Parcours d’une œuvre
L’auteur de Spin occupe une place particulière dans le paysage de la science-fiction. Si chacun de ses livres depuis une dizaine d’années est attendu avec fébrilité par ses admirateurs et fait toujours l’objet d’une réception critique intense, Wilson n’a pas pour autant fondé une école. La « hard science », illustrée par Stephen Baxter ou Greg Egan (pour prendre les meilleurs), ne lui doit rien, des originaux comme China Miéville ou Charles Stross non plus. Jo Walton, avec Morwenna ou sa trilogie du Subtil Changement non plus, même si elle partage avec lui un goût prononcé pour ses personnages et des récits à la première personne. Wilson est avant tout un solitaire, qui a tracé son sillon un peu dans son coin avec une progression lente mais remarquable.
Ses débuts (1986-1994), le voient livrer des romans intéressants, parfois très ambitieux (bien que trop long, Le Vaisseau des voyageurs annonce les thèmes de ses réussites majeures) mais sans la maturité ou la personnalité qui seront sa marque. Avec Mysterium, Wilson change de statut et entre dans une autre période (de 1994 à 2007) et affirme son goût pour les réalités distordues (d’où l’attribution du Philip K. Dick Award) sans en faire pour autant le cœur de sa démarche. Quelque chose d’autre l’anime. Parallèlement, notre auteur souscrit à l’analyse selon laquelle notre société, enfermée dans sa vision consumériste, consume trop rapidement les ressources de la planète en énergies fossiles et du coup obère la capacité de l’espèce à survivre, thèmes présents dans l’œuvre de notre auteur (je renvoie à À travers temps ou Julian). Wilson aime aussi à enfermer ses personnages (que cela soit dans un cercle, une couche protectrice, une autre dimension, un monde parallèle ou autre chose) : ce qui était présent dans Mysterium arrivera à maturité dans Spin (une figure reprise dans Les Derniers Jours du paradis). Dès lors, Wilson rencontre le grand public, d’où l’attribution du prix Hugo et s’ouvre alors une troisième période (de 2007 à aujourd’hui), passionnante et complexe.
Heureux de son succès, l’auteur refuse pourtant la facilité. Axis, suite de Spin, en prend le contre-pied au point de se fâcher avec le public qui avait aimé le premier volume. Quant à Julian, il s’agit à la fois d’un exercice de style (à la Mark Twain) et en même temps d’une réflexion sur le devenir d’une civilisation fondée sur les énergies fossiles et l’attrait du mythe du sauveur (l’intrigue Julian étant aussi une transposition de l’empereur Julien). Suivront Vortex, qui conclura magistralement la trilogie initiée par Spin et Les Derniers Jours du paradis : uchronie mal comprise, le roman reprend la figure du cercle et de l’enfermement initiée par Spin, au point que certains craignent la répétition, voire que Robert Charles Wilson sombre dans l’autoparodie… Avec Les Affinités, notre auteur revient avec un thème neuf, dérivé des réseaux sociaux. Qu’en a-t-il fait ?
Rejoindre une nouvelle famille, une nouvelle version de l’avenir
Adam Fisk est le rejeton d’une famille de la côte Est. Son père est patron d’une grande entreprise et son frère aîné Aaron est désigné comme l’héritier. Après la mort de sa femme, son père s’est remarié avec Laura, déjà mère d’un petit garçon nommé Geddy auquel Adam s’est beaucoup attaché. Adam a une fibre plutôt artistique et, au lieu de s’engager dans des études de commerce comme l’aurait souhaité son père, décide de se tourner vers le dessin, avec le soutien financier de sa grand-mère, plutôt originale. Lorsque celle-ci a une attaque cérébrale, Adam comprend qu’il devra se débrouiller seul pour financer ses études. Il entend alors parler du test de Meir Klein sur les affinités personnelles, proposé par l’entreprise Interalia. Il le passe et découvre qu’il est un Tau, une des cinq plus grandes affinités. Dès lors, Adam est pris en charge par une communauté de gens qui lui ressemblent par leur tempérament et deviennent pour lui une seconde famille (ce qui finit par l’éloigner de sa vraie famille). Il y découvre même l’amour dans les bras de la belle Amanda.
Très vite, Adam doit cependant faire face à un contexte qui le pousse à faire des choix : le monde sombre progressivement dans la crise, la guerre menace. Pire : des rivalités apparaissent entre les affinités, les Tau devant affronter les Het au point que le créateur des affinités, Meir Klein, est assassiné. Adam, profondément empathe, est partagé entre le désir de servir les Taus, ses semblables, et son altruisme qui le pousse à rester proche des non-Taus. Les drames qui frappent le monde vont l’amener à choisir…
De la réussite de Wilson
Les Affinités frappent où là ça fait mal ! Nos sociétés modernes sont frappées par l’anomie sociale : effondrement ou affaiblissement des anciennes solidarités (partis politiques, églises…), développement des réseaux sociaux. Robert Charles Wilson imagine donc un futur proche, pas si éloigné du nôtre où les individus, produits d’une société profondément individualiste, réinventent de nouveaux groupes. Soyez contre ou soyez pour : Robert Charles Wilson vous propose rien moins qu’une fiction spéculative, un genre illustré autrefois par Heinlein, Sturgeon ou Silverberg, s’appuyant autant (sinon plus) sur les sciences humaines que sur les sciences dures. Si cette démarche n’est pas nouvelle, le critique vous dira franchement les choses : ça marche du feu de dieu ! Avec Les Affinités, vous vous poserez pas mal de questions sur l’avenir de notre civilisation et aussi sur ce que pourriez faire si vous étiez à la place d’Adam. Un tel questionnement a ses limites mais il démontre aussi à quel point une œuvre peut vous marquer. Ce roman est donc chaudement recommandé.