Je vous parle depuis le temps des mutants !
Un récit enchâssé
La tempête se lève. Dans le désert, un vieil homme cherche à s’abriter. Son refuge improvisé est jonché d’ordinateurs, débris d’une civilisation disparue. Soudain, l’un d’eux s’allume. Un titre s’affiche sur l’écran : Le Livre de Phénix. Le récit d’un de ses ancêtres va s’avérer bien différent des mythes qu’il connaît.
Babel au scalpel
Le réchauffement climatique a fait de New York un marécage, où se dressent toujours des gratte-ciel. Dans l’une de ces mystérieuses tours de Babel, la science progresse. Son carburant ? La chair humaine.
Les progrès de notre médecine portent l’ombre d’expérimentations cruelles sur des corps humains : ceux des Noirs, ceux des prisonniers, ceux des fous. Le Livre de Phénix est le récit de l’une de ces expérimentations, l’une de ces Noirs, l’une de ces prisonniers, l’une de ces fous.
Bébé-éprouvette radioactif
La science-fiction de Nnedi Okorafor suit des axiomes tant mythiques que scientifiques. Femme radioactive formée de l’ADN de l’Ève mitochondriale, Phénix est un organisme accéléré qui sait brûler et renaître de ses cendres. Mmuo traverse la matière, Saeed se nourrit de verre et de débris. Ils sont des spéciMen, des X-men de laboratoire.
Quand Saeed disparaît, suicidé, Phénix se révolte.
Vol au-dessus de l’Atlantique
La suite est l’histoire de son évasion, ses allers-retours à voler au-dessus de l’Atlantique – pas question de mettre le pied sur un bateau –, l’Afrique et ses racines, ses secrets enfouis dans la terre sous les karités, la découverte de son corps, de sa liberté, et même de l’amour, toujours traquée par les hommes du Grand Œil, les soldats de la Tour, sempiternels colons. C’est aussi l’histoire de sa réplique.
Un roman d’aventure sensible, sensoriel, plein de rage et d’injustice mais aussi d’amitié entre les meurtris, à l’odeur de sel, où souffle un vent brûlant.
« Des histoires, rien que des histoires. »
Un roman d’aventure fertile en questionnements
Préquelle indépendant de Qui a peur de la mort ?, ce roman plein d’action nous offre une remarquable héroïne à la fois fougueuse et pleine de doutes, des passages d’une grande beauté, et nous laisse la tête pleine de questions.
Qui sommes-nous ? Sur quoi fondons-nous notre identité ? Qui a écrit nos mythes fondateurs et dans quel but ? Mais aussi : qu’est-ce que la violence ? Qui terrorise qui ? Comment se construire lorsque l’on ne connaît qu’un récit qui nous place comme le méchant de l’histoire ?
Une histoire tressée de plusieurs livres
Le Livre de Phénix est une histoire dans une histoire dans une histoire. L’autrice ne se prive pas de faire intervenir des personnages de ses romans précédents, la douce Eme et ses terribles robots Anansi de Kabu Kabu, Onyesonwu de Qui a peur de la mort ? qui viendra, à son tour, interpréter autrement les mythes.
Les personnages se demandent clairement comment interpréter le message du narrateur de l’histoire qu’ils écoutent. Où est le vrai, où est le faux ? Qui possède la vérité ?
Phare, esclave, renégate, fugitive, rebelle
« Phénix Okore, speciMen, phare, esclave, renégate, fugitive, rebelle, amour de Saeed, sœur de Mmuo, méchante de l’histoire. »
Dans la partie finale du roman, la protagoniste se nomme et se désigne par une suite de qualificatifs qui rappelle celle d’Audre Lorde : « Noire, féministe, lesbienne, mère et poétesse ». S’approprier les mots, c’est un peu reposséder l’histoire.
Nos croyances, nos civilisations, notre passé, notre identité :
« Des histoires, rien que des histoires. »