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Le billet de Jean-Luc Triolo -7
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Le billet de Jean-Luc Triolo -7

Conan jurait par Crom et, par certains côtés, endurance, volonté de survivre, âpreté au combat, Logen Neuf-Doigts, le barbare le plus redouté du nord, pourrait lui ressembler, sauf que lui… il voit réellement les esprits, et il leur parle. Mais les similitudes entre le célèbre héros howardien et l’un des principaux protagonistes du , des éditions Pygmalion, livre 1 du cycle de La Première Loi écrit par Joe Abercrombie, s’arrêtent là. En effet, la profondeur psychologique qu’Abercrombie insuffle à cette figure marquante de son intrigue est beaucoup plus incisive et démontre, comme l’avance les commentaires du dos de couverture, que, pour son entrée en littérature, cet auteur a su se démarquer de la fantasy contemporaine. Car, si ce roman pourrait passer de prime abord pour une honnête saga dans le genre épée et magie, on s’aperçoit vite à la lecture qu’il y a dans ce récit une originalité prépondérante qui légitime les éloges dont il a été l’objet lors de sa parution dans sa langue originale. En effet, outre Logen Neuf-Doigts, nous découvrons des portraits saisissants d’authenticité de protagonistes tout aussi passionnants. Car, comment ne pas s’attacher à Jezal dan Luthar, jeune officier du roi prétentieux et cynique, dont le seul but dans la vie est d’arnaquer ses amis aux cartes et de gagner le prochain Tournoi d’escrime. Ou à celui de Ferro Maljinn, une esclave en fuite, bien décidée à ce venger de tous ceux qui l’ont fait souffrir et qui l’ont humiliée.

Et, encore plus, à Sand dan Gotka, l’Inquisiteur meurtri dans sa chair chargé d’extorquer sous la torture des aveux à ceux qui ont eu le malheur de déplaire à certaines éminences grises du pouvoir en place. Tous ces êtres vont se trouver entraînés dans le tourbillon d’intrigues qui agite Adua, la capitale de l’Union. Une Fédération au nom qui sonne désormais très faux face aux sournoises manigances qui gangrènent ses institutions minées par la présence du roi potiche encourageant les complots de toutes sortes, tels que ceux de l’Insigne Lecteur Sult, le tout au détriment d’un peuple qui gronde, tandis que des orages de guerre s’amoncellent au nord, avec les troupes du barbare Berthold, aussi bien qu’au sud avec les désirs de conquête du puissant empire de Gurkhul. Des périls assez pressants pour que le Premier Mage Bayaz, l’un des fondateurs historiques de l’Union, reviennent sur le devant de la scène afin de former une compagnie hétéroclite qui aura la difficile mission de sauver ce qui peut encore l’être. Le grand mérite d’Abercrombie à travers ce roman consiste, à partir d’une intrigue somme toute assez banale dans l’univers de la fantasy épique, pour bâtir une histoire pleine de rebondissements et de surprises où les principaux acteurs du drame se révèlent, au fil des diverses péripéties, sous leur véritable nature, ni tout à fait bons, ni réellement méchants, mais en perpétuelle contradiction, c'est-à-dire… profondément humains. Des êtres dont les passés se sont parfois entrecroisés et qui sont animés d’un seul but, survivre, ce qu’ils font selon leurs critères propres. Des personnages évoluant dans un monde plein de mystères et de magie où ils vivront de formidables aventures telles que la visite de la Demeure du Créateur et leur lutte pour contrer les terribles Dévoreurs, mais qui seront en même temps très proches de la réalité en se montrant aussi compliqués, aussi imprévisibles et aussi égoïstes que les gens que l’on croise dans la vraie vie.
 
Somme toute des hommes et des femmes assez communs, pris dans la toile de grands événements qui contribuent à exacerber leurs bons et leurs mauvais côté, ainsi qu’à les faire évoluer tout le long d’un récit où les facteurs politiques, sociaux, et spécialement économiques prennent plus d’importance que les simples éléments géographiques, au contraire de beaucoup d’autres romans de fantasy. Une histoire servie enfin par l’omniprésence des dialogues que l’auteur privilégie pour conduire son intrigue, laissant ainsi le moins de place possible aux commentaires, ce qui rend l’ensemble beaucoup plus dynamique en le rapprochant encore plus d’un monde réel où les conversations représentent l’essentiel de la vie. Une série qui, bien que taxée par certains de grossière et déviante, a été considéré comme l’une des meilleures productions du genre depuis plusieurs années au sein de la prolifique sphère anglo-saxonne. Elle bénéficie aujourd’hui d’une réédition en France par l’intermédiaire des éditions Pygmalion, J’ai Lu ayant préalablement fait paraître ce roman en décembre 2007 pour lancer leur collection grand format, arrêtée après quelques titres, en même temps que le cycle d’Abercombie. Faisons confiance aujourd’hui à Pygmalion qui, annonce le second volume inédit, Déraison et sentiments,  en mai 2010, pour nous offrir enfin l’ensemble de cette trilogie, d’autant plus que nous refermons ce premier volume avec des héros embarqués dans des directions différentes et pas réellement maîtres de destins dont tout lecteur qui se respecte voudrait connaître les prochains développements certainement toujours empreint du cynisme et de l’humour noir qui  rendent ces personnages décidément fort attachants.
 

Après ce détour vers la Fantasy épique, voici un come back du côté des adolescents, qui ne sont jamais en reste lorsque l’on parle de littérature de l’imaginaire. C’est de L’impératrices des Ethérés de Laura Gallego Garcia, que j’ai choisi de vous parler aujourd’hui. Un monde glace où le soleil n’est plus qu’un souvenir, tel est le quotidien de la jeune Bipa, dont l’une des principales distractions est d’écouter les histoires de Nelba, qui parle du palais de l’Impératrice, un lieu paradisiaque où vivent des êtres purs comme le cristal. Mais pour Bipa, à l’esprit bien ancré dans la réalité, tout cela n’est que fadaise qui ne l’aidera pas à affronter la rudesse de son existence quotidienne. Au contraire Aer, le fils de Nelba, qui n’a jamais connu son père, un étranger disparu dans le froid et le brouillard, est particulièrement réceptif à ce genre d’histoire. Au point qu’il décide de partir un jour à la recherche du mystérieux palais de l’Impératrice. Bipa, la jeune rebelle, qui croyait pourtant détester ce jeune homme si crédule, décide de partir à sa recherche. Dés lors s’engage une formidable lutte contre la montre où elle devra empêcher Aer, au fil de diverses métamorphoses, de trouver une mort certaine à la place du paradis qu’il recherchait. Lancée dans une sorte de quête initiatique qui emprunte les chemins de la Fantasy, Bipa aura comme compagnon de voyage Neigeux, un énorme golem de glace, et devra affronter la dangereuses Glacia et son armée frigide, puis Lux le Seigneur de Cristal. Aidé par Lumen, le jumeau de ce dernier, elle assistera à la formidable bataille entre les golems de glace de Glacia et les guerriers Cristallins de Lux, avant de trouver le chemin conduisant au fameux palais de l’Impératrice. Mais comment atteindre ce lieu tant convoité quand elle refuse de suivre la voie imposée des mues successives transformant peu à peu son corps d’Opaque, fait de chair et de sang, en un être totalement translucide libéré de toute contingence matérielle : un Ethéré. Et tout cela pour empêcher un Aer entêté de rejoindre le repaire de l’Impératrice et ainsi se livrer à l’appétit d’une Etoile Vorace qui consommera son corps et qui se nourrira de son âme. Un tache quasi impossible, si elle n’avait pas pour l’aider une précieuse Opale donné par Magia, l’enchanteuse de son village, réceptacle du pouvoir de la Déesse, seul capable de s’apposer à celui de la maléfique Impératrice.
 
Après le célèbre cycle de Fenris et Deux cierges pour le diable, les éditions J’ai Lu continuent de nous faire découvrir l’œuvre de ce chef de file de la nouvelle littérature fantastique espagnole pour adolescents. L’occasion pour les lecteurs français d’en apprendre un plus sur les écrivains ibériques peu représentés au sein des catalogues des éditeurs français de littérature de l’imaginaire, si ce n’est Xavier Negrette chez l’Atalante ou Juan-Miguel Aguilera par l’éditeur Au Diable Vauvert, alors que le courant de la Fantasy est très important en Espagne, notamment chez les illustrateurs, tels qu’Esteban Maroto ou Vincent Segrelles (la série du Mercenaire).
 
Enfin, pour conclure cette livraison d’avril, je vais inaugurer une rubrique nostalgie où je vous parlerai de livres de Fantasy sortie à une époque où ce genre littéraire, comme la SF en son temps, était lu que par une poignée d’initiés, tout en faisant l’objet de critiques condescendantes de la part des dogmatiques de la littérature générale et parfois, malheureusement, de ceux de la SF et du Fantastique. Sous l’araignée du sud de Dominique Roche et Charles Nightingale, publié par les éditions Robert Laffont en septembre 1978, est le premier titre de cette rubrique. « Entre les îles de la Pluie et les chutes géantes de Roraï, il y a la durée d’un voyage à la dérive sur le Grand océan, le lever d’une nouvelle constellation celle des treize étoiles menaçantes de l’Araignée, et le jeu des liens qui se tissent entre les six voyageurs de l’Azathoth, la princesse, le capitaine, la sorcière, le second et les deux marins. Un naufrage les jette au bout du monde, passées les chutes de Roraï, là où les souterrains recèlent une vie redoutable. La civilisation disparue de Kingwürm, le roi des vers, marque encore ces roches. L’enlèvement de la princesse donne le signal de l’affrontement entre ses amis et les puissances meurtrières de la nuit. Il faudra l’œil de Kingwürm pour faire un roi d’un fil de pêcheur, il faudra les conjurations de la sorcière, les flèches enflammées de l’amazone, l’héroïsme du capitaine et de ses marins pour que soit sauvée la princesse et que les ténèbres accouchent d’un nouveau monde. Un conte merveilleux et terrible, dans la lignée de Tolkien, dans la tradition héroico-fantastique des anglo-saxons, mais cette fois écrit en français dans une langue riche et imagée, relevée d’humour ».
 
Tel était, à l’époque, le quatrième de couverture de ce roman écrit par Dominique Roche, un professeur de Lettres née à Bayonne en 1948, et habitant à Londres, et Charles Nightingale, un passionné de SF et de peinture né à Londres en 1938. Un ouvrage que l’on peut facilement se procurer pour une somme modique sur  des sites de ventes en lignée tels que www.priceminister.com.

Jean-Luc Triolo

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