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Le monocle de Georges - janvier 2016
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Le monocle de Georges - janvier 2016

Les Terres du Couchant, (1953-1956), Julien Gracq, Éditions Corti, 2014
 
« Il fait de la Fantasy littéraire » : injure fielleuse à lâcher en coin avec un petit sourire méprisant… Tel était le stupide quolibet que certains caciques du genre lançaient régulièrement, il y a une douzaine d'années. Ils fanaient ainsi les auteurs français qui écrivaient de la Fantasy, avec plus que les 600 mots de base et sur des scénarios qui ne plagiaient pas les classiques du genre.
 
 
Ces mêmes experts myopes et autoproclamés ignoraient qu'il y avait déjà des auteurs « littéraires » français qui écrivaient de la Fantasy. Sans s'en réclamer : comme Christiane Singer avec sa « Guerre des Filles », par exemple.
 
Ou, tiens, Julien Gracq. Premier auteur français à entrer de son vivant dans La Pléiade.
Même s'il ne convoque pas les clichés du genre, c’est bien un grand roman de Fantasy intimiste qu’il publie en 1951 avec « Le Rivage des Syrtes ». Une espèce de « Désert des Tartares » ou de « Terremer », à la française.
 
Brièvement :
 
Un jeune noble est envoyé comme « observateur » dans une forteresse érigée sur le rivage des Syrtes. Cette vigie surveille la mer qui sépare Orsenna du Farghestan, son ennemi intime. Une paix semble s’être établie entre les deux contrées, par l’absence de belligérance ouverte.
 
Convaincu que l’ennemi ne masque par son absence que sa vocation à défaire Orsenna, le jeune homme va finir par faire ressurgir tous les dangers fantasmés… Jusqu’à mettre en péril sa patrie !
 
Resté inédit car considéré comme inachevé par Gracq, sur le même postulat d’une histoire presque historique, ces « Terres du Couchant » livrent une nouvelle œuvre romanesque très littéraire. Elle commence comme un road movie médiéval… Pour se clore lentement en un fondu au noir vers la destruction d’un bastion de civilisation sous les assauts d’une barbarie aveugle. Elle l’est finalement moins que la civilisation qu’elle a décidé de détruire. Après la fin du texte, se précipite la chute d’une ville et d’un royaume.
Brièvement encore :
 
 
Hors de l’histoire connue, aux frontières d’un Moyen-Âge barbare, une ville est assiégée aux lointaines frontières d’un Royaume en déclin. Secouant l’inertie mortelle du Royaume, des volontaires honnis par le pouvoir prennent clandestinement la route pour lui apporter quelque secours.
 
Par la voix d’un de ces volontaires, la première partie évoque les préparatifs du voyage, les incidents et périls de la marche, les haltes, les rencontres...
 
La deuxième partie rend compte de la vie dans la ville assiégée, avec ses plaisirs et divertissements, face aux signes évidents d’un imminent cataclysme mené par une troupe barbare, prompte à la décapitation de l’ennemi.
 
Et, de son style perdu, avec ses longues phrases intimistes ou son abrupt parcellaire, Gracq nous emmène sur « La Route », pour aboutir à une confrontation entre la civilisation et la barbarie… Où la deuxième tire finalement ses principaux atouts de l’inconscience et de la lâcheté des responsables de cette civilisation qu’ils sont venus détruire, avec folie et ravissement. Cet aveuglement contre lequel veut lutter le narrateur, Gracq le traduit finalement par le peu de « visibilité » qu’il offre à cet ennemi implacable.
 
En revanche, Gracq parsème son récit de rencontres, de personnages, de sensations, souvent lentes mais capiteuses. De certitudes aussi que ses langueurs d’écriture tirent finalement toujours vers le gouffre obscur et silencieux de la destruction.
Car malgré, tous ses mots, toutes ses phrases, toutes ses sensations et ses images, malgré tous les espoirs et les élans, à la fin… Il ne restera rien.
 
Rien de cette aventure clandestine de héros perdus d’avance. Rien de ses femmes étranges qui vivent en une tribu silencieuse et qui s’offrent la nuit selon leur envie. Rien de ces ruines ou de ces vies rurales placides. Rien de ces plaisirs innocents, charnels ou charnus, de ces arts, de ces livres, des ces chants…
 
A la fin du roman, en peu de temps, peu de mots et beaucoup de silence, la horde sauvage anéantira la civilisation…
 
Une belle Fantasy littéraire…
Laissée pour morte en 1956.
Passée (presque inaperçu) en 2014…
Prophétique en 2016 ?
 
Georges FOVEAU
 
 
 

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