
Pour cette seconde livraison de 2010 je reviendrai sur un titre de l’année 2009 qui me semble mériter le détour car il prouve encore tout le talent d’un auteur dont l’écriture originale dérange depuis quelques temps le ronronnement provoqué par certaines productions pas désagréables, mais sans véritable surprise. Je vous parlerai donc de
Lombres de China Miéville (Un LunD un, 2007) dont nous devons la traduction aux actives éditions Au Diable Vauvert.
Lombres, c’est d’abord l’histoire de la jeune Zanna pour qui les faits bizarres ne finissent pas de s’accumuler. En premier lieu ces étrangers qui lui adressent la parole avec déférence. Puis les animaux qui l’observent d’un air mystérieux. Sans parler du parapluie espion accroché au balcon de Deeba, sa meilleur copine. Et le summum est atteint lorsque un nuage nauséabond s’en prend à elle et tente de l’envelopper au cœur de sa sinistre grisaille. Somme toute une mise en bouche qui la conduira avec Deeba dans un cave abandonnée où, en tournant une vieille roue, les deux jeunes filles seront propulsées à Lombres, une Londres située de l’autre côté du miroir. Il s’agit en fait d’une Transville, sorte d’univers parallèle où échoue le Mool (Matériaux Obsolète d’Origine Londonienne) c'est-à-dire les déchets les plus énergiques de la grande cité britannique. Sous la lumière de l’Antisol et sur les berges de la Tisame, le fleuve qui traverse la ville, grandissent des maisons faites en matériaux de récupération et habitées par une population cosmopolite comprenant des humains, mais aussi des êtres fantastiques, mélanges incongrus de créatures vivantes et d’objets obsolètes à qui ont à redonné vie, regroupés en tribus qui obéissent à un chef comme la Princesse des Fax Foutus, Tesson, l’Empereur des Bris de Verre, ou Brokkenbroll, la Barraplussime, qui règne sur le peuple des Parapluies Cassay. Bientôt mise en présence d’Hemi, le garçon à demi fantôme du quartier de Fanthom Road, un inquiétant territoire de transition habité à la fois par les morts de Londres et de Lombres, puis accompagné par Caillet, la petite brique de lait qui ne lâche plus Deeba, Zanna ne tarde pas à apprendre qu’elle est en fait la Schwazzy, une jeune héroïne destinée à contrecarrer les plans du Smog, le dangereux nuage toxique qui a décidé de s’emparer de Lombres et de tous ses habitants.

Engendré à Londres par l’interaction de toutes sortes de produits chimiques, celui qui n’était à l’origine qu’un vulgaire nuage de crasse est devenu un énorme cerveaux nuageux se nourrissant de toutes les fumées produites et animé d’une terrible malveillance depuis qu’il a réalise que ceux qu’il étouffait finissait incinérés et que leurs cendres, emportées par le vent, venaient grossir sa puissance. Cependant, les londoniens, grâce au savoir des Armets, de redoutables climatosorciers, avaient réussi à s’en débarrasser, le poussant à l’exil dans Lombres. Au cours de la première partie du livre nous suivons le périple des deux jeunes filles qui s’efforcent de rejoindre les Prophéçongurs perchés sur le Pont Absconditus, un ouvrage mouvant et suspendu, seuls susceptibles de répondre à leurs innombrables questions. Un voyage tourmenté durant lequel, embarquées sur un aérobus à impériale, elles devront affronter un essaim de Dame-Jeanne, des mouches géantes montées par les féroces Pirates de l’Air, avant de se réfugier au Royaume d’Ardoise, le pays des Tuilotes qui vivent sur des toits dressés à…un ou deux mètres du sol. Protégées par les poubelles-ninjas, les gardes du corps des Prophéçongurs, elles parviendront à rejoindre ces derniers. Mais une attaque de Comesmog, des êtres que le Smog a capturé et soumis à sa volonté en les forçant à respirer ses maléfiques émanations, plonge Zanna dans un profond coma. La seconde partie du livre débute alors, se focalisant sur Deeba, la Paschwazzy, qui, après un court détour par Londres, reviendra au cœur de la cité jumelle afin de démasquer les êtres qui ont partie liée avec le Smog, à la fois dans les méandres de Lombres, mais aussi au plus haut sommet du gouvernement britannique. Des efforts qui lui feront croiser la route des terribles girafes carnivores, des non moins redoutables fenêtres-araignées, et d’autres monstruosités bien décidées à s’en prendre directement à elle ainsi qu’à la poignée d’amis qui l’accompagne.
U

n roman foisonnant d’inventivité dont l’indéniable noirceur est nuancée par une bonne pincée d’exubérance et de délicieuses rasades d’humour. Puisant allègrement dans la matière de l’
Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll comme du
Neverwhere de Neil Gaiman, ce livre raconte l’affrontement manichéen entre le Grand Méchant Smog, incarnation parfait de la dérive de notre société de consomatteurs-pollueurs, et une jeune fille engagée dans une valeureuses quête initiatique au sein de Lombres, ville de recyclage par excellence, qui recomposent les déchets de toutes sortes, les transformant en hommes et en animaux qui contribuent à une fabuleuse galerie de personnages comme l’homme à la cage d’oiseau en guise de tête, le scaphandrier au corps d’eau de mer et de poisson, des explorateurs de bibliothèque cyclopéenne, ou un Grimoire doté de parole qui ne croit plus aux prophéties inscrites dans ses pages. Un roman mise en valeur par les nombreuses illustrations accompagnant le texte, un peu comme dans la série des
Chroniques du Bout du Monde de Paul Stewart et Chris Riddell, qui rendent à merveille l’atmosphère de non sens dont Miéville a imprégné l’ensemble de son livre. Une percée réussie dans l’univers de la jeunesse pour un auteur déjà connu en France à travers sa production pour adultes (
Perdido Street Station,
Les Scarifiés,
Le roi des Rats,
Le concile de fer) faisant à nouveau preuve de l’originalité réjouissante qui caractérise son écriture à travers un livre qu’un critique à parfaitement résumé par cette simple phrase : «
Offrez Lombres à un gamin et pensez à le lui emprunter quand il aura fini de le lire ». Et si vous voulez d’autres opinions sur ce roman, lisez les critiques de Jean Rébillat sur ce même site, celle de Michael Espinosa sur www.yozone.fr ou de Ubik sur www.cafardcosmique.com.

Deux autres ouvrages ont également attiré mon attention ces temps-ci. D’abord
La peur qui rôde, une nouvelle de H.P. Lovecraft, magnifiquement rendu par le travail de l’illustrateur Romain Fournier. Un livre publié aux Editions Alternatives, qui nous transporte dans une maison abandonnée située au sommet du Mont des Tempêtes. Un lieu de convergence d’épouvante, hanté par des disparitions inexpliquées où la peur s’infiltre partout telle une bête immonde. Une parfaite incarnation de l’univers de Lovecraft, reflet terrifiant de nos angoisses les plus profondes, dont les frontières mouvantes entre réel et fantastique se perdent à travers de saisissantes imbrications de photos et de dessins en bichromie.

L’autre livre dont je veux vous parler est plus réjouissant, puisqu’il s’agit des
Contes aux quatre vents, un splendide recueil de dessins de l’illustratrice Florence Magnin que nous présentent les éditions de la Galerie Daniel Maghen. Connue et plébiscitée à travers ses nombreuses couvertures de livres (Fleuve Noir, Denoël, etc..) ainsi que par des BD telles que
L’Autre Monde,
Marie la Noire ou
L’héritage d’Emilie aux éditions Dargaud, Florence Magnin nous entraîne dans une balade féerique rythmée par la chanson du vent ou Dahud, fées, Naïades, Dryades, Dragons et autres créatures légendaires et mythologiques apparaissent en pleines pages resplendissantes de couleur ou ourlées d’un tendre noir et blanc. A noter que la publication de ce livre est accompagnée de trois autres remarquables parutions qui ont pour titre :
Fées et déesses d’Aurélie Brunel et Erlé Ferronnière,
L’univers des nains de Gonzalez et Laurent et Olivier Soulié ainsi que
de Paul Kidby l’illustrateur britannique qui a pris le relais du regretté Paul Kirdby dans la mise en image de l’univers des
Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett.
Jean-Luc Triolo