Actusf : Le Cycle de Mithra vient d’être réédité aux éditions Mnémos. Quelle a été l’idée à l’origine de ce cycle ?
Rachel Tanner : Plusieurs idées, en fait. A l'époque, j'étais follement amoureuse : ok, c'est banal. Je ressentais le besoin d'une sublimation de ces sentiments très forts. Laran, c'était mon grand amour.
Mon ambition était de situer cela dans un vaste contexte. Je suis historienne, me dis-je. Au boulot. Ce que je ressentais déjà à l'époque (et depuis largement confirmé), c'est que nous vivions une fin d'empire. Je voulais en parler. Quoi de mieux que la chute de l'Empire romain ?
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son intrigue ?
"L'action embrasse trois niveaux : celui des personnages, celui des sociétés et celui des dieux (qui interviennent en personne, selon la meilleure tradition de l'Iliade et l'Odyssée)."
Rachel Tanner : Ben, pas facile. C'est une uchronie, à une époque qui se situe au VIII siècle de notre ère, mais où l'Empire romain d'Occident est toujours là. La religion de Mithra triomphe. Le premier roman se déroule comme une sorte d'initiation. Une jeune fille d'Armorique est poussée par les événements à devenir l'apprentie d'une grande magicienne et à jouer un rôle important dans le devenir des sociétés de son époque. L'action embrasse trois niveaux : celui des personnages, celui des sociétés et celui des dieux (qui interviennent en personne, selon la meilleure tradition de l'Iliade et l'Odyssée). Le deuxième roman, quoique n'étant pas une suite directe, reprend certains personnages et se déplace à Rome – qui est quasiment le personnage principal du roman. Un cycle de nouvelles développe certains personnages déjà rencontrés dans les romans.
Actusf : Vos héroïnes, Frédérique Braffort et Judith, sont des personnages aux caractères bien affirmé. Pouvez-vous nous parler d’elles ? Comment les avez-vous créées ?
Rachel Tanner : Je répondrais comme Flaubert : « Madame Bovary, c'est moi. » Frédérique est une femme qui m'a été très proche. Dans la mesure du possible, j'essaie d'avoir un modèle réel dans la création de mes personnages, cela leur donne de l'authenticité.
Actusf : Vous avez fait des études d’histoire et d’archéologie. Dans quelles mesures votre roman a-t-il été influencé par votre parcours ?
Rachel Tanner : Si je répondais aucune influence, personne ne me croirait ! Donc oui, forcément, mon parcours d'historienne est déterminant.
Actusf : Pourquoi avoir choisi cette époque ?
"Mais ce qui frappe les imaginations, c'est la façon dont cette civilisation s'est écroulée. Toute ressemblance avec notre époque n'est pas fortuite."
Rachel Tanner : Tout d'abord, ce n'est pas du tout la seule époque sur laquelle j'ai écris. J'ai publié un roman de pure préhistoire Le rêve du Mammouth; croyez-moi, ce n'est pas de la tarte de se projeter dans un environnement où aucun de nos référents actuels n'existent. (Je ne recommencerai pas !) J'ai publié de nombreuses nouvelles qui vont de la préhistoire à l'époque contemporaine.
Sinon, bien entendu, l'Empire romain fascine. J'ai grandi en Provence où leurs constructions sont toujours debout et sont utilisées : Pont des Trois Sautets à Aix-en-Provence, les arènes de Nîmes et d'Arles... Mais ce qui frappe les imaginations, c'est la façon dont cette civilisation s'est écroulée. Toute ressemblance avec notre époque n'est pas fortuite. En tant qu'historienne, j'ai le sentiment très fort que nous vivons la fin de la civilisation occidentale. C'est à la fois intuitif (étayé par mes connaissances des périodes du passé et ma lecture des travaux des anthropologues) et analytique par l'examen des données, qui sont toutes dans le rouge (vif!).
Actusf : Avez-vous du faire beaucoup de recherches ? Comment avez-vous travaillé ?
"L'un des dangers est de se laisser envahir par la documentation. Il ne s'agit pas d'accumuler les détails d'époque, ce qui devient vite une compilation indigeste. Il s'agit de saisir « l'esprit » ( oui, ça fait très New-age) d'une époque. L'esprit plutôt que la lettre, toujours."
Rachel Tanner : Je fais toujours de la recherche parce que c'est ce que je suis. Une intellectuelle, n'ayons pas peur des mots. J'aime apprendre, et j'aime comprendre. Sinon, de la recherche ponctuelle sur tel ou tel point précis se fait parfois sentir : la cuisine romaine, l'art des plaisirs à Rome (y compris amoureux), la religion de Mithra, la vie quotidienne...etc
L'un des dangers est de se laisser envahir par la documentation. Il ne s'agit pas d'accumuler les détails d'époque, ce qui devient vite une compilation indigeste. Il s'agit de saisir « l'esprit » ( oui, ça fait très New-age) d'une époque. L'esprit plutôt que la lettre, toujours.
Actusf : Avez-vous eu des sources d’inspirations en particulier ? Littéraires, cinématographiques ?
Rachel Tanner : Je lis énormément, cela ne surprendra personne. Je regarde aussi beaucoup de séries anglo-saxonnes. J'admire tellement d'auteurs qu'il m'est impossible de tous les citer. Mais je n'ai pas un modèle en particulier, si tel est le sens de la question. En revanche, au niveau du style, Robert Merle, en particulier son roman L'idole (qui n'est pas de la fantasy) me laisse béate. Si j'arrive au dixième de sa perfection, je serais comblée.
Actusf : Écrire de la fantasy, vous permet-il d’aborder certains sujets qui vous tiennent à cœur ? De dénoncer certaines choses ? On ne peut s’empêcher de réfléchir à la religion et aux conflits que les croyances génèrent, en vous lisant.
Rachel Tanner : Pas vraiment la religion, en y réfléchissant, mais les bureaucraties. C'est quand la religion devient une bureaucratie que les ennuis commencent. D'ailleurs, ce que mon héroïne dénonce quand elle discute avec Julius Agrippa, c'est bien la bureaucratie romaine. Pourquoi les bureaucraties ? Par définition, c'est un système impersonnel et totalitaire, qui renvoie l'individu à des règlements absurdes contre lesquels il ne peut argumenter. C'est le règlement. Point. (Inutile de préciser que notre société a érigé la bureaucratie au sommet de son art. Et je ne parle pas seulement de la bureaucratie d’État.)
Par ailleurs, il y a aussi des thématiques évidentes comme la place des femmes, celle des faibles, des dominés économiquement, la volonté des sociétés de garder leur souveraineté (à savoir être maître chez soi) face à l'impérialisme, la violence physique...etc
"Pas vraiment la religion, en y réfléchissant, mais les bureaucraties. C'est quand la religion devient une bureaucratie que les ennuis commencent."
Actusf : Maintenant, quelques années plus tard, modifieriez-vous quelque chose à votre roman ou finalement tout est là et rien n’a changé ?
Rachel Tanner : Rétrospectivement, il y avait beaucoup d'ambition et une certaine naïveté quand je me suis lancée. Je voulais tout dire. Je ne suis pas certaine que j'aurais ce courage (plutôt de l'inconscience) aujourd'hui. Mes ambitions actuelles sont plus modestes.
Des choses à modifier ? Le fin du Glaive de Mithra est un brin trop rapide. Il faudrait peut-être l'étoffer.
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Rachel Tanner : Je travaille sur une fantasy médiévale qui se déroule dans une espèce de XV siècle en France à l'époque de la guerre de 100 ans. Le Cycle de Mithra abordait en arrière-plan la chute d'une (ou des) civilisation. Les Enfants du Chaos aborde en arrière-plan l'opposé, à savoir la reconstruction nationale. Ceci étant, la question est posée à travers l'histoire et les personnages : pas question de faire une lourde démonstration laborieuse (genre : attention !!! ici on parle d'Histoire!), qui ne peut qu'ennuyer.