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Le Défosseur

Eric Corbeyran (Scénariste), Amaury Bouillez (Dessinateur, Coloriste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/07/2004  -  bd
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Le Défosseur

C'est avec Le Chant des Stryges (dessiné par Guérineau) que Corbeyran s'est imposé comme un scénariste de BD de premier plan. Auteur polymorphe, il a su développer le concept initial et le décliner en séries parallèles: Le Clan des Chimères (dessiné par Suro), Le Maître de jeu (dessiné par Charlet), qui rencontrent elles aussi un vif succès. Mais sa renommée a été largement dopée par le succès du Régulateur (dessiné par Moreno), une série steampunk éblouissante. Prolifique comme à son habitude, Corbeyran continue d'exploiter le courant (désormais 'in') du steampunk avec PEST, une nouvelle série prévue en deux tomes. Aux sombres calculs de Nyx le régulateur, Corbeyran a cette fois préféré la candeur romantique d'un certain Abélard. Une histoire au diapason avec le graphisme de la série, confié à Amaury Bouillez. Le couple d'auteurs n'en est pas à son coup d'essai puisqu'ils ont déjà commis Le Phalanstère du Bout du Monde. Un duo 'qui vaut des points'* en somme, et dont on se réjouit qu'il récidive.

"Cest que... Je ne suis pas un expert mais... N'allons nous pas nous tripatouiller sans retenue au cours de nos imminents ébats?"

Dix ans que la PEST fait des ravages à Spleen City. Dix longues années que la cité sur pilotis s'est retrouvée isolée, baignant dans ces eaux dont l'insalubrité même serait la cause de la maladie qui décime le population. Afin de protéger la populace, les plus hautes autorités scientifiques, politiques et religieuses veillent au grain: cantonnement des individus contaminés dans des fosses d'épuration, traque sans merci des contrevenants aux lois censées freiner l'épidémie, culture d'une foi en des jours meilleurs, d'un salut imminent cloué dans les cervelles et entretenu à grands renforts de brebis galeuses et de boucs émissaires...

Mais cet équilibire est fragile, et la patience des citoyens a des limites. Des limites qui pourraient être mises à mal si d'aventure le constat que les eaux qui environnent la ville ne présentent plus de risque de pollution devait être ébruité. Aucun risque a priori: seuls les bons patriarches de la cité sont au courant, et le secret pourraît être bien gardé s'il n'était aussi partagé par un certain Abélard Tournemine, technicien sans envergure au service de la qualité de l'eau et poète à ses heures. L'existence d'Abélard va alors opérer un virage à 180°: amant presque malgré lui de la belle Héloïse, épouse du Dr. Kilojoule, le maître à penser de la médecine locale, Abélard va découvrir dans quelle ignorance la ville est maintenue afin de satisfaire les projets immobiliers de quelques notables corrompus... Voilà que l'innocent technicien devient un véritable gêneur qu'il faut éliminer. Mais lui-même a des projets, à commencer par la libération de ses parents et des autres pestiférés maintenus en captivité.

Plein les mirettes

Ce PEST, y'a pas à dire, c'est de la belle ouvrage. Graphiquement d'abord, parce que ne rien dire sur le dessin serait une honte. Les décors baroques évoquent un monde de ferroniers, à cheval entre La Cité des enfants perdus et L'Etrange Noël de Monsieur Jack. Les personnages: des têtes d'ampoules attifées à la mode Brigades du tigre, ne déparent nullement dans cet environnement, et tout est extrêmement convaincant, jusqu'au travail sur le nez de chacun des protagonistes, jusqu'au moindre détail (et ils sont nombreux) qui émaillent chaque case. La gamme de couleurs est elle aussi très convaincante: du vert "Swamp Thing" décliné dans tous les tons, de la cerise et de la framboise écrasée, pris en étau dans le gris mat d'un monde de métal à l'agonie.

Tout dans le dessin nous évoque un monde dont le biologique est absent, restreint à ces quelques humains de Spleen City au teint blafard. Parlons-en de ces humains: à l'exception d'Abélard et Héloïse, deux créatures de chair et de sang, les autres personnages ont quelque chose de mécanique soit dans le regard, soit dans l'ostensible outillage qui vient prolonger leur corps. Pour le reste, cherchez donc: pas un oiseau, pas un chien dans les rues, jusqu'aux arbres dont l'écorce fait penser à une forme de minéral, à un tronc fait pour durer -pas une future étagère de chez IKEA-, un prolongement biscornu, dressé vers le ciel, du sol caillouteux, et sans une feuille dessus.

Résolument, j'adore. Positivement. Tout cela est foisonnant; les lignes se rencontrent et se bousculent dans un joyeux fatras métallique. Quand, au hasard des cases, cet univers fin et aigu se décline en ombres chinoises, cela ne fait qu'exacerber son acuité, le travail d'orfèvre de Bouillez.

Les clins d'oeil adressés aux autres séries de Corbeyran (Le Chant des Stryges, Le Maître de jeu, etc...) se lisent partout: sur les vitrines, les cartes de visite. Ainsi "l'exo-détecteur" chargé de mettre la main sur Abélard empreinte au Régulateur le nom évocateur de Nyx... Pour le reste du scénario, pas de surprise: Corbeyran n'est jamais aussi précis, aussi bon que lorsqu'il fait court. Son texte, drôle et affuté, tape juste à tous les coups, écrasant sous sa semelle les complots politico-scientifico-religieux qui pourrissent une société dont le meilleur entretien est l'ignorance. De la belle ouvrage je vous disais, de la belle ouvrage...

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