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Le Pays sans étoiles
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Le Pays sans étoiles

La postérité se souvient principalement de Pierre Véry comme d’un auteur de romans policiers et scénariste de nombreux films dont certains sont aujourd’hui considérés comme des classiques du cinéma français. Il a aussi effectué quelques incursions intéressantes dans un genre à la croisée entre fantastique, policier et science-fiction qui, grâce à un style d’un classicisme impeccable, reste une lecture formidablement stimulante de nos jours. Ses œuvres les plus mémorables restent cependant les films adaptés de ses romans, comme Les Disparus de Saint-Agil avec l’impeccable Erich Von Stroheim, ou Goupil mains-rouges, qui fut en son temps l’un des grands succès du cinéma français. Le Pays sans étoiles fut également l’objet d’une bonne adaptation en 1946, avec Gérard Philippe dans le rôle principal.

Le désespoir, c’est détester ses contemporains et aimer un fantôme...

Pour Simon Le Gouge, le monde est habité par des morts et hormis son ami J.T. – à qui tout semble réussir si l’on excepte des problèmes financiers récurrents – personne ne trouve grâce à ses yeux. Un soir, en longeant la Seine pour rentrer chez lui depuis une ville de la banlieue parisienne, il voit une jeune femme se faire agresser par un inconnu qui se fait ensuite assassiner par un troisième personnage. La scène, que Simon est seul à avoir vue, marquera pour lui le début d’étranges réminiscences. Une fenêtre vient-elle de s’ouvrir sur un autre temps ? Envoyé en mission par l’office notarial qui l’emploie, il aura plusieurs sensations de déjà-vu qui le guideront jusqu’au lieu exact où s’est déroulé le crime. C’est donc dans la région bordelaise qu’il reconstituera peu à peu l’enchaînement des événements qui ont conduit à ce dénouement dramatique. Les racines de Simon s’enfonceront de plus en plus profondément dans le passé, le faisant soupçonner qu’il n’est qu’un voyageur de passage en ce début de vingtième siècle. Mais est-il réellement né plus d’un siècle auparavant ? Ne serait-il pas plutôt victime de désordres psychotiques ?

Et si nos souvenirs étaient littéralement du « temps perdu » ?

Si l’ambiance fantastique et l’intrigue policière du livre sont soignées, c’est pourtant la personnalité de son protagoniste principal qui rend Le Pays sans étoiles particulièrement attachant. Simon Le Gouge n’est en effet pas dépeint sous son aspect le plus sympathique et pourtant, sous le masque de cynisme et de méchanceté derrière lequel il se dissimule, on découvre peu à peu un homme profondément malheureux. Sa quête d’un bonheur perdu fait écho à son voyage vers cet autre monde dont il a l’intuition sans pouvoir y accéder vraiment, un monde auquel il est cependant persuadé d'appartenir. Le second point qui fait tout l’intérêt du livre, pour un lecteur du vingt et unième siècle, c’est sa peinture d’une société rurale maintenant disparue, ou peu s’en faut. Le point de vue inversé, comme un négatif photographique, que Simon Le Gouge pose sur les provinciaux qu’il rencontre donne l’occasion à Pierre Very de faire preuve d’une verve sardonique qui rappelle irrésistiblement celle d’un Jacques Sternberg ou d’un Cioran brocardant la pingrerie et la vulgarité de certains de leurs contemporains. Le personnage de son inséparable ami J.T. apporte quant à lui, par sa personnalité si différente de celle du héros, un fascinant contraste qui permettra de faire toute la lumière sur cette étrange affaire. À la lisière entre fantastique onirique et science-fiction, le voyage temporel proposé par Le Pays sans étoiles évoque moins la machine temporelle d’H. G. Wells ou les paradoxes de La Patrouille du temps de Poul Anderson que la mélancolie instillée par Richard Matheson dans Le Jeune Homme, la mort et le temps. Une lecture à recommander, qui démontre avec brio que les livres dont on se souvient le mieux font souvent la part belle aux sentiments, contrairement à ceux qui se contentent de provoquer des émotions…  

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