
D’ordinaire, bien que bon public au niveau de mes lectures, je ne suis pas particulièrement sensible au genre qualifié de romantic fantasy fort en vogue dans les pays anglo-saxons, c'est-à-dire mettant en scène de courageuses héroïnes se débattant au sein d’une péripéties mêlant magie et relations amoureuses. Cependant, j’avoue avoir été agréablement surpris par le dernier livre de la californienne Sarah Zettel,
L’honneur de Camelot publié chez Bragelonne Milady. Bien sûr ce second tome de la série Les chemins de Camelot calque quelque peu la base de son intrigue sur le premier volume du cycle,
L’ombre de Camelot. On y retrouve le personnage central, en l’occurrence une héroïne (Rhian dans le premier volume, Elan dans le second) devenue la cible de troubles manigances et secourue par un chevalier servant (Gauvain dans le premier, Geraint dans le second). Toutefois, Sarah Zettel, a su s’extraire du contexte purement "légende arthurienne" en propulsant les deux principaux protagonistes de son histoire, Elen la jeune guérisseuse et Geraint le chevalier de la cour du roi Arthur, dans un autre univers, plus exactement le royaume du Petit Roi, Gwiffert pen Lleid. Ce dernier possède une arme magique, la lance de Manawyddan, qui a la propriété de toujours atteindre sa cible, même les immortels, avant de retourner dans la main de son porteur. Muni de cette lance, qu’ils ont pour mission de restituer aux Seigneurs de la Féerie, Geraint pourrait se débarrasser d’Urien, un redoutable chef de clan qui s’oppose aux visées expansionnistes du roi Arthur dans les îles de Bretagne. En vérité, Urien est l’âme damnée de la sorcière Morgaine, l’adversaire principal de l’enchanteur Merlin, dont il est devenu l’amant...
Ainsi donc l’intrigue s’échappe bien loin de la cour arthurienne, nous entraînant au cœur d’un légendaire celtique finement exploité, tandis que la trame émotionnelle est habilement maintenue à travers le couple Elen/Gairaint à l’union marquée du sceau de l’inaccessible, un peu comme l’était celle de Etienne de Navarre et d’Isabeau d’Anjou, lui loup le jour et elle faucon la nuit dans le film de Richard Donner, Ladyhawke. Dés lors le livre se conforme, et ce n’est pas toujours le cas, à ce qu’annonce le quatrième de couverture : «
Une aventure palpitante d’amour et de féerie ».

Afin de rester dans le légendaire je me tournerai à présent vers ouvrage paru chez l’éditeur Thierry Magnier,
Soslan le lumineux, de Gilles Bizouerne et destiné à un lectorat jeunesse. Soslan, sa vie, ses exploits, tel est le motif de ce livre que nous devons aux talents réunis de Gilles Bizouerne, le conteur, et de Hugues Micol, le dessinateur. Soslan le Lumineux, un héros mi-humain et mi-divin qui nous entraîne dans des aventures épiques aux confins des plaines du Caucase, là où vivaient jadis les Nartes, un peuple illustre et mythique, une tribu âgée de 6000 ans, ancêtres fabuleux des peuples du Caucase tels que les Ingouches, les Tchétchènes, les Abkhaz ou les Ossètes.
Toujours à la recherche d’une gloire éternelle, Soslan combattit sans relâche celui qui, dés sa naissance, avait juré sa mort, son demi-frère Syrdon, enfanté par le diable. Trempé dans le lait de la louve par Kurdalaegon, le forgeron céleste, Soslan possédait un corps dur comme du bronze au-dessus des genoux devenus, comme pour Achille et son fameux talon, l’un des points vulnérables de son anatomie. Conduits par la plume de Gilles Bizouerne et guidés par les illustrations en bichromie, souvent pleine page, de Hugues Micol, nous le suivons dans ses diverses aventures. Comme, par exemple, son voyage à travers le monde à la recherche d’un être plus fort que lui, qui l’amène à affronter le Géant des Géants. Mais aussi à travers son incursion chez Mukara et Bylits, les sanguinaires fils de Tar, le pays où l’avait envoyé le perfide Syrdon afin de sauver les troupeaux des Nartes condamnés à mourir à cause d’un hiver particulièrement rigoureux. Puis nous assistons à sa rencontre avec Atsyrus, la fille du soleil, qu’il avait poursuivie jusque dans son palais alors qu’elle était métamorphosée en cerf et qu’il l’avait prise en chasse. Désireux de l’épouser, il ne pourra s’unir à elle qu’après avoir rapporté à ses sept frères quatre feuilles de l’arbre d’Aza, qui pousse au Pays des Morts. Un épreuve qu’il réussit, mais en payant un prix élevé : celui d’avoir révélé à Syrdon le secret de sa vulnérabilité. Une histoire qui n’est pas sans rappeler les récits de la mythologie russes et qui tranche par rapport aux habituelles productions centrées sur les légendaires celtiques et nordiques, nous permettant ainsi de découvrir sous une remarquable présentation cette épopée venue d’Ossétie du Nord qui fera le bonheur des amateurs d’héroic fantasy.

Enfin, je me tournerai vers un habitué des territoires du merveilleux, Edouard Brasey, qui publie chez Blefond avec
Le trésor du Rhin le dernier tome de sa trilogie de
La malédiction de l’anneau. Pour ceux qui ont senti peser sur leurs épaules le poids d’une solennité envahissante, parfois même dévoreuse de l’intrigue, en suivant les quatre épisodes de la tétralogie de Wagner, la trilogie d’Edouard Brasey fera l’effet d’une fontaine rafraîchissante à laquelle ce conteur hors pair, coutumier arpenteur des terres de légendes, nous invite à étancher notre soif de merveilleux. Cette fois, après la walkyrie Brunehilde dans le premier tome et le dragon Fafnir dans le second, c’est l’Anneau lui-même qui prend la parole pour raconter sa propre histoire. Et, après tout, quoi de plus logique, car il est au cœur même de cette fabuleuse trilogie. Reprenant sa lyre de scalde Edouard Brasey nous entraîne dans une suite de péripéties épiques entremêlant les destins des hommes et des dieux et les précipitant dans le sillage du pathos tragique annoncé par les funeste Nornes. Victorieux de Hundling, le chef de la Horde Noire, Siegfried a fait un retour triomphant dans le royaume de Frankenland. Cependant, au sein de cette cour riche en complots, jalousies et trahisons, il va devoir affronter un ennemi tout aussi dangereux que les monstres qu’il a déjà vaincu en la personne de Kriemhilde, la passionnée princesse burgonde. Celle-ci, par ruse, lui fera absorber un philtre d’amour et d’oubli qui chassera de son cœur l’attachement qu’il croyait pourtant indestructible le liant à la belle Brunehilde. La violation du serment de fidélité qui l’unissait à la walkyrie déclenchera dés lors une suite d’événements funestes qui conduiront au saccage du royaume des Burgondes par les Huns d’Attila et à la fin d’Asgard, la demeure des dieux, symbolisée par le terrible Ragnarock, tandis que l’Anneau maléfique tant convoité et laissant derrière lui un sillage de malheurs pourra enfin retrouver son berceau originel, les eaux sombres du Rhin.
Le dernier volet d’une trilogie qui, à l’origine, devait compter quatre volumes et qui sera bientôt reprise en intégrale par les éditions Belfond. Edouard Brasey, en conteur expérimenté, a su dépoussiérer ce mythe nordique ayant servi d’inspiration tout à la fois à la tétralogie Wagnérienne qu’au
Seigneur des Anneaux de Tolkien. Ne négligeant pas sa texture épique et s’efforçant de rester fidèle à ses principaux développements, il a su cependant le parer d’une dimension amoureuse qui secoue souvent avec bonheur les aspects quelque peu rigides de la légende germanique. Laissant augurer la transition entre l’époque des mythes et l’expansion du christianisme à travers le parallèle entre Balder, le dernier dieu ressuscité, et la figure du Christ, il replonge le lecteur dans les racines communes de notre substrat occidental en s’efforçant de rendre accessible au plus grand nombre les pages de cette saga venue du fond des temps qui nous rappelle que le légendaire nordique peut se montrer aussi riche que ses congénères celtiques ou gréco-romain dans lesquels les auteurs viennent plus facilement puiser aussi bien dans le domaine littéraire qu’à travers les adaptations cinématographiques. A noter qu’un site internet, www.lamaledictiondelanneau.com, est entièrement dédié à la trilogie, offrant ainsi aux lecteurs enthousiastes l’occasion d’en savoir encore plus sur cette brillante production de la Fantasy francophone.