A l'occasion de la sortie du Convoyeur aux éditions Le Lombard, Tristan Roulot revient sur l'écriture de ce premier tome en collaboration avec Armand au dessin. Nymphe, le premier volet, sortira le 26 juin.
Actuf : Comment est née l'idée du Convoyeur ?
Tristan Roulot : Je crois que la sortie de Mad Max Fury Road a dû y être pour quelque chose. Je me souviens d’une discussion il y a quelques années avec mon éditeur au Lombard, Gauthier Van Meerbeke à ce sujet. Il aura fallu laisser le temps à ce que ça prenne une forme dans mon cerveau. Même si au final, j’ai fait complètement l’inverse avec une société sans fer et sans moteur…
Actusf : C'est un monde post-apocalyptique. Aviez-vous en tête quelques références avant de commencer et si oui lesquelles ?
Tristan Roulot : Le post-apo est un genre que j’affectionne. J’ai vu Mad Max 2 à la fête d’anniversaire d’un copain d’enfance. J’avais 9-10 ans, et je crois que sa mère n’avait pas bien saisi le contenu de la cassette qu’elle avait louée. Je ne m’en suis jamais remis. Le tragique de Ken le survivant (Hokuto No Ken en bon japonais) m’a également marqué à vie, merci le club Dorothée. Et puis un roman formidable, Malevil, de Robert Merle, que je conseille à tout le monde. Instant pitch : un petit groupe de touristes qui visitaient les caves d’un château échappe à une éradication planétaire, et commence à organiser sa survie en autarcie. Plus j’y pense, plus je crois que le convoyeur est le direct descendant de Malevil.
Actusf : Vous y parlez de pandémie, avec un drôle d'écho à notre présent. Qu'est-ce qui vous intéressait dans cette thématique ?
Tristan Roulot : Il y a quelque chose de fascinant dans la propagation inéluctable d’un virus ou d’une bactérie qui rebat toutes les cartes d’un monde qu’on croyait connaître. La fin de l’histoire comme le prédisait Fukuyama n’est pas encore arrivée, tout peut basculer en un claquement de doigts.
Actusf : Le monde est ravagé, il est en ruine avec quelques communautés. C'est un bon décor pour y raconter des histoires alors que la survie est l'affaire de tous et toutes ?
Tristan Roulot : On serait tenté d’espérer que, face à une grande menace, l’humain parvienne à faire front commun, à se fédérer pour lutter. La vérité semble bien différente. Pour beaucoup d’entre nous, la survie individuelle passe avant celle de l’espèce, même si un tel choix nous condamne tous à terme. C’est cette dualité, ce paradoxe, groupe vs individu, que je ne me lasse pas de creuser.
Actusf : Un petit mot sur votre personnage principal. Le convoyeur est une figure assez froide, n'affichant que très peu ses sentiments. Comment le voyez vous ? J'imagine que son côté monolithique va sans doute s'écailler par la suite ?
Tristan Roulot : Oui et non, mais impossible d’en dire plus, puisque c’est la nature même du convoyeur qui est au cœur de notre récit. C’est le personnage principal et il a bien mérité d’avoir son nom en couverture. Pour autant est-ce bien lui, le héros ?
Actusf : Vous parlez aussi d'exploitation des hommes, de pouvoir également, notamment avec un groupe de l'Eglise qui entend dicter sa loi par la force. Est-ce que vous aviez aussi dans l'idée de parler du monde d'aujourd'hui ? Voyez-vous votre récit également comme un miroir d'aujourd'hui ?
Tristan Roulot : Un miroir très déformant alors. Le monde du convoyeur a muté de façon tellement radicale que l’humanité elle-même s’éloigne de ses racines comme un bateau à la dérive. Pour autant la lutte pour la survie reste au cœur de toute la logique du vivant : survivre le plus longtemps possible, assurer sa reproduction, exploiter un territoire sont des questions qui occupent la plus basique des bactéries comme l’homme le plus évolué. Et le retour à la barbarie, cette manifestation de nos réflexes les plus primaires, n’est jamais loin. Pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs. Il n’est pas dit que la supercivilisation ne soit pas notre perte à tous en bout de ligne, de par sa déconnexion aux réflexes du vivant.
Actusf : Comment avez-vous travaillé avec Armand, le dessinateur ?
Tristan Roulot : Dès le départ, on en a beaucoup parlé du récit, de l’univers et des personnages, puis après mon premier synopsis, puis encore après l’écriture du scénario. A chaque étape, j’écoute, je vois ce qui a marché ou au contraire a gêné aux entournures. J’interviens également après le storyboard par exemple, qui est le moment où j’intègre mes dialogues sur les planches. C’est le moment où je vois si la narration fonctionne. J’essaie de viser la plus grande fluidité de la lecture, et d’éviter qu’on accroche sur un élément qui nous fasse sortir du récit. Alors je propose un nouveau cadrage, je rajoute une bulle, ou je coupe dans le superflu pour parfois m’apercevoir qu’il faut ensuite rajouter un peu de chair. Après l’encrage, je retravaille encore mes dialogues pour coller aux expressions qui sont sorties de la plume du dessinateur, pour cette fois essayer d’avoir le maximum de justesse dans le jeu de nos personnages. Bref, ça ne s’arrête qu’au moment où ça part chez l’imprimeur. C’est de la matière vivante, de la glaise qu’on sculpte jusqu’à obtenir la forme la plus fidèle à ce qu’on avait en tête : le livre.
Actusf : Aviez-vous une idée très précise du graphisme ?
Tristan Roulot : J’écris toujours en fonction du dessinateur avec qui je travaille, de son langage, de son registre narratif en quelque sorte. Ce qui ne m’empêche pas d’imaginer des scènes qui les poussent à sortir de leur zone de confort, comme faire dessiner de la trivialité ou du burlesque à un dessinateur qui s’épanouit dans des registres plus graves, ou tout l’inverse. Ça donne des choses parfois surprenantes de justesse ou d’originalité. Ou ça rate dans les grandes largeurs et il faut complètement repenser la scène après le découpage, hahaha !
Actusf : Que pouvez-vous nous dire de la suite sans spoiler ?
Tristan Roulot : Délicat… Mmh, disons qu’on a introduit deux personnages secondaires dans ce tome 1 dont l’importance va aller croissant, jusqu’à devenir le barycentre de l’histoire. Le tome 2 révèlera également qui est le convoyeur et ce qu’il représente. Certains penseront même que c’est le messie. Mais l’humanité a connu déjà nombre de faux prophètes, alors qui croire ?