A l'occasion de la sortie du Cavalier du Septième Jour, Serge Brussolo revient sur l'écriture de ce roman.
Actusf : Comment est née l'idée de ce roman ? Comment naissent les idées pour vos romans ? A quel moment savez vous que vous tenez le début d'une histoire ?
Serge Brussolo : J’ai toujours été incapable de répondre à cette éternelle question. Je n’en sais foutre rien. D’un seul coup l’idée m’est comme « donnée », dans une sorte de flash, d’évidence. Je pense que cela procède d’un travail induit et secret de l’inconscient qui bosse clandestinement dans les coulisses de ma cervelle, et une fois le boulot fait, vient sonner à ma porte comme un livreur de pizza. Mais à la base il n’y a aucun travail volontaire de recherche, de documentation. Ce n’est pas un phénomène aussi exceptionnel que cela peut paraître. Georges Simenon procédait de la même manière. Il partait se promener en fumant la pipe et paf! D’un coup, son sujet le submergeait sans qu’il sache réellement d’où cela lui venait.
Actusf : On est dans un petit village d'Amérique latine chez les Indiens Wataphas, une terre de légendes et de croyances. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'y écrire une histoire ? Qui sont ces Indiens ?
Serge Brussolo : Une partie ma famille a vécu au Brésil, enfant j’ai baigné dans un climat de superstitions populaires, de signes, de présages. J’ai toujours été attiré par les Cultures qui entretiennent un lien très fort avec la Nature, les éléments, et pour lesquelles tout est vivant : l’eau, la végétation, le vent, la pluie. L’animisme. Je suis assez peu tourné vers la technique, le scientisme échevelé qui sévit de nos jours. Pour les Indiens du roman, ces croyances sont un moyen qui oblige au respect de leur environnement sous peine de subir une terrible punition, et notamment la vengeance du Cavalier du Septième Jour. C’est aussi une manière de dire que les animaux sont, d’une certaine manière, les seuls vrais maîtres de cette terre, et qu’ils n’apprécient guère ce que les humains en on fait. Je ne pense pas que nous fassions partie d’une race de seigneurs faite pour imposer sa loi à la planète. Nous sommes, pour quelque temps encore, des prédateurs trônant au sommet de la pyramide. Ça ne durera pas.
Actusf : Il y a une opposition entre les Indiens et un haras. Vous aviez envie d'une sorte d'affrontement entre deux mondes ?
Serge Brussolo : La ville en question est un lieu de dérèglement où s’affrontent deux conceptions. Le haras est une sorte de clinique vétérinaire de l’horreur où l’on mutile les chevaux pour en faire des récipients vivants qui serviront à véhiculer clandestinement de la drogue à travers le Monde. On est là radicalement à l’opposé du respect des lois naturelles, et il ne peut en résulter que chaos et apocalypse.
Actusf : On y croise une jolie galerie de personnages. Mais parlez nous d'Ichiko, celle sur laquelle repose l'avenir du village et du monde entier. Comment la voyez vous ?
Serge Brussolo : Il est difficile de parler d’Ichiko sans dévoiler l’intrigue du roman. On la présente comme une médiatrice d’origine indienne, un peu illuminée. La seule capable de parler aux chevaux sauvages et de les empêcher de déferler sur la ville pour la détruire. Mais la vérité est plus complexe, c’est un personnage a multiples facettes, que je trouve très attachant. Du reste, dans le roman, la plupart des personnages se cachent derrière des masques parce qu’ils sont le produit d’une vie tourmentée qui les a obligés à pratiquer l’art du camouflage.
Actusf : Comment construisez vous vos personnages ?
Serge Brussolo : Mes personnages sont toujours des survivants. Des gens qui ont été, à un moment de leur existence, plus ou moins broyés par le destin mais qui tentent par tous les moyens de se maintenir la tête hors de l’eau. Ce ne sont pas des perdants, juste des combattants blessés qui luttent pour ne pas perdre pied, et qui mobilisent toutes leurs capacités de résilience. Cela vient, probablement, de ce que j’ai rencontré et côtoyé pas mal de gens de cette sorte, et qu’on considère à tort comme des épaves. Je suis assez peu intéressé par les « chevaliers blancs », les héros gonflés à la testostérone, aux balloches grosses comme des melons.
Actusf : Vous avez trois histoires qui s'entremêlent dans votre roman. Comment travaillez-vous vos intrigues ? Vous êtes de ceux qui font des plans précis ou vous laissez vous portez ?
Serge Brussolo : On ne peut pas conduire une intrigue compliquée sans plan précis, cela dit, je laisse une grande place à l’improvisation en cours d’écriture. Au fur et à mesure, il me vient souvent des idées pour rendre l’intrigue encore plus compliquée, c’est comme une partie d’échec. Dès qu’on bouge un pion les possibilités se redistribuent, une nouvelle configuration se dessine. Des possibilités jusqu’alors cachées, et parmi lesquelles il faut choisir. Tout autant de développements qui sont comme des univers parallèles. C’est très excitant, et c’est bien, sinon on tomberait dans une routine assez ennuyeuse. Il ne faut pas que ça reste figé, ça m’emmerderait. Je pars du principe que si je m’amuse, le lecteur s’amusera aussi.
Actusf : Un lecteur sur internet écrivait : "on ne lit pas un genre mais on lit du Brussolo.". Est-ce que ça vous semble juste ? Est-ce que c'est quelque chose que vous travaillez ?
Serge Brussolo : Je ne fais pas exprès en me disant : « Ah! Qu’est-ce que je pourrais trouver qui fera bizarre? Voyons, creusons-nous la tête… » J’explore mon univers, c’est tout. Je décris les choses qui peuplent mon imagination. Certains lecteurs s’y sentent comme chez eux et en redemandent, d’autres s’enfuient en criant « Au secours! Il est fou! ». Certains éditeurs m’ont expliqué que c’est en écrivant des banalités qu’on gagne beaucoup d’argent, mais ça ne m’intéresse pas, ça me ferait beaucoup trop chier. Personnellement je suis incapable de lire un roman où je ne sens pas poindre une personnalité à part, qui sort de l’ordinaire. Le ronron littéraire me gonfle. Un roman doit nous ouvrir une porte sur un autre univers. Ensuite, on aime ou on aime pas. Soit on lit pour passer le temps, planplan, soit on espère que cette lecture nous transportera et nous arrachera à la banalité. Moi, c’est comme ça que je vois les choses.
Jérôme Vincent