Cela fait belle lurette que les billes de notre enfance ont déserté les cours d'école. Et si l'on peut regretter le charme désuet du troc des 'oeil de chat' et autres 'callots', les jeunes d'aujourd'hui ont trouvé (ou se sont laissés souffler) une nouvelle façon d'agrémenter la récréation. La manne des cartes à collectionner a débuté son essor dans les lycées et les collèges avec, en leader incontesté d'une activité qui a rendu millionnaire des dealers de papier cartonné, les célèbres cartes Magic: L'assemblée. Aujourd'hui, la fièvre des cartes à collectionner a gagné les cours primaires et maternelles où l'on s'étriperait presque pour telle ou telle figuration holographique de la première japanimerdation venue. Surfant sur la vague, Hubert Ben Kemoun nous propose ici la quatrième aventure de son héros récurrent: Samuel (Le Réveil du boomerang), aux prises avec les étranges pouvoirs d'un jeu de cartes maléfique.
"On s'attend donc au pire, il faut en profiter: on n'a pas tous les jours, de la neige en été" (Diabologum)
Dans la cour d'école, Samuel se livre comme tous ses copains, à un intense trafic de cartes à collectionner. Cette fois, il pense ne pas avoir fait une mauvaise affaire en plumant littéralement le pauvre p'tit Freddy dont il a hérité les cartes Strategik's les plus étranges qu'il connaisse. 'Etranges' en effet, car ce lot de huit cartes n'apparaît dans aucune liste connue et permet uniquement d'influer sur les conditions météorologiques de la partie. Autant dire que leur efficacité semble tout à fait dérisoire dans ce jeu où des hordes de monstres armés jusqu'aux dents s'éviscèrent à coups de valeur de force. Pourtant, la rareté même de ces cartes semble promettre à leur utilisateur, un pouvoir inégalé.
Aussi, dès qu'il rentre de l'école, Samuel affronte Lionel dans une partie de Strategik's. Mais la partie tourne mal : dès que Samuel joue une des cartes de p'tit Freddy, la météo change, non seulement dans la partie, mais également autour d'eux. Hélas, Samuel a déclenché une tempête de neige que seule la carte nimbo-stratus semble pouvoir annihiler, carte qui a elle-même disparu dans une bourrasque de vent...
"Les affaires sont les affaires..."
Je ne sais toujours pas, après la lecture de ce livre, si introduire le règne des jeux de cartes à collectionner dans la lecture pour enfants constitue une bonne idée. Non pas que je nie leur existence, ou la réalité des rapports sociaux, commerciaux voire malsains qu'entraîne la pratique de tels jeux chez des gamins. Néanmoins, je me pose la question de la pertinence du propos fantastique: dans les précédentes aventures de Samuel, le fantastique naissait d'une distorsion du réel, tandis que cette fois, le fantastique est réintroduit dans l'histoire par la 'crédibilisation' des effets magiques associés à un JEU de cartes. J'avoue qu'en tant que praticien du jeu de rôles, la barrière entre le jeu et le réel fait partie de mes questionnements, et que je ne fais pas partie de ceux qui refusent de se positionner dans le débat: en quoi rendre 'réel' des atouts magiques d'un jeu de cartes ressort-il du fantastique? L'abîme qui sépare le monde du jeu de la réalité (y compris de la 'réalité' romanesque) mérite-il d'être franchi, et si oui, avec quels garde-fous? Je ne reproche pas aux auteurs de cette aventure de relancer le débat, mais peut-être de ne pas s'y être franchement positionnés. A tel point que l'on pourrait par moment, penser qu'ils (les illustrations étant tout autant en cause) ont été subventionnés par Wizards of the Coast* pour écrire ce bouquin.
Mais je vois le mal partout; ce petit livre anodin n'aura sans doute agacé que le vieil aigri que je suis. Pour tout le reste, cette aventure de Samuel se maintient au niveau des précédentes avec des illustrations sublimes et une narration très agréable. Aucune raison donc de ne pas l'ajouter à votre collection si vous avez déjà les autres volumes.
* L'éditeur des cartes Magic: L'Assemblée.
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