- le  
Lecture musicale Notre château : Interview des interprètes, Lucie Eple et Julien Jolly
Commenter

Lecture musicale Notre château : Interview des interprètes, Lucie Eple et Julien Jolly

Coïncidence troublante, comme dans l'incipit de Notre Château, nous pouvons dire : « Tout a commencé un jeudi et pour être encore plus précis […] c'était le jeudi 31 mars. » Ce soir-là, nous avions rendez-vous à la Maison de la Poésie pour assister à une lecture musicale placée sous le signe du mystère et de l'envoûtement. Ils étaient trois sur la scène : Lucie Eple (lecture), Julien Jolly (composition, synthétiseurs) et Sébastien Maire (synthétiseurs, contrebasse).
 
 

Le premier roman d'Emmanuel Régniez est si fort et si bien maîtrisé que sa découverte nous marque durablement. L'entendre, ce soir-là, avec une mise en scène de qualité l'a magnifié et lui a donné une dimension plus éthérée, moins angoissante. Lucie avait le ton juste : sa lecture toute en retenue, était pourtant chargée d'émotion. Elle était toujours « sur le fil », elle ne débordait jamais. Les jeux de lumière et la musique jouée par Julien et Sébastien complétaient l'illusion. Grâce à eux, nous avons pénétré de plein pied dans le monde d'Octave et Véra, où règnent le mystère et un parfum de folie.

A la fin de la représentation, une rencontre avec l'auteur et les interprètes confirmaient ce que les lecteurs les plus attentifs avaient remarqué lors de la lecture : le texte du roman avait été retravaillé, créant selon les termes de Lucie un nouveau « livre dans le livre ». Cette lecture, en plus d'être une réinterprétation, était également un avant-goût pour ceux qui n'auraient pas lu le roman. La poésie des images, la petite musique créée par la répétition de courtes phrases, tout était là, devant nous, vivant. Pendant une heure, nous étions dans leur Château.

Mais ça ne nous a pas suffi ! Lucie Eple et Julien Jolly ont bien voulu répondre aux nombreuses questions que nous nous posions sur l'adaptation de ce roman pour la scène.

Comment avez-vous retravaillé le texte pour en faire une lecture musicale sans le dénaturer ? Comment avez-vous su quels passages sélectionner ? Vous êtes-vous basée sur vos coups de cœur de lectrice ?  

LUCIE : La sélection des passages s'est faite très vite maintenant que j'y repense : la seule exigence a été de ne pas donner dans le spectaculaire du texte : on voulait laisser cela au lecteur, les passages "psychoses", car il y en a. On voulait faire sentir toute la peur et la folie d'Octave, faire sentir la menace, les failles, annoncer les fantômes qui le peuplent et qui peut-être finiront par le submerger, mais pas briser le suspens. Je voulais aussi qu'il y ait des passages parlant explicitement de musique : c'est le cas du passage sur les engoulevents, dont les mélopées font battre le cœur d'Octave et de sa sœur, mais aussi palpiter les murs du Château. Je me suis dit, voilà une belle occasion de transe collective ! Et puis, nous nous sommes arrêtés à un extrait situé à un peu plus de la moitié du livre, celui de la salle de bains, pour ne pas trop en dire sur la fin du texte qui donne tout de même quelques lumières, et parce que je le trouve magnifique : Octave c'est nous, devant le miroir, quand nous prenons conscience que nous allons mourir et "qu'aucune rêverie ne pourra l'empêcher". Finir sur une mélancolie universelle, c'était aussi pour moi renvoyer le lecteur-spectateur à la banalité de la folie d'Octave, ou à la folie comme clairvoyance permanente, ou damnation. Mais là, je crois que je commence à partir trop loin ^^. 

Concernant votre interprétation sur scène, comment avez-vous trouvé le ton juste pour Octave, tout en retenue mais tellement riche d'angoisse, de questionnement, de sentiments ?

LUCIE : J'ai commencé par lire comme une folle. Évidemment c'était nul, pas parce qu'il ne faut pas le lire comme ça, mais parce que j'en suis incapable. Je crois aussi que je savais au fond de moi qu'Octave est maniaque avant d'être fou, il n'est peut être d'ailleurs que maniaque. J'ai donc décidé qu'il devait convaincre le monde entier et lui-même de tout, y compris qu'il a raison de placer tel mot à côté d'un autre et dans cet ordre là, et qu'il avait bien raison de le répéter et d'apporter dès qu'il le pouvait des preuves supplémentaires qu'il avait raison parce qu'apparemment le monde entier doutait de lui. D'ailleurs, il aurait même pu finir par épeler chacun de ses arguments, ça ne m'aurait pas choqué de sa part. Passé le choix de cette énergie générale, il me fallait aussi faire passer son humanité : les failles, la fragilité, la peur. En fait, tout le défi est de retenir l'énergie, pas de la dispenser, et c'est assez épuisant. Il ne doit pas passer pour un fou. Il est juste un peu fatigué et il a des maux de tête, c'est tout. Les mots d'ordre pendant les répétitions, et Julien et Sébastien sont mes gardes-fous (eh eh), sont : ralentir, respirer, retenir, suggérer.   

Comment s'est organisé le travail entre Julien et vous? Avez-vous facilement réussi à trouver un équilibre ? Combien de temps représente un tel exercice?

 
LUCIE : Nous avons commencé à travailler début novembre, et la lecture était prête fin janvier. Je me souviens que c'est après une nuit de travail que Julien m'a fait écouter ses propositions, et elles m'ont toutes convaincues. Toutes sauf la dernière, qui compose le final. J'ai dit "Non ! Pas ça !", et puis en fait il avait raison : il a apporté toute la douceur et l'humanité au personnage que je peinais à trouver, il donne au texte par certaines des compositions le pendant plus lyrique qu'Octave peine à trouver mais qui perce souvent dans son monologue, et il prend soin de l'auditeur : à la fin du spectacle, vous quittez peu à peu le Château, comme un lent travelling arrière dans l'allée principale (ça c'est Rebecca). Je crois qu'on se fait confiance et qu'on reconnaît à l'autre des compétences qui nous échappe : hormis ce petit désaccord qui prouve somme toute que la lecture a été élaborée en commun, nous nous faisons CONFIANCE.

Julien, quel est le rôle de la musique dans cette lecture ? Est-ce une simple illustration sonore ou plutôt un moyen d'apporter une autre dimension au texte? L'exercice comporte-t-il des limites et n'est ce pas parfois frustrant?

JULIEN : L'exercice est effectivement périlleux…Tout le défi réside dans le fait de colorer la lecture sans jamais prendre le pas sur la compréhension. La musique est là pour donner une dimension dramatique supplémentaire. Tant que mes poils ne se dressent pas sur mes avants bras, je recommence. Je n'ai ressenti aucune frustration mais le cadre était serré et le travail n'en a été que plus passionnant.

Au début, j'avais commencé avec des choses plus mélodiques et j'ai beaucoup simplifié car tout élément très fort (Mélodie, Rythme) me donnait l'impression de perdre en lisibilité. Il fallait trouver une ambiance et la creuser sans cesse.

 
Quelles ont été vos inspirations pour recréer l'ambiance de ce roman gothique?
 
JULIEN : Je ne me suis pas inspiré directement ( ou plutôt consciemment ) de musiques de films ou d'oeuvres originales. Par contre j'ai vraiment traité cette lecture comme une bande son de film. Un film que je me faisais en lisant "Notre Château". J'ai vraiment travaillé sous cet angle. La première étape a été d'enregistrer Lucie dans mon studio et de commencer à "produire" la voix. En travaillant sur des reverbs, j'ai d'abord commencé à replonger cette voix dans les pièces que j'imaginais : la salle de bain, la bibliothèque etc… Cette première étape m'a inspiré pour écrire la musique.

Est-ce que ce type de musique ressemble ou est au contraire plutôt éloigné de ce que vous faites d'habitude?

 JULIEN : Je sortais d'un long travail sur un album de musique électronique "Grande-Synthe" que je venais d'enregistrer et mixer. Encore sous le charme du son des vieux synthétiseurs des années 70/80, je savais que j'allais utiliser les mêmes machines pour la lecture. Je ne voulais pas tomber dans la Synthèse de son à proprement parlé, j'ai donc utilisé ces claviers dans leur état le plus brut, sans "trafiquer" les sonorités. 

La couleur globale a été donnée par le Rhodes ( qui est un piano électrique, avec des marteaux qui frappent non pas des cordes mais des lames de fer amplifiées  ). Cet instrument que l'on retrouve sur quasiment tous les chapitres de la lecture m'a beaucoup aidé à me balader entre le côté inquiétant du personnage et le romantisme du lieu.

 
Je voulais aussi un instrument purement acoustique pour l'authenticité et la chaleur du son, j'ai donc demandé à mon grand ami de longue date, Sébastien Maire, de venir enregistrer sa contrebasse sur la lecture. Sébastien joue aussi des synthés sur scène.
Mon instrument est la batterie, c'est avec elle que j'accompagne des gens comme Olivier Py, j'ai pris un malin plaisir à ne pas en jouer ;) 

Pour terminer, baissez les lumières et laissez-vous porter par le magnifique album « Grande-Synthe » de Julien Jolly :

  

 Et puisqu'il a été conçu comme la "BO d'un film de science-fiction imaginaire", pourquoi ne pas en profiter pour lire, en même temps, La grande panne qui vient de paraître au Tripode (On vous en dit plus très bientôt)

 

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?