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Les Brigades fantômes

Bernadette Emerich (Traducteur), Didier Florentz (Illustrateur de couverture), John Scalzi ( Auteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 22/06/2007  -  livre
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Les Brigades fantômes

John Scalzi est un auteur relativement récent sur la scène de la SF internationale. Né en 1969, il fait ses premières armes d’écrivain comme critique de cinéma dans le journal californien Fresno Bee. Depuis 1998, il est écrivain free-lance à plein temps, et alterne romans et livres de vulgarisation ou de compilation sur différents sujets, scientifiques (The Rough Guide to the Universe, 2003) ou non (Book of the Dumb, 2003). Il tient également un blog, Whatever, dans lequel il publie des chroniques sur la politique ou l’écriture, parfois reprises plus tard dans la presse professionnelle.

Côté SF, Scalzi publie son premier roman, Le Vieil homme et la guerre (Old Man’s War), en 2005, après en avoir diffusé le début sur son site en 2002. Bien lui en prit : ce roman sera finaliste du prix Hugo en 2006 et Scalzi récoltera la même année le John W. Campbell Award du meilleur nouvel auteur de SF. Une suite est donnée au Vieil homme et la guerre en 2006 : Les Brigades fantômes (The Ghost brigades). Ces deux premiers tomes sont parus en France chez L’Atalante, mais un troisième est déjà sorti aux Etat-Unis (The Last Colony, 2007) et un quatrième est en préparation (Zoe’s Tale, prévu pour 2008). Hors de ce cycle, Scalzi a publié deux autres romans de SF, non traduits en français : Agent to the Stars (2005, publié en ligne en 1997) et The Android’s Dream (2006).

Séance de rattrapage : Le Vieil homme et la guerre

Avant de s’intéresser aux Brigades fantômes, petit retour sur Le Vieil homme et la guerre, qui n’avait pas été chroniqué dans nos pages lors de sa sortie, et qui mérite bien quelques lignes.

L’Union Coloniale (UC) possède le monopole des transports spatiaux et dirige l’expansion de l’humanité à travers la galaxie. La Terre est mise à l’écart de cette colonisation. Sans aucune information sur ce qui se passe à l’extérieur du système solaire, la planète mère n’en est pas moins le premier fournisseur de recrues pour les Forces de Défense Coloniales (FDC), l’armée de l’UC. Avec cette petite particularité : les aspirants soldats doivent avoir au moins soixante-quinze ans. Sans savoir ce qui les attend, la plupart des retraités s’engagent, persuadés que les FDC vont les rajeunir – car comment imaginer une armée composée uniquement de vieux ? John Perry, las de sa vie sur Terre, décide de sauter le pas.

Le Vieil homme et la guerre est un roman moderne et percutant, comme le prouve sa première phrase, pleine de promesses : « J’ai fait deux choses le jour de mes soixante-quinze ans : je suis allé sur la tombe de ma femme, puis je me suis engagé ». Dans cette phrase transparaissent les deux composantes principales de ce roman : un humanisme sensible et une inventivité rafraîchissante pour le space opera. Humanisme qui s’exprime avant tout chez les personnages, celui du narrateur John Perry en tête. A travers lui, Scalzi évoque le vieillissement (« On peut vivre plus longtemps et on vit plus longtemps, mais on n’en vit pas moins ces années comme des vieillards ») et tout ce qui l’accompagne (perte d’êtres chers, sentiment d’abandon, etc.) ; l’amitié et nos rapports aux autres (« Nous donnions aux autres quelqu’un de qui prendre soin, ce dont nous avions besoin dans un univers qui ignorait notre existence ou s’en moquait ») ; la façon dont il faut appréhender la vie pour se la rendre plus supportable (« Finalement, j’avais réussi à faire sourire quelqu’un ce jour-là. La vie s’annonçait sous un jour meilleur »)… Le tout écrit avec un ton tantôt humoristique, léger, détendu, tantôt puissamment évocateur, comme lorsque Scalzi parvient à nous faire ressentir l’excitation du voyage teintée d’inquiétude face à l’inconnu chez les recrues. L’écriture même de Scalzi est humaniste, parvenant à déclencher en nous des sentiments, des impressions que l’on s’approprie en même temps que les personnages.

L’intrigue, quant à elle, n’est pas particulièrement originale : il y a peu d’enjeux dans ce roman, qui lorgne plutôt du côté du road movie initiatique et assume sans complexe ses emprunts aux grands classiques que sont, en particulier, Starship Troopers de Heinlein et La Guerre éternelle de Haldeman. Son traitement, en revanche, est plus intéressant. Le Vieil homme et la guerre évolue certes dans un environnement militaire, mais à l’heure où la guerre en Irak déclenche dans les médias (et chez beaucoup de monde) des réactions manichéennes, il ne faut pas forcément chercher chez Scalzi une quelconque prise de position. Ni militariste ni antimilitariste, l’auteur se concentre avant tout sur ses personnages et la façon dont ils vivent la guerre. Ils se posent peu de questions et réagissent à leur situation personnelle plutôt qu’au but supposé des combats. Lorsque Perry déclare : « Conquérir l’univers commençait à me mettre hors de moi », ce n’est pas tant une question de moralité qu’une réaction égoïste à une suite d’événements l’ayant affecté. Ce traitement proche des gens empêche volontairement le lecteur de se faire une idée macrocosmique de la guerre, Scalzi donnant très peu de clés pour juger du bien-fondé du conflit et du rôle de l’UC dans celui-ci.

Mais ce qui fait avant tout l’intérêt du Vieil homme et la guerre, c’est son inventivité au niveau technologique. On n’est pas vraiment dans la hard science, car Scalzi ne va pas très loin dans l’explication des concepts qu’il met en scène. Mais l’ensemble est suffisamment crédible et surtout très excitant. Les améliorations biologiques ou artificielles apportées aux corps des FDC sont très bien pensées et prennent véritablement part à l’action, ce ne sont pas de simples gadgets cosmétiques. Elles donnent un vrai coup de fouet à un genre qui, souvent, réutilise les mêmes outils ou bien axe le récit uniquement sur l’aventure.

On n’ira pas jusqu’à dire que Scalzi révolutionne le space opera, mais Le Vieil homme et la guerre est un très bon roman qui apporte indéniablement un plus au genre. Et sa suite, Les Brigades fantômes, creuse la veine avec le même succès.

Les Brigades fantômes

Plusieurs mois après la bataille de Corail qui avait vu s’affronter les Humains et les Rraeys, Jane Sagan, lieutenant des Forces Spéciales – plus communément appelées les Brigades fantômes –, capture l’administrateur Cainen, savant Rraey travaillant sur une base Eneshan. Il semble que les deux races se soient alliées à une troisième, les Obins, pour annihiler les Humains. Mais le pire est sans doute qu’elles ont été aidées par un savant humain, Charles Boutin, traître étant parvenu à se cloner puis à s’enfuir en laissant une copie de sa conscience. Les Forces Spéciales, avec l’aide (forcée) de Cainen, tentent de réintégrer la conscience de Boutin dans le corps d’un soldat des FS, afin de comprendre pourquoi Boutin a trahi l’humanité. C’est ainsi que naît Jared Dirac.

Scalzi étoffe son univers

Les Brigades fantômes n’est pas la suite directe du Vieil homme et la guerre. John Perry n’y apparaît pas, et si des personnages comme Jane Sagan et Harry Wilson permettent de faire le lien (un peu artificiel certes : Scalzi s’est arrangé pour que l’on soit en terrain connu), l’intrigue et le traitement sont totalement différents. Premier élément marquant des Brigades fantômes : Scalzi abandonne la première personne et embrasse une vision plus générale de son univers. Il alterne les points de vues, non seulement entre personnages humains, mais aussi entre races. Cela lui permet d’installer une intrigue plus ouverte et plus complexe, aux enjeux captivants et au développement passionnant. On en apprend beaucoup sur l’Union Coloniale, les FDC et les brigades fantômes, et sur le conflit qui oppose les différentes races de la galaxie. L’auteur alterne habilement explications et progression de l’intrigue, à travers des dialogues maîtrisés la plupart du temps et un style toujours aussi décontracté. Et aboutit à une fin efficace, avec son lot de surprises et une ouverture de bon augure pour un troisième tome.

Si Scalzi privilégie une vision globale de l’histoire, il garde le souci du détail et creuse en particulier la veine technologique assez novatrice du Vieil homme et la guerre. Il va plus loin dans le processus de fabrication des soldats des Forces Spéciales, en développant notamment la naissance de la conscience dans un corps adulte sur la base de schémas cognitifs préexistants, et la façon dont cette conscience formatée va évoluer pour aboutir à une nouvelle identité indépendante. Encore une fois Scalzi donne peu de détails scientifiques pointus, mais la description de ces processus est tellement claire et inventive qu’on ne met jamais en doute leur crédibilité. L’éveil à la conscience de Dirac par exemple est parfaitement réussi. Scalzi ne s’arrête pas là et invente une nouvelle façon de concevoir les rapports humains chez les FS grâce à l’intégration Amicerveau, véritable particularité des soldats des FS par rapport à ceux des FDC. Le lecteur assiste à la constitution d’un système de références inédit, en particulier du point de vue émotionnel. Tout simplement brillant. Les FS sont ainsi décrits comme des « enfants émotionnellement atrophiés » : « Nous devons apprendre à nous contrôler comme les adultes, comme tous les humains. Or nous disposons de beaucoup moins de temps pour acquérir cette maîtrise ».

Identité et humanité

C’est l’occasion pour Scalzi de s’interroger sur la notion d’identité. Qu’est-ce qui fait qu’un individu est différent d’un autre ? Comment la conscience de soi se fraye-t-elle un chemin parmi un terreau de conscience collective et partagée ? Scalzi apporte plusieurs réponses en fonction de celui qui se pose la question. Un commandant des FS n’aura pas le même point de vue qu’un humain ou un alien étranger aux FS. La force de l’auteur est de ne pas choisir de camp : comme dans Le Vieil homme et la guerre, il nous laisse nous faire notre propre idée. Pour certains, l’identité d’un personnage se forge avant tout par ses choix, et ces choix subjectifs conditionnent l’avenir des hommes bien plus que les plans et les idéaux collectifs. Pour les FS, l’identité individuelle n’a pas de poids devant l’identité collective, qui se définit par son but : « Et ce qui nous rend en réalité différents, c’est que nous seuls parmi les humains avons un but dans la vie dès notre naissance. Et ce but est simple : assurer la survie de l’humanité dans cet univers ». Ces conceptions a priori opposées ne sont pas forcément incompatibles, et Jared Dirac en sera la preuve.

Scalzi étend le thème de l’identité à celui de l’humanité, sous deux aspects. Le premier était incontournable : les soldats des FS sont des produits artificiels, génétiquement modifiés. A partir de là, sont-ils encore humains ? Le rapprochement avec Frankenstein est évident, et d’ailleurs l’auteur admet explicitement cette filiation en multipliant les références aux créatures artificielles de fiction. L’un des enjeux des Brigades fantômes, au-delà de la résolution de l’intrigue, sera pour Scalzi de creuser cette notion d’humanité, sans toutefois apporter de réponse tranchée car, encore une fois, il refuse tout raisonnement binaire en favorisant la nuance. Le second aspect coule également de source : dans un univers où différentes races se côtoient et se font la guerre, quelles sont les spécificités humaines ? C’est l’occasion pour l’auteur de nous présenter des êtres aux objectifs éloignés des nôtres pour mieux souligner nos motivations – ou les critiquer. Ainsi, quand il parle « d’agression préventive » pratiquée par l’Union Coloniale, on sait de qui il parle vraiment. De plus, Scalzi n’hésite pas à décrire des scènes moralement limite, comme la torture de Cainen par Sagan ou le sacrifice d’un enfant alien en guise de négociation diplomatique, parfaites illustrations de l’expression « la fin justifie les moyens »… Finalement, comme dans Le Vieil homme et la guerre, la fibre humaniste indéniable de Scalzi se manifeste plus au niveau des individus que de la société.

Transformation

Après la réussite du Vieil homme et la guerre, Scalzi transforme l’essai avec Les Brigades fantômes : intrigue captivante, personnages attachants, thèmes bien creusés, technologie inventive, souci du détail, références au genre… tout y est. Et l’univers qu’il nous fait découvrir avec ce second tome n’a pas encore dévoilé toutes ses facettes. Espérons que les prochains exploitent ce potentiel avec le même succès.

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