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Les Anoraks

Daryl (Scénariste), Popcube (Dessinateur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2010  -  bd
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Les Anoraks

En 2008, Ankama sortait Dans le stade, premier tome de la singulière série Constellations, écrite par David Calvo / Daryl et David Richard / Popcube. Sous un format de type manga, les deux auteurs racontent l’histoire d’une communauté d’humains enfermés dans un gigantesque stade, avec une éternelle nuit étoilée au-dessus de la tête, un passé oublié et un avenir inexistant. Car des êtres inconnus – les ombres – déciment régulièrement leurs rangs, sans raison apparente, laissant les survivants sans explication, sans espoir. Dès lors, comment (re)construire un semblant de civilisation, alors que la misère règne, que le tissu social est mort, qu’il n’y a rien à faire dans le stade ? Certains se débattent pourtant, essayant de trouver un sens à tout cela et, peut-être, le moyen d’échapper à cette prison.

Le premier volume, qui présentait de nombreuses qualités graphiques, narratives et thématiques, offrait un récit parfois un peu obscur dont on avait du mal à percevoir la finalité. Ce second tome met fin à cette impression de belle manière et poursuit une histoire en tous points passionnante.

La tyrannie des Constellés

Cela fait longtemps que les ombres n’ont pas fait de rafle dans le stade. Certains pensent que c’est le moment de sortir de leur torpeur et de se donner de nouvelles choses en lesquelles croire. Efrim décide ainsi de sortir du stade et de partir pour le Nord. Tous ceux qui ont tenté l’expérience jusqu’ici en sont morts. Daniel mise tout sur la pensée, cherchant à trouver une solution dans la réflexion et la raison. Quant à Fanny, dont l’ambition était de libérer les habitants du stade via l’art, elle est (malgré elle ?) à l'origine du clan des Constellés, sortes de fanatiques qui se trouent le corps pour singer la façon dont les ombres déciment les humains. Au fil des jours, ceux-ci, par la force ou la foi, imposent leur ordre. Ces trois conceptions de la liberté – en tout cas ce qui en tient lieu – vont s’affronter pour donner un sens à la vie des survivants.

De nettes améliorations par rapport au premier tome

Les quelques défauts que l’on pouvait attribuer à Dans le stade ont quasiment disparu dans Les Anoraks. Côté dessin, Popcube semble avoir gagné en maturité dans son trait, notamment au niveau des visages : on y décèle des expressions parfois très subtiles qui permettent aux auteurs de se passer de texte superflu. Les décors sont quant à eux toujours aussi beaux et précis. Mais ce qui frappe le plus dans ce tome, ce sont les ambiances : Popcube maîtrise parfaitement le noir et blanc, et imprime plus de nuances dans ses tramages, accentuant les jeux d’ombre et de lumière, représentant de façon originale la nuit éternelle du stade et les éclairages clairsemés. On plonge ainsi plus facilement dans cet opus, baigné de cette torpeur et de cet abandon qui habite les personnages.

Au niveau du scénario, on a également l’impression d’une plus grande clarté. En tout cas, les éléments mis en place dans le premier album commencent à s’organiser pour offrir au lecteur un point de mire. Les motivations des personnages apparaissent plus tangibles. Ou plutôt, elles naissent en eux : le premier tome était celui du trouble, de la désorganisation, des frustrations, des intuitions inachevées – et finalement, dans cette optique, on se dit qu’il n’avait pas tant de défauts que cela. Mais du fait que l’angoisse de la mort s’atténue un peu grâce à l’absence prolongée des ombres, la confusion se dissipe dans les esprits et les personnages peuvent s’inventer de nouveaux buts et des moyens de lutter contre l’abandon. Trois conceptions s’opposent : Efrim pense qu’il faut agir de façon concrète, qu’il faut fuir le stade et aller chercher les solutions à l’extérieur. Daniel, le plus érudit des trois, se repose sur l’écrit et la réflexion pour dénicher des indices, des pistes qui mèneront à la compréhension de leur environnement – on touche là à la nature du processus créatif et on peut y voir l’expression par le scénariste de sa propre démarche. Fanny veut détourner l’attention de ses sympathisants des étoiles qui, selon elle, volent leurs espoirs : il s’agit alors de se recentrer sur soi-même, pour se prouver que l’on existe et reprendre possession de son corps… même si cela doit passer par la tyrannie et une foi factice qui se change en fanatisme.

Le grand talent de David Calvo est de ne pas privilégier l’une des trois conceptions : chacune est argumentée et justifiée par son chef de file. Il n’y a aucun manichéisme, et même les exactions des Constellés peuvent nous apparaître sensées. Cet effet est renforcé par la présence forte des personnages : ils agissent parfois de façon inattendue, leurs traits de caractères sont changeants, ils évoluent au fil des pages. Comme si Calvo se laissait parfois surprendre par les chemins détournés que prennent ses héros.

La violence d’un univers sans horizon

Il faut dire que l’environnement dans lequel évoluent les protagonistes de Constellations n’est pas idéal pour la stabilité. La société du stade, en proie aux errements existentiels provoqués par une situation sans débouché, peine à se reconstruire. La violence règne en maître, et les auteurs la retranscrivent admirablement bien, aussi bien au niveau du dessin que du texte. Les Constellés, avec leurs cagoules qui leur donnent une allure de monstres, sont terriblement inquiétants. En leur présence le danger est permanent, le lecteur le ressent véritablement. La brutalité est contagieuse, l’abandon dans lequel les habitants se trouvent repousse les barrières de la conscience face à la mort et au meurtre : la vie ne vaut rien, ni la sienne ni celle des autres. « Face au néant, nous ne pouvons changer qu’en nous brutalisant », dit Daniel : la violence est ici nécessaire. La rage étouffe les autres émotions, elle est presque la seule à savoir s’exprimer. L’amour n’a pas droit de cité, bien que les personnages tentent, en de rares occasions, de ressentir autre chose que la haine. L’amour fait peur, car s’attacher c’est risquer de se croire vivant, c’est susciter des espoirs qui n’ont aucune chance d’aboutir.

Il y a, dans Constellations, un peu de Sa Majesté des mouches, de William Golding : l’idée que la civilisation est fragile, que le pouvoir ne tient qu’à des symboles – parfois fabriqués – dont la maîtrise assure le contrôle des masses. Mais on peut aussi trouver des parentés dans le milieu SF, dans lequel navigue David Calvo : la révolte décadente d’Outrage et rébellion, de Catherine Dufour ; la quête de sens poétique et démystifiée de Penchés sur le berceau des géants, de Daylon ; ou, pour certaines ambiances et idées – comme celle de l’étoile dans les souterrains du stade – le Stalker des frères Strougatski.

Ce second tome de Constellations tient ainsi les promesses du premier et rend la série particulièrement passionnante. L’ambiance délétère du stade, l’état d’abandon de ses habitants, mais aussi l’espoir ténu porté par Daniel et Efrim, et surtout les grandes idées SF qui apparaissent au cours de l’album, nous rendent impatients de découvrir la suite. Et si la question sur ce qui se cache hors du stade n’a pas été résolue, elle n’en devient que plus inquiétante et fascinante. On se dit pourtant qu’elle pourrait bien ne jamais trouver de réponse sans que cela entache la qualité de la série.

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