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Le Drosera Géant

Jean-Luc Cornette (Scénariste), Emmanuel Moynot (Dessinateur, Coloriste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/12/2003  -  bd
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Le Drosera Géant

Jean-Luc Cornette, auteur belge né en 1966, débute dans la bande dessinée en publiant ses premières planches dans Tintin reporter. Dessinateur et scénariste, il est tout d'abord coloriste pour Cossu, Foerster ou Taymans. Puis en 1995, il publie la série Les Enfants terribles chez Casterman dont le premier tome, Maxime Maximum, reçoit deux prix, le Prix du Lion et celui de la Ligue de l'Enseignement. A l'aise dans l'écriture pour enfants, il réalise plusieurs ouvrages dont Robert avec Hanzé au dessin. Depuis quelques temps, il se tourne vers une bande dessinée plus adulte avec des albums comme Visite guidée (Les Humanoïdes Associés) qui met en scène les peintres Van Gogh, Munch et Gauguin ou Red River Hotel (Glénat). Emmanuel Moynot commence par dessiner pour des fanzines avant d'avoir l'opportunité de publier en 1983 sa première bande dessinée, L'Enfer du Jour, chez Glénat, repris depuis par Delcourt. Il rencontre Dieter, le scénariste d'Amenophis IV (Delcourt) avec lequel il réalise l'album Bonne fête Maman (Casterman), avant d'enchaîner avec la série Vieux Fou ! (Delcourt). Suivent d'autres albums qu'il mène seul avant de retrouver Dieter pour le remarqué Monsieur Khol (Glénat), un one shot qui tranche avec l'humour noir de leurs précédentes collaborations. Chaque nouvel album de Moynot parvient à surprendre le lecteur, et ce dernier ne déroge pas.

Comment un trop empressant nouvel ami parvient-il à semer le bordel dans la vie d'un homme névrotique en faisant resurgir ses vieux démons

Charles Ha est un biologiste spécialisé dans les plantes carnivores. Son travail est sa seule passion depuis que sa femme, Juliette, l'a quitté. Ses relations sentimentales ressemblent à un champ de ruines, il est tellement seul qu'il se prend d'affection pour une mouche qu'il prénomme Audrey, en hommage à Audrey Hepburn. Il voit une ressemblance entre les yeux globuleux de la bestiole et ceux de l'actrice. C'est dire son degré de solitude. Un soir, il accepte d'aller à un vernissage et y rencontre un étrange personnage, Aimé Varangéant, un homme à tête de serpent. Il l'engage comme assistant et partent tous les deux dans les Alpes à la recherche d'une plante carnivore, un drosera géant capable de bouffer la moitié d'un lézard. Dès lors, Varangéant n'aura de cesse de s'immiscer dans la vie privée de notre biologiste, le poussant à avouer le désir qu'il a encore pour Juliette.

Un album qui plaira avant tout aux amateurs de curiosité

Déconcertant et insolite, ce sont les premiers mots qui viennent à l'esprit après avoir refermé cette bande dessinée. D'abord chronique contemporaine, tranche de vie banale, le récit se transforme en petit conte surréaliste et érotique. Il devient naturel de voir se balader au fil des pages le personnage d'Aimé Varangéant, un homme à tête de lézard. Ce personnage force Charles Ha, notre biologiste spécialiste des plantes carnivores, à se remémorer ses instants avec Juliette, n'hésitant pas à s'immiscer dans sa vie intime, à poser des questions indiscrètes et tendancieuses. Qui peut-il bien être ? Un simple voyeur qui jouit de la vie des autres ? L'inconscient de Charles Ha qui se matérialise ? Le désir envahissant de Juliette qui prend forme ? Impossible de savoir. Une chose est sûre chaque fois que l'ex-femme est évoquée de manière sexuelle Varangéant n'est pas loin. Même le père de Charles qui ose de douteuses remarques sur l'ex de son fils se transforme en énorme lézard.

La sexualité et le désir est au cœur de ce premier tome. Le titre en lui-même est évocateur, qu'est-ce que le drosera sinon la métaphore du sexe féminin ? L'on voit réapparaître alors le motif de la " vagina dentata ", le vagin denté, qui terrifie la gent masculine. Et que dire du nom de celui qui fait office d'exorciseur de vieux démons : Aimé Varangéant. Avec une légèreté tout à propos, le scénariste s'en donne à cœur joie dans les dialogues et montre la naïveté de Charles, seul homme du récit à ne pas être d'une lourdeur, d'un machisme, d'une vulgarité et d'un crétinisme absolus. Les autres sont d'une grossièreté sans bornes lorsqu'il s'agit d'évoquer les femmes ou les relations sexuelles, lui est plus gauche, plus timide. Ce manque de confiance en lui permet aux autres personnages masculins de le tourmenter sans cesse avec une histoire normalement digérée, sans qu'il parvienne à réagir efficacement. Du côté des filles, ce n'est guère mieux, elles font preuve d'une hardiesse et d'une nymphomanie peu communes. Le péché mignon de Charles était de mater Juliette aux toilettes et de la prendre en photo dans cet endroit, chacun son truc, mais tout se complique lorsqu'il se retrouve à son corps défendant en train de faire la même chose avec de jolies jeunes femmes à peine rencontrées. Tout le ramène à ce vieux démon des amours anciennes.

Vous l'aurez compris, les auteurs offrent un petit conte cruel et drôle teinté d'érotisme et le trait gentiment moqueur de Moynot se fait l'écho du récit de Cornette. Seul le lecteur qui voit les personnages, à commencer par Aimé Vanrangéant, sous leur vrai jour, est conscient que les auteurs ont décidé de faire vivre un enfer à Charles Ha, et cela va durer sur encore deux albums. On lui souhaite beaucoup de courage pour cette psychanalyse de choc. Il est certain que cette série n'est pas à mettre entre toutes les mains. Ceux qui ne lisent de la bande dessinée seulement comme un divertissement ne trouveront rien d'attrayant dans cette fable moderne. Il séduira d'avantage les amateurs de curiosités graphiques et scénaristiques.

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