilli par Corbeau et Résolu,  deux combattants expérimentés, il forme désormais avec eux une sorte de compagnie qui s’efforce d’atteindre les murs de la mythique forteresse Draconnis. Tout le long des premiers chapitres on découvre avec Will comment le jeune garçon se coule dans la peau de l’élu de la prophétie de Norrington, personnage central seul capable de briser les ambitions dévorantes de Chytrine, la redoutable Reine du Nord, qui s’apprête désormais à étendre sa démoniaque emprise sur les Territoires du Sud après être parvenus, longtemps auparavant, à s’emparer de Vorkorelle, le pays des elfes, dont les survivants sont depuis lors condamnés à errer à travers le monde animés par un intense désir de revanche. Pour mener sa guerre de conquête Chytrine dispose d’une arme fatale grâce à un puissant dragon obéissant au moindre de ses ordres. Des cracheurs de feu dont la domination est justement l’enjeu de la guerre que vont se livrer les deux belligérants. Car jadis une couronne qui permettait de tous les diriger avait été façonnée, avant d’être brisée et dispersée en plusieurs fragments à travers le monde. Dorénavant, celui qui en réunira le plus grand nombre sera susceptible de rassembler autour de lui toute une horde de féroces dragons. Guidé par Corbeau et Résolu, Will se dirige donc vers la Forteresse Draconis où naguère s’était déroulée la bataille cruciale contre les forces de la diabolique Reine du Nord. Mais, dans le pays, il n’est pas le seul à lutter contre la terrible Chytrine. Il y a également Alexia, plus communément appelée Alyx, jeune princesse du royaume d’Okrannel détruit par les troupes de Chytrine, qui est devenue l’un des meilleurs généraux de l’armée d’Augustus, le roi des terres d’Yslin, et qui, après son passage auprès de Gyrkymes, de redoutables femmes oiseaux, remporta une première bataille sur les troupes de la Reine du Nord parvenues aux portes de la ville de Porasena. Et puis il y a l’initié Kerrigan Reese, adolescent obèse soumis à un rude apprentissage sur l’île des sorciers de Vilwan, dans le but de le transformer en plus grand magicien de tous les temps. Sous la houlette de la magicienne Orla, il se révèle vite un expert dans l’art de manier la magick, mais tarde énormément à prendre confiance dans son propre pouvoir, accumulant maladresse sur maladresse. Pourtant les autres protagonistes de cette histoire auront grandement besoin de son aide afin de lutter contre les hordes de barragouineurs lancés par Chytrine et pour affronter les redoutables sullanciris, ses lieutenants aux terrifiants pouvoirs qui font immanquablement penser aux Nazgûls du Seigneur des Anneaux.

Un rapprochement que l’on pourra également faire par le biais du personnage de Will qui, comme le célèbre Frodon, découvre peu à peu les terribles implications de l’aventure dans laquelle il s’est engagé, tandis que son côté voleur l’apparente plus au héros des Salauds gentilshommes de Scott Lynch. Toutefois Michael Stakpole, connu des lecteurs français à travers la traduction au Fleuve Noir de ses romans des séries Star Wars et Shadowrun, ne s’est pas contenté de nous offrir un récit épique épousant sans originalité la trame des romans tolkienniens. Il a su greffer à son intrigue principale, la guerre contre Chytrine,  des conflits sous-jacents entre les souverains des divers royaumes des Territoires du Sud, guidant les choix stratégiques de chacun dans une politique pas forcément axée sur l’alliance tout azimut. De même, les motivations qui animent les trois principaux personnages, Will, Alyx et Kerrigan peuvent s’avérer profondément différentes, l’un  œuvrant pour affirmer sa personnalité, l’autre pour venger l’honneur de sa terre ancestrale et le dernier pour dominer ses peurs. A noter également l’importance prise par les personnages féminins dans le nœud de l’intrigue, avec Alyx, bien sûr, mais aussi la fameuse Chytrine, symbole du Mal comme pouvait l’être la fameuse Sorcière Blanche des Chroniques de Narnia. Ajoutons enfin que la fameuse magick qui se développe tout le long du livre n’est pas l’apanage d’un seul camp et se double d’inventions technologiques telles que les canons-dragonels ou les meckhanshii, sortes  d’hommes-machines aux membres métalliques, qui peuvent à elles seules faire pencher le sort d’une bataille. Un premier volume d’exposition qui s’affirme très dense et qui bénéficie de la sombre couverture de Marc Simmonetti, nous plongeant directement dans le cœur du récit grâce à une parfaite maîtrise de l’art du clair-obscur.

Après ce premier récit de sang et de magie, nous allons nous tourner, une fois n’est pas coutume, mais l’abondance de la production guide ce choix, vers la fantasy pour adolescents avec La Révélation de Médicus de Eli Anderson, premier volet de la série Oscar Pill publié dans la collection Wiz des éditions Albin michel.
Oscar Pill est un Médicus, c'est-à-dire qu’il détient le pouvoir de voyager dans n’importe quel corps vivant afin de le guérir. Son père fut un célèbre Médicus avant de disparaître en parvenant à capturer Skarsdale, le sombre prince des Pathologus, qui, pour assouvir son ambition de dominer le monde, envoyait ses fidèles serviteurs dans les corps humains qu’ils détruisaient en déclenchant des maladies contre lesquelles les médecins étaient impuissants. Or Skarsdale est parvenu à s’échapper de la forteresse du Mont Noir où il était retenu prisonnier. Face à l’imminence du péril, réuni en urgence par le Grand Maître Winston Brave, le Conseil des Médicus décide de faire appel à toutes les forces disponibles, même les plus jeunes, afin d’augmenter le nombre de sentinelles capables de déceler l’intrusion des Pathologus. Parmi eux, Oscar, va apprendre par l’honorable Mrs Withers, l’origine d’un talent qu’il ne maîtrise pas encore, mais pour lequel il a hérité des dons exceptionnels de son père. C’est la même Mrs Withers qui se charge, non sans mal, de convaincre sa mère Célia de lui laisser suivre le dangereux enseignement des Médicus. Dèss lors le voilà introduit à Cumides Circle, le quartier général des Médicus. Là, Oscar débute son apprentissage qui consiste, grâce à la mise en pratique de l’Intrusion Corporelle, à emprunter certaines passerelles qui permettent de pénétrer dans les Cinq Univers afin de rapporter des Trophées qui feront de lui un Médicus à part entière. Accompagné par d’autres apprentis comme Lawrence et Valentine, Oscar se lance alors dans une série d’aventures le plongeant dans un monde mystérieux, celui du corps humain, où il devra triompher de multiples épreuves pour se montrer digne de la tâche qu’on attend de lui. Le premier tome d’une trilogie qui tient à la fois du Voyage fantastique, le roman d’Isaac Asimov adapté au cinéma par Richard Fetcher, et de l’univers d’Harry Potter, avec l’Arbre Passeur permettant d’accéder au sanctuaire des Médicus, situé dans une dimension parallèle comme le Poudlard de Rowling. De même la focalisation de l’intrigue sur un jeune héros, orphelin de père depuis que ce dernier à disparu en combattant le Mal, et découvrant peu à peu l’étendue de ses pouvoirs, rappelle quelque peu un petit binoclard à baguette devenu aujourd’hui aussi célèbre que Merlin l’enchanteur. Rien donc de vraiment original, car l’idée de transformer le corps humain en univers vivant est une vieille rengaine de la SF (voir Le microbe détective  de Hal Clement, et même Jimmy Guieu avec son Univers vivant, pour ne citer que quelques titres qui me viennent à l’esprit), mais un amalgame de ces diverses thématiques assez réussi, et surtout suffisamment attractif pour capter l’attention des jeunes lecteurs à qui est destinée cette trilogie.

Pour clôturer cette seconde livraison, je vais vous parler, une fois n’est pas coutume, du merveilleux dans le domaine universitaire. Comme pour l’ensemble du domaine littéraire, la Fantasy a exercé depuis ces dernières années ses profitables ravages au cœur même de nos campus. Professeurs, élèves, et chercheurs en tous genres se sont penchés sur le berceau du merveilleux avec la bienveillante attention des trois marraines fées de La Belle au bois dormant. Et c’est ainsi qu’on a vu émerger des spécialistes éclairés, tels que Vincent Ferré, le défricheur du monde tolkiennien, ou Anne Besson, l’arpenteuse de mythes, pour ne citer qu’eux. Parmi les productions qui touchent à ce cadre particulier, je m’attarderai sur la sixième livraison de la revue Féeries, une publication des éditions Ellug, maison d’édition de l’Université Stendhal de Grenoble, qui a déjà bien souvent arpenté notre domaine de prédilection, notamment à travers ses ouvrages consacrés aux Territoires de l’Imaginaire. Intitulé « Le conte, les savoirs », ce recueil nous présente une suite d’interventions qui s’efforcent de décortiquer les multiples représentations du conte à travers les époques et les œuvres. Pour ceux qui n’ont pas peur de se creuser un instant les méninges en explorant quelques racines du merveilleux, je vous en livre ici le sommaire : « Que peuvent les savoirs pour le conte, et le conte pour le savoir ? » (Aurélia Gaillard) – « La science illuministe du merveilleux : entre roman véritable et roman de magie » (Yves Citton) – « Le jeu de l’anecdote et du conte dans les Mémoires du duc de Saint-Simon » (Marc Hersant) – « La réfraction des sciences dans le conte de fées (Anne Defrance) » – « Fées cartésiennes et fées newtoniennes : science et merveilleux dans les contes de deux librettistes de Rameau » (Françoise Gevrey) – « Charles Tiphaigne et la génération dans Amilec, ou la graine d’homme » (Philippe Vincent) – « Une leçon de magie économique : féerie, économie et politique dans l’Histoire du Prince Titi de Saint-Hyacynthe » (Aurélia Gaillard) – « L’économiste (Jean-François Melon) et le conteur (Thémuseul de Saint-Hyacinthe) analyse comparée » (Magali Fourgnaud) – « Le savoir d’un conte moins conte que les autres : le Sans Parangon de Préchac et les limites de l’absolutisme (Hall Bjornstad)" – « Tapis volants des Mille et une nuits » (Jean-Paul Sermain) – « Du conte oriental comme encyclopédie narrative : dépôts de savoir et matière de fiction dans les contes de Gueullette » (Jean-François Perrin). Dernière information, on peut se procurer ce numéro, les précédents, et le suivant (Le conte et la fable) à l’adresse suivante : Ellug – Université Stendhal, B.P. 25, 38040 Grenoble Cedex 9 (prix public 19 €).

Sur ce, bonne lecture, et au mois prochain.

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