Moriarty, Le Chien des d'Uberville (2011), Kim Newman, traduit par Leslie Damant-Jandel, Bragelonne, 2015.
Les pastiches de ce cher Sherlock sont nombreux. Même Maurice Leblanc s'en est emparé, très tôt. C'est un lieu commun de pasticher Holmes. Comme d'écrire qu'il est le personnage le plus honoré par cette pratique littéraire, pas toujours heureuse.

Ici, c'est en creux pas très avantageux que Newman évoque le limier du 221B Baker Street. Car son sujet c'est... Moriarty.
Autre lieu commun.
Mais cette fois-ci, l'originalité tient à une plume...
Celle du Colonel Moran !
Via son journal intime, le soudard amoral et tireur d'élite nous confie quelques terribles affaires de "La Firme", multi-nationale du crime organisé à l'échelle de l'Empire britannique.
La verve du Colonel apporte un sang neuf, et bien vif, aux complots malfaisants du mathématicien du crime.
Première image frappante, celle même du Colonel Moran, celui dont Watson a écrit dans un home désert : "… Son passé est celui d'un militaire distingué...".
Apparence ?
Pudeur de Watson pour préserver l'image de l'Armée britannique ?
Fie. Le Colonel Moran de Newman est un tueur amoral et inapte à la peur. Il mène une vie de mauvaise graine de garnison.
Sans cynisme, Moran est totalement lucide sur son compte, jusqu'à la dernière ligne de son journal. Dernière ligne qui donne tout son sel au texte de Newman. Car ces quelques mots éclairent d'une nouvelle révélation "La maison vide" de Doyle. Ils piqueront les yeux des amoureux du divin Holmes...
Mais ce n'est pas la seule qualité du roman de Newman.
« Désordre à Belgravia » croustille à la façon de l'arroseur arrosé à gros budget.
« La ligue de la planète rouge » possède des accents digne de Gustave le Rouge et du Grand Guignol.
« Le Chien des d'Ubberville » remâche « Le Chien des Baskerville ». Mais mâtiné du « Tess » de Thomas Hardy. Car Newman connaît aussi bien ses classiques de la littérature anglaise que ceux du roman populaire français. Dans le métissage des genres et des ficelles, cette nouvelle version de la malédiction canine a vraiment du chien, avec son ambiance de décomposition carnassière humide qui joue en plus une originalité fringante et dévorante. Le tout sur un zeste de western spaghetti crépusculaire aux effluves d'un gothisme excentrique assumé, en clins d'œil à une iconographie cliché.
Bien évidemment, avec le talent qu'on lui connaît pour convoquer les figures emblématiques sans en faire des figurants de carton-pâte, Newmann nous permet de passer quelques soirées avec d'autres grands scélérats mondiaux de l'Époque : Fu Manchu et ses animaux venimeux y compris sa nièce, le Grand Vampire de Paris et son égérie fatale Irma Verp aussi vénéneuse qu'Irène Adler… Et même Mabuse ! Entre autres invités poisseux et vicieux qui ne cessent de tramer conspiration contre le monde, quand ils ne sont pas occupés à le faire les uns contre les autres.
Le style tient de la verve. Les pastiches du morceau de bravoure. Les seconds rôles du Who's who de la Terreur.
Bref, indispensable ce « Moriarty », assez réussi et original pour intéresser tous les lecteurs de mystères brumeux jubilatoires de la Littérature populaire du frisson belle époque…
Surtout si, comme à moi, Holmes leur galbe une belle jambe !
Pour aller plus loin, ou... vous pouvez vous arrêter là.
En 2014, j'avais lu avec empressement le deuxième roman d'Anthony Horowitz dans l'univers Holmésien, "Moriarty" justement (Calmann-lévy, 2014, traduit par Annick Le Goyat). Il m'avait semblé alors qu'il était plus réussi car plus surprenant que "La Maison de Soie" (Calmann-lévy, 2011, traduit par Michel Laporte) que j'avais pourtant pris un grand plaisir à lire. Ce Moriarty-là n'hésite pas à décrire avec crudité une certaine réalité londonienne ou américaine.
Pourtant, dans les pastiches plus ou moins passionnants que j'ai pu lire, je dois bien avouer que les incontournables sont ceux recueillis dans l'inestimable : "Histoires secrètes de Sherlock Holmes" de René Réouven (Denoël, 1993). Tout amateur du Maître des détectives se doit de les lire. Avec finesse et intelligence, dans le respect de l'univers holmésien comme dans le développement de cet univers et dans les croisements qu'il y opère entre d'autres mythes littéraires ou épisodes historiques, Réouven écrit les enquêtes que cite le Docteur Watson sans les déflorer. Seigneurs des interstices holmesques, Réouven ne ménage ni sa plume ni le lecteur pour nous emporter dans des histoires cruelles et fortes, sans concessions pour les personnages, comme pour l'époque et la société, éclairant même parfois l'Histoire contemporaine de son érudition toujours rebondissante. Son détective révèle toute sa mâle poigne, en plus du reste.
Même si je ne suis pas fan de la série, mon coup de cœur le plus « arti-show » reste pour le Moriarty/Adler d'« Elementary » interprétée par l'ensorcelante Natalie Dormer, affriolante Nemesis, déjà repérée dans son impressionnante incarnation de Ann Boleyn Dans « Tudors », entre autres...