Alors que son nouveau roman intitulé Le Chevalier aux épines - Le Tournoi des preux vient de sortir aux éditions Les Moutons électriques, Jean-Philippe Jaworski nous a parlé de son processus d'écriture, de ses projets futurs, et nous a même révélé les titres des prochains tomes de cette nouvelle trilogie !
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Actusf : Votre nouveau roman Le Chevalier aux épines – Tome 1, vient de paraître aux éditions des Moutons électriques. Pouvez-vous tout d’abord nous en dire un peu plus sur l’intrigue pour les lecteurs qui découvriraient cette nouveauté ?
Jean-Philippe Jaworski : Le chevalier Ædan de Vaumacel est de retour dans le duché de Bromael. Or, en son absence, la duchesse Audéarde a été accusée d’adultère avec le chevalier ; celui-ci, cité à comparaître à son procès, ne s’est pas manifesté et la duchesse a été répudiée puis emprisonnée. Toutefois, elle dispose encore d’un parti influent, à commencer par ses fils qui lui ont gardé leur affection, et la discorde s’installe au sein du duché. Ædan de Vaumacel, honni par le parti du duc comme par celui de la duchesse, prétend rétablir son honneur et celui de la dame ; mais il semble plus occupé à poursuivre les ravisseurs de jeunes gueux qu’à secourir celle qu’on lui a prêtée comme maîtresse… En arrière-plan, il est possible que ces désordres dynastiques et féodaux soient le fruit de la politique étrangère du podestat Leonide Ducatore, qui s’est imposé quelques années plus tôt à la tête de la République de Ciudalia.
Actusf : On revient donc dans le Vieux Royaume, cet univers dont vous avez déjà raconté beaucoup de ses histoires qu’elles soient courtes ou plus longues. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y retourner ? Est-ce plus facile ou au contraire, plus difficile, après tout ce temps déjà passé dans ce monde ?
Jean-Philippe Jaworski : Le sujet du Chevalier aux épines est en germes depuis la composition du Service des dames, la nouvelle (intégrée à Janua vera) où apparaissait Ædan de Vaumacel. Certains mystères liés au personnage et les relation du chevalier avec son écuyer et son page étaient déjà des préparations à ce roman. Les premiers jalons de ce récit remontent donc à 2007. Sa composition a été repoussée en raison de la grande équipée celtique de Rois du Monde, dont les deux premières branches m’ont demandé dix ans de travail. Mais je languissais du Vieux Royaume et je réfléchissais souvent à ce roman en particulier, pour lequel je continuais à prendre des notes. Ce fut un vrai bonheur de m’immerger dans le duché quand j’ai pu m’atteler à la rédaction du texte.
Actusf : C’est la première fois que vous écrivez une histoire en plusieurs tomes dans le Vieux royaume (Le chevalier aux épines étant le début d’une trilogie), pourquoi celle-ci requérait-elle trois livres contrairement aux autres ?
Jean-Philippe Jaworski : Pour deux raisons. La première est très triviale : c’est un roman fleuve. (Ce qui, soit dit en passant, est d’esprit très médiéval puisque c’est le roman du XIIIe siècle qui invente la formule.) En son état actuel, Le Chevalier aux épines dépasse les 400 000 mots, et la trilogie n’est pas finie. La deuxième raison tient à la composition du texte : outre de courts récits enchâssés, le roman en comporte un grand qui occupe la partie centrale du cycle. Le premier et le troisième tomes sont donc pris en charge par le narrateur cadre tandis que le deuxième tome est raconté par un narrateur enchâssé.
Actusf : Alors que l’ambiance de Ciudalia rappelait beaucoup celle de la Renaissance italienne, on est sans conteste ici plutôt dans une quête digne des chansons de geste du Moyen Âge. Dans une autre de nos interviews, vous avez qualifié ce projet de « hommage et peut-être détournement du roman de chevalerie », quel a été votre procédé d’écriture à partir de cela ? Et pourquoi « détournement » ?
Jean-Philippe Jaworski : C’est un hommage au roman de chevalerie par son sujet, bien sûr, mais aussi par sa forme. En entreprenant ce récit, je voulais en faire un texte médiéval fantastique au sens littéral du terme. J’ai voulu en particulier rendre hommage à différentes formes de roman de chevalerie : la forme la plus ancienne, qui remonte aux XIIe et XIIIe siècles, qui est en vers ; la forme ultérieure, qui invente le roman moderne en prose ; et puis une forme tardive, le roman de chevalerie parodique (qui se manifestera dans le deuxième tome, Le Conte de l’assassin). J’ai également transposé dans le caractère énigmatique du narrateur cadre une caractéristique du roman médiéval : le mystère qui règne souvent à propos de l’identité et des intentions de son auteur. Enfin, le roman de chevalerie eut un tel succès auprès de la noblesse du Moyen Âge et de la Renaissance qu’il en imprégna profondément les mœurs, ce que Michel Pastoureau appelle joliment « l’enromancement ». Cela poussa la noblesse à commander des romans, miroirs idéalisés de ses valeurs. Cette relation de réciprocité entre le roman de chevalerie et la société chevaleresque m’a amené à écrire une mise en abyme : ma société chevaleresque est elle-même éprise de roman de chevalerie, ce qui m’a conduit à insérer un roman de chevalerie dans le roman de chevalerie.
Mais tous ces artifices restent au service du récit de fantasy, d’un roman qui appartient avant tout au cycle du Vieux Royaume. C’est en ce sens que c’est aussi un détournement d’une esthétique médiévale au service d’une œuvre de notre temps.
Actusf : Votre texte peut justement paraître un peu éloigné du fameux Gagner la guerre de prime abord. Son style se rapproche plus du roman courtois tandis que l’histoire de Don Benvenuto jouait plus sur l’action et la fantasy. Était-ce une volonté de votre part ? Est-ce également un moyen de montrer les différences entre les différents peuples et Duchés de ce monde puisque vous vous y éloignez de Ciudalia, région que le lecteur connaît déjà ?
Jean-Philippe Jaworski : Dès la composition de Janua vera, mon projet était de varier les styles en fonction des protagonistes et des intrigues. J’applique aux romans les principes que j’ai déjà suivis pour les nouvelles. Le but est effectivement de donner une coloration particulière aux différents peuples, milieux et cultures.
Actusf : Le style et le ton de la geste médiévale que vous employez restent marginaux dans les romans de fantasy qui s’inspirent pourtant de cette époque. Pensez-vous que rajouter ce détail « réaliste » permette au lecteur de se plonger en douceur dans ce genre fondateur de notre culture actuelle ?
Jean-Philippe Jaworski : Mon dessein n’est pas nécessairement de faire office de passeur vers les œuvres de littérature médiévale. Il est plutôt de créer une certaine adéquation entre le sujet et la forme du roman, afin de renforcer la vraisemblance de la fiction par une esthétique qui lui est propre.
Actusf : On sent que pour vous, l’écriture est avant tout une façon de s’amuser avec les mots et avec les histoires. Dès les premières pages du roman, vous prenez par exemple le point de vue d’un chat, même si on ne le comprend qu’après quelques pages. Les changements de point de vue sont-ils un procédé que vous voulez instaurer un peu plus dans vos récits ?
Jean-Philippe Jaworski : Le changement de point de vue est bien sûr quelque chose qui m’amuse. Il a toutefois sa raison d’être dans le projet esthétique du Chevalier aux épines : le roman de chevalerie est le roman qui invente l’entrelacement narratif. A partir du moment où je voulais jouer avec les codes de ce roman, le changement de point de vue s’imposait. Quant à la présence du chat, elle est due à diverses raisons, dont certaines que je me garderai de dévoiler. Mais en le glissant dans ces pages, je pensais aussi aux enluminures des livres médiévaux : dans les lettrines ou dans les marges, on y voit souvent des animaux plus ou moins fabuleux ou comiques. Le chat, les oiseaux et les anguilles qui baguenaudent dans Le Chevalier aux épines font partie de ce bestiaire des marges.
Actusf : Pour finir, on se doute que ce projet de trilogie prend beaucoup de votre temps. La suite est-elle déjà en cours d’écriture ? Travaillez-vous également sur d’autres projets ?
Jean-Philippe Jaworski : Dans ses grandes lignes, Le Conte de l’assassin, qui forme le deuxième tome, est terminé ; je travaille actuellement sur le troisième tome, Le Débat des dames. Pour l’instant, je me concentre sur la trilogie. Je reviendrai à la composition de Rois du Monde en 2024.