Soul of London, Gaelle Perrin-Guillet, Fleur Sauvage, 2016. 16,80 €

Il semblerait que nous soyons moins légitimes pour écrire une bonne fiction qui se passe à Londres à la fin du XIX° siècle qu'un Britannique, un Américain ou même un Australien… Comme si Anne Perry ou Tim Powers avaient mieux connu ces rues que nous…
Avec son élégance et son efficacité habituelles, Gaelle Perrin-Guillet bat en brèche ce scrupule sans épaisseur.
Il suffit de lire Soul of London
Il faut lire Soul of London !
Parce que, sans doute ni hésitation, le lecteur se retrouve dans le Londres de 1892 où plane encore l'ombre terrible de Jack L'Éventreur.
Parce que dans cette enquête au coeur des misères du Grand Londres qui nous évoquent de plus en plus les nôtres, tous les personnages sont crédibles et nous touchent ou nous révulsent.
Que ce soit dans les hôpitaux, dans les souterrains ou dans les rues des plus huppées aux plus sordides, Gaëlle Perrin-Guillet sait brouiller ses pistes avec art, pour notre surprise et notre plus grand plaisir.
De plus, elle nous paie le luxe d'évoquer sans cesse un des chantres des détectives victoriens. Avec une mauvaise foi toute britannique, son enquêteur tente de le prendre en défaut par le Strand interposé. Henry Wilkes ira même jusqu'à porter ses « chères loques » pour singer Holmes.
Autant l'écrire tout net, un seul regret…
Le meilleur et le pire quand on rend compte d'un bon roman : trop court ! Le lecteur aurait aimé y rester… Encore unes fois, c'est une qualité et un compliment.
Par-delà son intrigue tramée pour nous tromper qui y parvient fort bien, ce sont ses personnages et ses ambiances qui font la force de ce roman.
Canard boiteux de sa brigade mais brillant détective un peu trop fin pour les forces (au sens propres du terme) de l'ordre de l'époque, Henry Wilkes rajoute la fêlure physique à une âme déjà un peu trop sensible et fière pour ces heures sombres d'une société à la poigne féroce.
Billy se tisse d'une espèce de quintessence des « Irréguliers de Baker Street » réunis en un seul jeune homme. D'autant plus irrégulier, ce Billy, qu'il aura réussi en s'en sortir grâce à un peu plus de finesse d'esprit, un peu plus de talent de la main et grâce à un coup du pouce supplémentaire du destin en la personne de son mentor, reflet austère du bon fond à l'esprit pratique de Billy.
Grâce au personnage d'Alice Pickman, nous sont offertes quelques pages d'ambiance fort subtiles ou amusantes en fonction du miroir qu'elles nous tendent sur l'époque.
Il suffit à Gaelle Perrin-Guillet de la description d'un tableau, une marine, pour nous ramener à toute la puissance et les ténèbres de la perfide Albion. À ce paroxysme d'ombres qui tisse une société se voulant brillante et qui domine le monde d'une main de fer et d'une marine, hélas, imparable.
Avant qu'un Lovecraftien errant sur ces lignes ne me pose la question : oui Alice Pickman est la fille d'un peintre homonyme… Mais pas le même et elle n'est pas son modèle. Celui-là ne peint que des… Marines… Damned !

Finalement y aurait-il quelque chose de pourri au fond de l'âme de Londres ?
Pas ce roman, en tous les cas, il ne faut pas le rater.
Pour aller plus loin… Vous pouvez vous arrêter là
Certes, il y a déjà dans le genre des incontournables.
Au grand dam du grand patron, je ne m'étalerai pas sur Drood (2009, Robert Laffont 2011) de Dan Simmons. Près de 1 000 pages écrites à la main par la sensibilité sous influence de Wilkie Collins qui confond faits et fantasmes, sous la férule du laudanum. Un portrait au vitriol de la société victorienne et de son intelligentsia, au travers de son maître incontesté : Dickens. Et s'il était un vil meurtrier, en plus d'être un époux, un père et un amant indigne ? Tout commence par un terrible fait-divers ferroviaire, bien réel celui-ci. Tout un signe de l'époque.
Je passerai tout aussi vite sur l'excellent Roublard (2012, 2013 L'Atalante) de Terry Pratchett. Ce roman se déguste comme un beau tableau d'époque, cynique et corrompu, où le pire rejeton de l'humanité a finalement plus d'étoffe et de sens de la justice qu'un machiavélique premier ministre pas sinistre en goguette dans les gogues de Londres la rutilante. Effet ravageur garanti !

Pour les lecteurs de fond, je citerai encore ce roman que m'a conseillé… Gaelle Perrin-guillet herself : « 3 000 chevaux vapeurs » d'Antonin Varenne (2014 Albin Michel). Le roman s'ouvre sur les horreurs d'une guère coloniale au Siam dont toutes les victimes ne sont pas forcément des indigènes pour se terminer dans les errements sanglants d'une guerre coloniale un peu plus à l'Ouest, sur la dernière frontière terrestre d'un XX° siècle balbutiant, bégayant les pires horreurs de l'Humanité, jusqu'à la prochaine fois. Entre temps, le héros part à la poursuite d'un serial killer sadique qu'il pense être un de ses anciens soldats. Magistral, dans la description de l'époque, des lieux et des situations. Surtout dans l'exactitude de la psychologie des personnages, qui agissent et pensent comme ils l'auraient certainement fait à l'époque sans aucune contamination humaniste modernistes contemporaines. Avec même une pointe du regretté Jim Harrison dans les descriptions de l'Ouest (encore) sauvage.
Et, bien évidemment, comme un écho dans une sordide catacombe sous le cimetière en ruine de Bluegatefields, les romans de noël d'Anne Perry… On y croise même le Comte Dracula, himself ou presque… Mais, nous y reviendrons sans doute...