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Le Repaire du ver blanc
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Le Repaire du ver blanc

Immortalisée plusieurs fois à l'écran (notamment dans la version très esthétique en 1992 de Francis Ford Coppola), la figure de Dracula est devenue un mythe universel. Dracula incarne la figure du vampire. Son créateur lui est moins connu. Réparons dans cette chronique l'injustice faite à cet auteur éclipsé par le fruit de son imagination. Né en 1847 à Dublin, Bram Stocker fut fréquemment malade pendant son enfance. Son père lui trouva un poste au Château de Dublin, mais le jeune homme voulant devenir écrivain préfère se lancer dans le journalisme. En 1872, il publie sa première nouvelle : La Coupe de Cristal. D'autres textes suivront mais il consacrera sept ans à son chef d'œuvre basé essentiellement sur les légendes hongroises à propos du prince Vlad Tepes, le Dracula (fils de dragon). En 1902 il publiera Le Joyau des sept étoiles et un an avant sa mort Le Repaire du ver blanc. Jusqu'à présent ces deux derniers romans n'étaient parus en France que dans des versions tronquées. La très réussie collection Terres Fantastiques offre au lectorat français une nouvelle traduction de l'intégralité du texte.

Un cerf-volant incontrôlable, un serpent monstrueux et deux gentils amants

Adam Salton abandonne l'Australie pour aller retrouver son grand-oncle dans un coin tranquille d'Angleterre. Il y est accueilli par Sir Nathaniel, un vieil ami de son parent qui lui promet de lui révéler la richesse historique de la région en la parcourant à ses côtés. Dans leurs investigations, ils vont croiser le châtelain Caswall dont la lignée est prétendue maudite, Lady Arabella March, une jeune femme très élégante à la démarche serpentine. Ces deux personnages s'avèrent fort étranges le châtelain se prend de passion pour un cerf-volant trouvé dans un coffre et Lady March disparaît mystérieusement entre deux tentatives de séduction. Le jeune Salton rencontre Lilla et Mimi deux cousines aimables il s'éprend de la seconde qu'il désire ardemment protéger des agissements malveillants des deux aristocrates. La situation devient de plus en plus tendue et dangereuse.

Une histoire effroyable avec des éléments contestables

L'aspect matériel du livre appelle à l'éloge. Même si la relecture semble s'être relâchée sur les cinquante dernières pages laissant passer un nombre conséquent de fautes, l'ouvrage dans son ensemble est fort soigné. Les illustrations tirées de la première édition anglaise reproduites augmentent la sensation d'étouffement et de danger.

Le côté fantastique du texte mérite l'appellation chef d'œuvre imprimée par l'éditeur sur le bandeau. On est ici proche d'une ambiance à la Verne naviguant entre les sciences de la fin du XIXe siècle et l'intérêt s'éveillant pour la psychologie. Cette figure de reptile géant est d'ailleurs inspirée par le folklore islandais croisé de zoologie. Les événements sont toujours susceptibles de basculer et l'on retient plus d'une fois son souffle lors des passages clés de l'histoire.

Deux éléments gênent cependant la lecture au XXI e siècle : le texte est empreint de racisme et de misogynie. Le serviteur noir de Caswall y est sans cesse nommé le Nègre et il n'inspire à son entourage que dégoût et mépris, réactions encore amplifiées quand il s'éprend de Lady Arabella ; sa mort est jugée comme quantité négligeable.
"-Non pas cette porte dit-elle, elle n'est pas pour les Nègres. L'autre porte est assez bonne pour toi".

Quant aux femmes, elles sont soit des faibles et ignorantes créatures que les hommes se doivent de protéger, soit des monstres comme en témoigne cet échange :
" Celui-ci [l'ennemi] est une femme, possédant toute l'habilité de son sexe, combinée à l'insensibilité d'une cocotte et au manque de principes d'une suffragette."

Si l'histoire est restée effrayante un siècle après, elle peut être choquante par ce statut des femmes et des Africains. À chaque lecteur de mettre ou non en sourdine ses conceptions idéologiques modernes pour se laisser submerger par des angoisses ancestrales et éternelles.

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