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 Le billet de Jean-Luc Triolo - 21
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Le billet de Jean-Luc Triolo - 21

Pour ce bulletin de février, nous commencerons par Brandon Sanderson avec « Coeur d’Acier » (Orbit). Un auteur qui aime bien les univers sombres dans lesquels ses héros surnagent et fond le maximum pour mettre fin à la désespérance ambiante. Si dans sa précédente série « Fils-des-Brumes » il nous peignait un univers de cendres sous la coupe d’un univers impitoyable, pour le premier tome du cycle de « Cœur d’Acier » il intègre la thématique des super-héros au sein d’un environnement urbain et métallique qui n’a rien à envier au premier en ce qui concerne la domination despotique. Le postulat de base prend ses racines au cœur de l’espace, entendez la proche banlieue de la Terre où l’apparition de la Calamité, un astre rouge qui brille dans le firmament et dont les éclats sont venus frapper sur Terre un groupe d’élus. Mais rien à voir avec la kryptonite de notre bon superman, ici ce sont les méchants qui se sont trouvés valorisés. Transformées en Epiques, ils sont devenus quasiment invincibles, c'est-à-dire qu’aucune balle ne peut les blesser, qu’aucune épée ne peut trancher leur peau, qu’aucune explosion ne peut les détruire. Bien entendu, ils se sont empressés de mettre le monde en coupe réglée, anéantissant sans pitié ceux qui tentaient de s’opposer à leur hégémonie dévorante.

Telle a été le cas de Newcago, une cité qui a subit un traitement de choix, puisqu’elle est passée sous la férule d’un Epique puissance dix, le dénommé Cœur d’Acier. Quelques temps après son arrivée et la soumission des quelques Grands Epiques tels que Brasier, Confluence et Maître-Nuit, assurant désormais sa garde rapproché, Cœur d’Acier à procédé à la Grande Transfersion, transformant en acier grâce à ses formidables pouvoirs la majeure partie de la Vieille Ville, créant grâce a ses Tunneliers plusieurs niveaux de rues basses entièrement métalliques. Puis, il avait commencé à imposer son règne de terreur s’appuyant sur une oligarchie d’Epique, mais aussi d’humains assurant le fonctionnement administratif de la cité en contrepartie d’une relative aisance par rapport au reste de la population. Seul avantage dans l’histoire, à Newcago il y avait de l’électricité, de la nourriture et de l’eau, alors que le reste de la planète était soumis au chaos propagé par les divers Epiques qui se battaient pour des Territoires et des groupes militaires ou paramilitaires qui visaient le même but. Cependant Newcago possédait aussi son mouvement de résistance en la personne des Redresseurs. Ce groupe d’hommes et de femmes réunis dans la clandestinité avait consacré sa vie à étudier le point faible des Epiques afin de les détruire. Et c’est lors de l’exécution de Fortuité, l’un des plus vicieux d’entre eux, que le jeune David Charleston avait décidé de les rejoindre. Bien qu’il leur ait sauvé la mise dans ce cas précis, les Redresseurs étaient trop méfiants pour accueillir à bras ouvert cet inconnu que l’efficace Megan avait ramené dans leur cache. Pourtant, même le perspicace Prof, chef incontesté du réseau, finit par se laisser convaincre par le dernier argument avancé par David : il avait vu saigner Cœur d’Acier. Cela s’était passé dix ans auparavant, lors de l’arrivée de ce dernier à Newcago et durant son intervention dans une banque où il était venu mettre un terme aux agissements meurtriers de l’Exécuteur, un Epique qui marchait dangereusement sur ses plates-bandes. Et Cœur d’Acier avait tué le père de David, et David avait juré de se venger. L’intrigue ainsi posée ont peut compter sur le talent d’écrivain de Brandon Sanderson pour la développer et l’enrichir au fil des pages, laissant planer un voile de mystère sur tout ce qui entoure les Epiques, jouant avec habileté des « cliffhangers » en fin de chapitre, distillant les informations avec parcimonie pour captiver l’attention du lecteur et lui en dévoiler assez pour la compréhension globale du récit. De quoi donc cautionner cette nouvelle apparition de l’auteur de la série « Elantris » qui, en prenant à rebours la thématique des superhéros, un peu comme cela avait été fait dans la série des « Gardiens » (The Watchmen) d’Alan Moore et Dave Gibbons, adaptée au cinéma par Zach Snyder, nous dépeint un univers alternatif où les surhommes emploieraient leurs super-pouvoirs, non pour faire le bien, mais pour satisfaire leurs plus noirs penchants. Un point de départ original qui ne devrait pas tarder à intéresser les producteurs de films à gros budgets et à effets spéciaux sophistiqués.
   

Folio SF nous propose pour sa part dans sa livraison de janvier un alléchant « Moi, Lucifer » de Glen Duncan, précédemment publié dans la collection Lunes d’Encre, chez Denoël,  en septembre 2011.  Comme d'autres lecteurd avant moi, avant de me plonger dans ce livre j'ai pensé au Hal Duncan dont les éditions Denoël nous avaient déjà fait connaître le passionnant dyptique Encre/Vélum, avant de réaliser que bien que la thématique Enfer/Paradis soit proche du fameux Livres des heures de l'auteur écossais, Glen l'anglais oeuvre lui dans le cadre, non de la fresque apocalyptique, mais plutôt dans ce lui de la confession intime digne du divan des psychanalystes. Et pour cela il nous propose comme sujet d'étude un patient dont ce cher Freud aurait sûrement rêvé : le Diable en personne. Un Lucifer à qui Dieu, toujours magnanime, propose en guise de rédemption, d'aller occuper pendant 30 jours (n'y-a-t-il pas des relents de Sodome dans tout ça?) le corps de Declan Gunn, un écrivain dépressif récemment suicidé. Une occasion que le Prince des ténèbres, inventeur entre autres choses du rock'n'roll, de la fumette, de l'astrologie et du fric, ne peut pas refuser. Non qu'il soit particulièrement travaillé par les remords et par l'envie d'aller écouter les joueurs de harpes du Paradis, mais plutôt parce que sa petite queue de Malin (entendez l'appendice caudal qu'on lui attribue dans certaines représentations fourchues) frétille à l'avance à l'idée expérimenter dans un corps humain tous les plaisirs (entendez les perversions dans son optique) qu'il a depuis des millénaire susurré à l'oreille des hommes. Le problème dans tout ça c'est que le Declan en question a tout du looser. Paumé professionnellement, affublé d'un physique que l'on ne remarque pas, il est en plus possesseur d'une petite bite, un comble pour un Prince des Ténèbres qui raffole des plaisirs de la chair. Alors, le Père du Mensonge, engluée dans cette existence minable, finit par s'ennuyer, ce qui le pousse, lui, le bouillant par essence, à nous raconter sa vie, ou plutôt à revisiter les grandes lignes de l'Histoire Biblique en n'omettant aucun détail, ni sur la prétendue tranquillité du Jardin d'Eden, ni sur sa brouille avec le Père Tout Puissant. Et, emporté par son élan, l'Ange Déchu le plus célèbre du monde, s'envole dans une suite de confessions où il prend à son compte et assume sans faux fuyant toutes les horreurs de l'Humanité. Pédophilie, des prêtres en particuliers, nazisme, meurtres d'enfants, tout y passe à travers un ensemble de digressions où l'on se rend vite compte que, même s'il commence à mieux comprendre la nature de la condition humaine à travers ce séjour dans le corps de Declan, le Diable sera toujours le Diable. Ecrit sans ménagement et à la première personne ce livre dont l'humour noir se hisse au niveau du Blasphémateur Suprême, se lit comme si on était emporté par les flots d'un fleuve de paroles les unes les plus dérangeantes que les autres qui viendraient se jeter dans une Mer d'immondices, de sadisme et autres cruautés délicates plus imprégnée d'autosatisfaction que de besoin de justification. De quoi envoyer les adversaires du mariage pour tous et de la loi de la Famille non pas seulement dans la rue, mais prendre la Bastille des préjugés cette fois pas seulement bafoués mais écrasés sous le talon d'un dandy décadent qui site Heinrich avec complaisance et qui flatte l'égo de certains membres du show business en leur faisant miroiter le projet d'un film sur la Création. Donc, attention, de roman qui a réellement attiré l'attention du cinéma, avant que le projet d'adaptation avec Ewan Mcgregor, Daniel Craig et Jude Law, n'échoue, est une véritable petit boulet rouge envers la religion qui, si l'on parcourt l'abondant matériel critique qu'il a suscité lors de sa première publication chez Lunes d'Encre, ne laisse pas indifférent, et après tout... n'est-ce pas le but ultime d'un livre.

Et puis je vous parlerai des éditions Pocket avec le non moins passionnant « Retour des morts » du suédois John Alvide Lindqvist paru chez Télémaque en 2012. Véritable Ovni de la littérature suédoise, cet auteur né à Stockholm en 1968, exerça le métier de prestidigitateur et de comédien de stand up pendant 12 ans avant de faire paraître son premier roman, Laissez-moi entrer, best-seller international adapté deux fois au cinéma, dont l'une sous le titre de Morse. Il nous revient ici avec un second livre qui fera le bonheur des habitués de Canal plus qui ont pu découvrir l'année dernière la série franco-suisse Les Revenants. Car le thème de ce livre part d'un postulat identique : le retour à la vie de trépassés qui, normalement, n'avaient plus rien à faire sur Terre. L'histoire débute en août 2012, alors qu'une chaleur accablante s'abat sur la capitale suédoise dont les habitants souffrent d'une migraine généralisée aussi tenace qu'inexpliquée. Survient alors un terrible orage électrique et les céphalées disparaissent, laissant la grande cité nordique a sa morosité quotidienne, sauf qu'elle compte deux mille habitants environ en plus, des morts des deux derniers mois circonscris dans le périmètre de Stockolme, et mystérieusement revenus à la vie. Pas d'ambiance à la Romero ou à la Walking Dead dans les pages qui suivent. On est bien loin de l'image stéréotypée du zombie mangeur de chair qui a fait la fortune des films de série B. Non, par l'intermédiaire de ces personnages pas du tout agressifs, c'est à une véritable enquête socio-culturelle menée sous un angle journalistique que le lecteur est convié. Très vite en prises avec le réel par le prisme d'observateurs ordinaire, comme un ivrogne cuvant son vin qui assiste aux premières manifestations du phénomène, nous allons être invités à pénétrer tout autant dans l'intimité de ces « revivants » que dans celle de leur famille surprises en plein deuil. Quatre jours durant nous suivrons l'évolution de cette épidémie hors normes traitée avec la rigueur d'une véritable enquête journalistique riche en pièces jointes numérotées (témoignages, articles, communiqués de presse, etc..) tandis que l'auteur nous guide, heure après heure, lieu après lieu, famille après famille, par narration alternée sur la trace de ces étranges « épargnés de mort ». C'est une étude approfondie sur la mort qui nous est proposée tout au long de ces pages par le biais de cet élément fantastique. Une étude où, à travers les réactions des personnages en première ligne, tout autant les« revivants » que ceux qui les ont perdus, puis subitement retrouvés, nous allons être poussés à nous poser la question : Qu'aurions-nous fait à leur place ?

A la fois rendu terriblement réaliste par l''aspect reportage incluant la réaction des autorités dépassées par l'événement, le récit nous oblige à une réflexion sur la thématique de la mort proprement dite ici abordée sans concession par le prisme d'une 'horreur qui ne porte pas de masque, mais avec une indéniable poésie et des moments d'intenses émotions qui ne peuvent pas laisser insensibles. Si avec son premier roman Lindqvist avait voulu revisiter les poncifs de la littérature vampirique, il démontre avec ce second livre tout son talent pour remettre au goût du jour un autre archétype de la veine fantastique que l'on aurait pu croire exploité jusqu'à l'épuisement et que son style narratif bien particulier dépoussière avec un brio et une hardiesse qui nous laisse attendre avec impatience quel sera le nouvel angle d'approche de son prochain roman. Enfin daux apartés jeunesse avec 2 publications de Gallimard Jeunesse. D’avord « Qui a peur des dragons » de l’excellent Philip Reeve. Ceux qui ont Les frères Grimm, film réalisé par Terry Gilliams en 2005, ne seront pas dépaysés dans ce roman, puisque l’idée de base part d’une mystification. Pour Jacob et Wilhelm Grimm, il s’agissait de captiver l’attention de villageois terrorisés jamais à court d’histoires extraordinaires et de leur proposer des remèdes farfelus pour déjouer des sortilèges, habiles mise en scène qu’ils réalisaient avec l’aide de deux complices. Et Brock, le célèbre chasseur de dragons auquel Ancel, le fils muet de l’aubergiste, est vendu pour une durée non déterminée, s’inscrit également dans cette logique. Il en impose cependant avec son armure étincelante, ses airs d’aventurier aguerri, sa cicatrice soigneusement mise en valeur et sa proportion légendaire à abreuver son entourage d’histoires faramineuses où il est question de traques et de combats sans merci contre le roi des prédateurs. Et cependant… les dragons n’existent pas. En guise de trophées Brock exhibe en vérité des crânes de crocodiles et ses homériques parties de chasse ne sont que de simples ballades en montagne. Ancel sait tout désormais, mais il ne peut rien dire, car il ne parle pas, d’où l’intérêt manifesté par Brock pour le prendre à son service. Dur pour le jeune garçon d’apprendre qu’il doit dorénavant servir un homme arrogant et cupide qui méprise tout son entourage et semble prêt à tout pour remplir sa bourse. Or, les événements vont prendre une tournure inattendue qui forceront Brock à se montrer sous son vrai jour. Car la nouvelle fausse mission qu’il vient de s’inventer débouche cette fois sur la découverte d’une créature effrayant qui les a choisi, lui et Ancel, comme gibier. La fuite est désormais leur seule chance de survie, mais pas seulement, car à présent Brock a enfin l’occasion de donner vie à ses racontars et de trouver la gloire dont il rêve tant en tuant un… dragon. Bien entendu l’affaire ne sera pas de tout repos, et les diverses péripéties émaillant cette aventure permettent à l’auteur de nous plonger dans un univers médiéval-fantastique avec son contexte religieux culturel et ses multiples croyances qui de demandent qu’à être bousculées. Rapidement menée, l’intrigue tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page, prouvant, si besoin était, la parfait maîtrise de la narration dont sait faire preuve cet auteur britannique dont nous avons déjà pu découvrir chez Folio Junior la passionnante série steampunk « Mécaniques fatales » ou en hors collection l’uchronique et très vernien « Planète Larklight » Et puis un roman plutôt pour jeune fille, « Lily et le dragon d’argent »  Dans le premier tome de cette série (Lily et la magie défendue) nous avions fait connaissance de la petite Lily, qui vivait recluse sur une île au large de l'Angleterre depuis que la Reine avait interdit la pratique de la magie. Là-bas, à l'abri des regards, sa mère, Lady Nerissa, forme en secret sa sœur Georgie à la magie. Mais Lily ne tarde pas à découvrir que les projets de sa mère son peu recommandables et qu'elle formente un terrible complot. Dés lors les deux petites filles s'enfuient dans les rues de Londres où elles se retrouvent seules et i=forcées de ne pas recourir à la magie. Lorsque débute le second tome de cette série, elles pensent avoir échappé au pire lorsqu'elles sont recueillies par leur tante. Cependant, elles déchantent vite, car celle-ci les envoie directement dans l'Institut Fell où les enfants magiciens sont cachés et où les seul sorts permis sont enfermés dans des flacons. Serait-ce la fameuse prison où est enfermé leur père ? Et quelles sont ces sculptures de dragons qui semblent vibrer sous les doigts de Lily ? Les deux soeurs vont devoir redoubler d'astuce pour le découvrir tout en déjouant la surveillance de la maîtresse des lieux, la redoutable Miss Merganser. Cependant cette dernière ne pourra rien contre le grand dragon d'argent réveillé de son sommeil séculaire qui surgira des entrailles de Fell pour aider les petits pensionnaires a quitter cette maison de redressement et à suivre une nouvelle piste qui conduira à nouveau Lily et Georgie vers les brouillards de Londres. Le second tome d'une série imprégnée de magie d'une spécialiste de l'édition pour la jeunesse déjà créatrice du cycle de Rose inspiré de sa passion 'enfance pour les romans historiques et du souhait que les animaux puissent réellement parler.

Jean-Luc Triolo
 

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