- le  
Le monocle de Georges - février 2016
Commenter

Le monocle de Georges - février 2016

 « La sphère et la croix » (1910), G. K. Chesterton, traduction Charles Grolleau (1921), Rivages Poche, 2015, 9 €.
 
Revenons à GK. Chesterton, déjà rencontré dans « Le Monocle » de décembre, avec un roman en cascade, d'une étonnante actualité.
 
Le maître de J.L. Borgès y cultive une fois de plus avec maestria les paradoxes et l'humour.
 
 
L'argument : un Écossais catholique qui n'a jamais connu la ville débarque à Londres. Il est révolté par un édito insultant Marie, sur la vitrine d'un autre tout aussi Écossais, libre-penseur athée. Ses ruades insultantes à l'égard de la religion n'intéressent plus personne, dans une des rues même qui longent la cathédrale Sain-Paul.
 
Bris de vitrine, soufflet, provocation en duel…
 
Et, c'est parti !
 
Mais leur différend non plus n'intéresse personne. Ni la justice, ni l'état, ni la société.
 
Les deux ennemis spirituels décident alors d'en découdre à mort…
 
Mais, si le fanatisme athée ou religieux a laissé froid les autorités et le public, cette dette d'honneur embrase la société jusqu'à sa mise sous état d'urgence… Jusqu'à faire basculer tout le pays dans une tyrannie, basée sur une science qui ne vise que sa propre dictature qu'elle orchestre sur la mécanisation de l'asservissement de l'individu…
 
Pour précipiter la chute de toute une société finalement plutôt démocratique.
 
Et le chrétien G.K. Chesterton n'épargne personne pour défendre une compréhension et une acceptation mutuelle respectueuse.
 
Cette fable tragi-comique aux allures souvent burlesques flirte à plusieurs reprises avec la SF ou le fantastique pour servir son argument : vaisseau céleste du professeur Lucifer, visions et rêveries des personnages aux effets plus réels que les péripéties prosaïques, citadelle psychiatrique automatisée d'un aliéniste pervers…
 
Bien sûr, les figures d'humour récurrentes alternent la finesse, le paradoxe ou... le burlesque. Ainsi, le ressort récurrent de la course-poursuite entre les duellistes et les forces de l'ordre rappellent irrésistiblement les génériques ponctuant les prestations d'un Benny Hill. Mais les variations soulignent le grotesque de cet entêtement meurtrier entre deux hommes que, finalement, tout tente d'unir par l'estime et l'amitié.
 
 
Et c'est bien ce qui fonde tout l'intérêt de ce long roman à rebondissements parfois un peu téléphonés. Chesterton renvoie dos à dos ces deux hérauts de leurs propres convictions qui s'imposent d'être les kamikazes d'eux-mêmes. Avec une petite différence notable sans doute due à l'époque d'écriture qui est celle des missionnaires marxistes : l'athée se veut prosélyte tandis que le catholique entend laver un affront sans chercher à persuader du bien fondé de ses opinions. D'aucuns voudront sans doute y voir un certain esprit de chapelle…
 
Ce conflit religieux sur fond d'une indifférence généralisée qui le laisse s'envenimer au point de mettre en danger toute une société policée, voilà sans doute aussi où Chesterton se livre avec lucidité à une anticipation qui tisse notre actualité.
Quant à l'état d'urgence édicté par une autorité arbitraire devenue despotique (ici psychiatrique), là encore, est-ce bien de la fiction ?
 
Juste pour prendre un de de recul avec notre présent dément allégorisé, il y a déjà plus d'un siècle : notons au passage que cette dictature de la psychiatrie, du bien pensant, du « bien penser », autres modes tous aussi lamentables du politiquement correct démagogique et carcéral, hantait déjà Chesterton dans « Le poète et les fous », (Monocle n° 3) ou dans « Un nommé Jeudi ».
 
De même que cette dynamique de la course poursuite  pour « Un nommé Jeudi ».
 
Georges FOVEAU
 
 

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?