Figure majeure de la science-fiction américaine, Avram Davidson fut éditeur, rédacteur en chef de magazines pulp, auteur… Remarquablement cultivé, ses récits recèlent une mine de faits curieux et de remarques érudites sur une époustouflante variété de sujets. A une époque où Wiki n’était encore qu’un nom pour le chihuahua de Mamie, Avram Davidson possédait un savoir encyclopédique dont il parsemait généreusement ses textes, sans jamais ennuyer, jusqu’à en faire une véritable technique narrative ! Cet homme étonnant, très prolifique, était particulièrement doué dans le domaine de la nouvelle, comme le démontrent celles que l’on trouvera dans Les cahiers de Redward Edwards…
Un conteur hypnotique…
L’un des éléments les plus remarquables des histoires d’Avram Davidson réside dans la galerie de personnages qu’il croque avec un talent incroyable. De l’étrange Sacheverell au Seigneur de Central Park, chaque protagoniste, aussi discret soit-il, prend assez de relief pour le rendre réel et, surtout, en faire un élément indispensable de l’intrigue. En dépit de la profusion des acteurs et des situations, rien n’est insignifiant, dans ces nouvelles, pas même le plus humble des pigeons, ou les rats dont on ne fait que deviner la présence dans la cave… Avec une habileté consommée, Avram Davidson connaissait l’art d’étourdir ses lecteurs en les bombardant de mots pour mieux les surprendre quand, dans un dernier paragraphe, cet apparent bavardage prend tout son sens dans une chute étonnante. Seule la nouvelle éponyme, malheureusement la plus longue du recueil, montre les limites de cette méthode parfois assez proche de celle de Raphael Lafferty.
Réalité : fiction à laquelle on peut croire…
La technique narrative très particulière d’Avram Davidson fait des merveilles, mais nécessite cependant de s’oublier un peu afin de s’y abandonner sans restriction. Il faut écouter sincèrement, faire confiance au talent de l’auteur, et surtout ne pas intervenir comme on en a trop souvent l’habitude, en se posant des questions superflues sur la conduite de l’intrigue, la crédibilité des personnages, l’intérêt de telle ou telle digression… Avec un tel Maître, l’heure n’est pas à la critique car Avram Davidson, tel un Virgile prenant Dante par la main pour lui faire visiter les enfers, assure notre sécurité et nous mène toujours à bon port malgré les circonvolutions erratiques du récit. Pour chaque récit, il parvient à nouer les fils épars pour que les dernières pages donnent enfin une vue d’ensemble sur une superbe tapisserie littéraire. Il reste dans l’univers bien des énigmes que l’on n’explique que très difficilement, voire pas du tout. Pour quelle raison Avram Davidson, l’un des plus grands auteurs américains de la seconde moitié du siècle dernier, a-t-il été négligé à ce point en France ? Ce mystère particulier ne sera probablement jamais résolu et il ne reste qu’une solution aux lecteurs curieux et raffinés : se perfectionner en anglais pour découvrir les merveilleuses Adventures in unhistory ; l’énorme recueil de nouvelles Avram Davidson’s tresory ; les nouvelles victoriennes et quasi-steampunk de Another nineteenth century ou The enquiries of doctor Estzterhazy… Sinon, il reste la maigre satisfaction de relire les quatre volumes parus en France aux Presses de la cité, il y a quarante ans…