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Le billet de Jean-Luc Triolo -8
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Le billet de Jean-Luc Triolo -8

Pour commencer ce nouveau bulletin, je reviendrai vers l’éditeur phare de la Fantasy en France, Bragelonne qui, comme souvent en cette période de l’année, nous propose de découvrir un nouvel auteur en la personne de Ken Scholes et du premier tome de sa série Les psaumes d’Isaak intitulé Lamentation. Lorsque un gigantesque panache de fumé déchire le ciel des Terres Nommées, les principaux dirigeants de ce monde prennent aussitôt conscience que rien en sera plus comme avant. Car cet événement est la traduction d’un grand cataclysme, la destruction de Windwir, la plus importante cité de cette ensemble de royaumes, siège de l’Ordre d’Androfrancine et de sa Grande Bibliothèque où reposait la mémoire du monde. Quelle est l’origine de ce désastre qui a avalé dans un torrent de flamme la majestueuse ville et tous ses habitants ? Beaucoup s’interrogent, mais pas le prévôt Sethbert, qui en est responsable et qui compte bien en tirer partie au plus vite. Cependant, Rudolfo, le roi tsigane, seigneur des Neuf Maisons Sylvestres, est déjà sur la piste du coupable. Ses éclaireurs qui, comme d’autres troupes d'élites de cet univers, utilisent la magie pour se rendre invisibles, ont recueilli dans les ruines Isaak, un automate de métal bien mal en point qui s’accuse d’avoir causé cette tragédie. Très vite Rudolfo découvre que ce mecaserviteur a été manipulé et que quelqu’un la savamment programmé pour qu’il récite les terribles incantations des Sept Morts Cacophonique, une magyk de sang depuis longtemps perdu et interdite car elle avait plongé le monde dans la chaos. De son côté Pétrus, l’ancien pape de l’Androfrancine, qui a quitté sa charge et s’est glissé dans la défroque anonyme d’un simple pêcheur car il ne supportait plus les dérives bassement matérielle de son Ordre, comprend que désormais il ne peut plus rester à l’écart de la tragédie qui est en train de se nouer. Se faisant violence, il quitte son paisible village côtier, pour rameuter autour de lui toutes sortes d’individus afin de retourner à Windwir dans le but d’enterrer ce qui reste des malheureux habitants de la cité. En chemin, il a embrigadé Neb, un jeune moine ayant assisté à la destruction de sa ville en même temps qu’à la mort de son père, et qui commence à faire des rêves prophétiques venus étrangement faire écho à ceux du redoutable et mystérieux roi du Peuple des Marais. Un garçon qui a, pour un temps, alors qu’il était dans le camp du prévôt Sethbert, bénéficié de la protection de Jin Lin Tam, la concubine du prévôt qui a décidé de changer de camp pour rejoindre celui de Rudolfo. En agissant ainsi, non seulement elle obéit à son attirance pour le roi tsigane, mais elle participe aux plans de son père Vlad Li Tam, le puissant seigneur de la Maison Li Tam, qui est l’un des rares à avoir pris le parti de Rudolfo lorsque Sethbert, par l’entremise de son cousin Orive, proclamé nouveau pape sous le nom de Résolu, a lancé un acte de bannissement contre le seigneur des Neuf Maison Sylvestres rendu faussement responsable de la destruction de Windwir. Cependant, les apparences sont parfois trompeuses et, tandis qu’Isaak soigne du mieux qu’il peut son terrible sentiment de culpabilité, au fil de ses découverte Rudolfo va apprendre que le démoniaque prévôt n’est peut–être qu’un simple instrument dont un marionnettiste consommé tirerait les ficelles. Des ficelles qui auraient également servi à orienter sa propre destinée et qui serait à l’origine de la tragédie ayant endeuillé son enfance. Tel est la base de l’intrigue du premier tome de cette série, que nous suivons en sautant de personnages en personnages de manière à judicieusement alterner les points de vue sur le déroulement de l’histoire proprement dite. L’idée de ce roman a germé dans la tête de Ken Scholes après que les éditeurs du magazine Realm Fantasy, lui aient refusé la seconde nouvelle conçue pour le monde de Windwir, alors qu'ils avaient édité la première Of Metal Men and Scarlet Thread and Dancing with the Sunrise. Ils l’encouragèrent néanmoins à la transformer en roman et c’est ainsi qu’est née la trame de ce livre premier d’une série en cinq tomes, dont la principale qualité réside dans  la facilité avec laquelle Ken Scholes crée des personnages empreint d’un profond réalisme qui fond rapidement avancer l’histoire sans s’embarrasser d’un luxe de détails qui pourraient alourdir le récit. Des personnages que l’on retrouvera avec d’autres, dans les prochains épisodes de ce cycle qui a bénéficié d’une promotion élogieuse aux USA de la part de son éditeur Tor, reprise en France par les éditions Bragelonne. Et, sans préjuger du goût de lecteurs, ont peut néanmoins dire que le livre vaut le détour ne serait ce que par l’éclectisme des éléments qui en composent la trames. On y retrouve en effet des mecaserviteurs s ou robots mécaniques qui ont parfois certaines ressemblances avec le Cispeo de la Guerre des étoiles, mais aussi des redoutables guerriers évoluant sous protection magique, une religion frisant le fanatisme avec, en option, des relents de sainte croisade, un souvenir brumeux d’ancienne apocalypse générée  par une guerre ayant opposé science et magie, le tout baignant dans une atmosphère médiévale symbolisée par les différents royaumes liés par leurs Alliances de sang, mais également imprégnée de bribes de Renaissance, avec l’omniprésence de la papauté et l’importance de la préservation de la culture, et d’une certaine barbarie mystique enveloppant le mystérieux peuple des marais. Comme dans une gigantesque auberge espagnole les lecteurs de ce livre pourront dont y trouver ce qu’ils y désirent, influences steampunk, post-apocalyptique, science-fantasy ou fantasy épique, tout en cédant facilement à l’attrait de la plume de Ken Scholes que son apprentissage du cadre de la nouvelle a transformé en remarquable raconteur d’histoires.
 
Le second livre qui a attiré mon intérêt en ce mois de mai est Rouge de Kristin Cashore publié dans la collection Orbit des éditions Calmann-Lévy. Dans le précédent roman de La trilogie des Sept-Royaumes, intitulé Graceling, ont avait déjà eut l’occasion d’apprécier le talent de Kristin Cashore en pénétrant dans le fabuleux univers de Sept-Royaumes qu’elle a créé pour le plus grand plaisir de ses nombreux lecteurs. Cette fois, elle nous entraîne au-delà de ce territoire, dans une contrée inconnue et quasi inaccessible nommée Dells. Une terre où l’on a jamais entendu parler des Gracelings, ces êtres dotés de talents supra normaux qui dans les contrées des Sept-Royaumes, devenaient aussitôt propriété du roi, seul autorisé à utiliser leurs capacités hors du commun. Mais un monde où on a pris l’habitude de cohabiter avec toutes sortes de monstres. Des créatures hybrides aux couleurs fascinantes qui ont le dangereux pouvoir de manipuler les esprits et qui raffolent de chair humaine pour égayer leur repas.

Rouge, à la crinière de la même couleur (comme la fameuse Red Sonja de Howard) fait partie de ces monstres. Jeune femme d’une beauté époustouflante, sa seule présence rend fou la plupart des individus du sexe opposé qui croisent son chemin. Mais Rouge est la fille d’un être jadis haï par tous, Cansrel le plus proche conseiller du roi Nax, et son âme damnée, capable lui aussi d’imposer sa volonté par le seul pouvoir de son esprit. Contrairement à lui, Rouge se refuse à utiliser son pouvoir, sauf pour se défendre. Dissimulant sa chevelure flamboyante attirant mille convoitises, elle a réussit à mener une existence paisible dans un petit village auprès de Brocker, un général en disgrâce devenu son protecteur, et d’Archer, son ami d’enfance et un temps son amant. Cependant la présence d’étrangers aux esprits insondables et les meurtres commis par un archer insaisissable la poussent à abandonner ce havre de paix pour rejoindre la Ville du Roi Nash, le fils de Nax. Un monarque mis en danger par les ambitions territoriales de ces dangereux voisins, les seigneurs rebelles Gentian et Mydogg dont la sœur, Dame Murgda, a épousé le chef des redoutables pillards Pikkians. A la cour de Nash, Rouge avait appris à mieux connaître la famille royale, la princesse Clara, le jeune prince Garan, mais surtout le fougueux prince Brigan, le commandant des armées royales, vers lequel elle se sent irrésistiblement attiré et qui ne voient d’abord en elle que la fille de Cansrel, le conseiller qui a vainement cherché à l’éliminer, avant d’apprendre à mieux la connaître. Car à la Ville du Roi Rouge a accepté à contre cœur d‘accomplir un travail primordial : sonder les esprits des espions fait prisonnier afin de tenter de mettre à jour les complots ourdis par Gentian et Mydogg. Mais l’autre camp dispose également d’armes redoutables en la personne de Counter le vendeur de monstres et de son archer Jod. Ces derniers se sont alliés à Leck, un jeune garçon venu des Sept Royaumes, en vérité un Changeling qui n’hésite pas à utiliser son aptitude à ensorceler les esprits pour semer la mort sur son passage et pour qui les humains ne sont que de vulgaires instruments, tels que son père qu’il a lui-même tué après l’avoir utilisé pour le protéger alors qu’il était encore bébé. Au contact de Brigan, Rouge va découvrir l’amour, mais elle traversera également de rudes épreuves et devra accepter la perte d’êtres chers, tandis qu’au fil des péripéties de l’intrigue elle sera forcée d’affronter les ombres de son propre passé hanté par la disparition de son père, le redouté Cansrel, et des ennemis pour qui elle représente la principale des menaces. Un roman emprunt d’une réelle émotion, centré sur le personnage d’une héroïne charismatique porté par la poids du fatum qui dirige ses actes (un peu comme la Cendre de Mary Gentel), qui peut être relié à la catégorie de la romantic fantasy, car les sentiments qui unissent Rouge a Brigan forment la principale trame du récit, sans afficher le lot de mièvrerie présent dans  certains romans du genre. Le second tome de la trilogie des sept Royaumes qui après Graceling, la tueuse professionnelle au service du roi qui se rebelle contre son statut) nous présent une autre femme à l’énergie débordante écartelée entre son devoir, sauver le royaume de Dells, et sa volonté de protéger son intégrité menacée par l’usage de ses pouvoirs.

Une ambivalence qui donne tout son intérêt à ce livre bénéficiant bizarrement en France, comme le premier opus du cycle (Le don de Kasta chez Hachette Jeunesse et Graceling  chez Orbit) d’une double traduction  la seconde également chez Hachette Jeunesse sous un format et une présentation différente mais dans une traduction identique. Pour ceux qui voudront en savoir plus sur cet écrivain, il est à noter que Kristin Cashore a été l’un des auteurs invités des Imaginales 2010, mais aussi l’hôte d’une émission spéciale de la Fantasy Tavern, la chaîne de télévision sur internet, disponible sur le site Fantasy TV et Lectures Academy où les lecteurs ont pu l’interroger directement pendant 45 minutes, et que l’on peut également trouver une interview de l’auteur sur le site www.bit-lit.com.

Enfin pour terminer cette livraison mensuelle je vous parlerai du second ouvrage de ma rubrique Archéo-Fantasy : L’archipel des guerrières de Jean Tur, publié dans la collection Ecrits Esotériques des éditions Robert Laffont. Sous-titré Mémoires de l’Arkonn Tecla, ce  roman nous parle des Seize Archipels Mavaé qui forment l’Empire de l’Argonaute ou des Vaisseaux. Ils sont les plus puissants des mers connues. Or, d’un coup, tout menace de changer : une épave d’explorateur à rostre d’espadon est ramenée des l’Archipel-Bouclier des Statues par un vaisseau impérial. Ce seul navire, par les deux cartes du bord, révèle l’existence de centaines d’îles très lointaines, à trois ou quatre années peut-être de navigation : les Deux-Royaumes. Explorateur, ou déjà Eclaireur en avant des premières flottes d’invasion ? Dés lors, les Conseils Centraux d’Ullona mettent les cent-soixante-dix-huit îles Mavaé sur le pied de guerre, et songent à tout annexer, à tout rallier alentour. Or l’Archipel des Guerrières Agginn refuse les traités depuis des millénaires. Il faut à présent qu’il s’allie ou qu’il soit conquis. On tentera vers lui une ultime démarche. Les Conseils investissent du pouvoir de l’Arkonnat et chargent de cette dernière tentative un obscur chroniqueur d’expédition, simple archer en campagne, Naei Tecla. Cela parce qu’il a écris quelques années auparavant un Traité de la Femme. Certains, dans les Conseils, pensent qu’il peut donner l’accès des seize îles Agginn, car ce monde féminin déroutant et fermé lui sera peut-être moins étranger qu’à quiconque dans l’Empire. Or, Tecla est en premier un chroniqueur : il laissera de ce périple une relation détaillée, car cette aventure restera un des hauts faits de sa vie. C’est la Recherche d’Alliance dans l’Archipel des Guerrières. Graphiquement d’abord, puis littérairement, Jean Tur a construit à partir de 1956 dans sa ville de Casablanca une véritable épopée relatée à travers les mémoires de son héros, l’Arkonn Tecla. Epopée qui s’ouvre en 1974 avec la publication de ce premier tome, qui sera bientôt suivi par deux autres volumes : La harpe des forces et Sterne dorée.

Jean-Luc Triolo

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