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Les Chiens et la Charrue - Les secrets d'écriture de Patrick K. Dewdney
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Les Chiens et la Charrue - Les secrets d'écriture de Patrick K. Dewdney

A l'occasion à la sortie de Les Chiens et la Charrue, Patrick K. Dewdney revient sur l'écriture de ce troisième volet du Cycle de Syffe, paru aux éditions Au Diable Vauvert.

Actusf : Les Chiens et la charrue, votre nouveau roman est paru aux éditions Au Diable Vauvert. Il s’agit du 3ème volet du Cycle de Syffe. Comment est née cette série ?

Patrick K. Dewdney : Le Cycle est né de pas mal de choses, mais on va dire qu’il y a deux axes principaux : ma passion littéraire et théorique pour la Fantasy, et l’usage que je fais de l’écriture, que je conçois comme l’extension de mes engagements militants. Tout ça a mûri une décennie durant, sous une forme largement conceptuelle. Lorsque j’ai senti que j’avais les épaules pour porter un travail d’aussi longue haleine, notamment après avoir avoir fait mes armes dans d’autres genres, l’univers, l’histoire, et le narrateur ont pris consistance très rapidement, en une dizaine de jours. Ces trois éléments sont intimement liés, puisque tous existent afin que je puisse raconter une histoire précise, elle-même née des axes que j’évoque plus haut.

Actusf : On suit le destin pour le moins chaotique de Syffe, qui après la destruction de la Vigne, se retrouve à nouveau sur les routes. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?

Patrick K. Dewdney : Dans Les Chiens et la Charrue, on renoue avec Syffe presque un an après les évènements du tome deux. C’est un être détruit, seul, à la dérive. Une rencontre fortuite en tout début de livre, va lui permettre, peu à peu, de revenir au monde. Je raconte ensuite l’histoire de son enracinement, qui est tâtonnant et progressif, la manière dont Syffe va essayer, pour la première fois, de prendre son propre destin en main. Dans ce tome sont mis en évidence bon nombre des enjeux globaux du Cycle, avec notamment une plongée au milieu des intrigues politiques du Pays de Brune, que Syffe aborde avec le regard qui est le sien : celui d’un étranger considéré comme un sauvage même par ceux qui lui professent leur amitié, en héritier, aussi, de la philosophie rationnelle et anarchisante des Vars.

Actusf : En parlant de Syffe, a-t-il évolué depuis L’Enfant de poussière comme vous le souhaitiez, ou a-t-il choisi lui-même sa route ?

Patrick K. Dewdney : Pour être honnête, les évolutions de Syffe ont toujours servi l’histoire, parce que je souhaite raconter ce récit pour des raisons spécifiques. Dans l’Enfant de Poussière, Syffe fait l’apprentissage d’un monde dont les enjeux le dépassent. Dans la Peste et la Vigne, il se retrouve prisonnier de lui-même, puisqu’il y court obsessivement après le fantasme de son propre passé. Le fond de mes textes a toujours été matérialiste et déterministe, et largement nourri de sciences sociales. Il m’importe de mettre en scène des personnages qui sont issus de leur trajectoire, et de défaire le mythe du héros comme acteur en dehors et en dépit du monde. On ne fait jamais d’autres choix – et je ne suis même certain que l’on puisse parler de choix – que ceux que l’on est en capacité de faire. Il n’en va pas autrement pour Syffe. Il subit son histoire comme nous subissons les nôtres. Il me semble important de rendre compte du fait que les outils qui lui permettent par moments quelque chose qui ressemble à de l’auto-détermination ne découlent ni d’une mystique, ni d’un caractère exceptionnel ni d’aucune autre légende individualiste comme celles que l’on nous matraque à longueur de journée. Si Syffe dispose parfois du moyen de peser sur sa propre trajectoire, c’est parce que ces moyens lui ont été inculqués, la plupart du temps par des personnes qui réfléchissent, d’une manière ou d’une autre, au fait politique qui sous-tend l’organisation collective.

Actusf : Quand on regarde son parcours, même si il fait ses propres choix, le destin ne semble pas très favorable à son encontre. Est-ce un héros maudit ? Le jouet des dieux ?

Patrick K. Dewdney : Syffe est ce qu’il est : un individu qui, pour des raisons économiques et ethniques, se retrouve tout en bas de la pyramide sociale. De ce point de vue, il n’est ni maudit, ni la proie d’autre-chose que de sa propre condition, et d’un ordre social sur lequel il n’a pas de prise. On le plaint beaucoup, mais en fait Syffe s’envisage comme un chanceux. Il n’a pas été capturé et vendu aux esclavagistes de Jharra comme Merle ou la plupart des habitants de la Cuvette. Il n’a pas été tué ou mutilé au cours des guerres auxquelles il a pris part. Il a été épargné par la peste marquaise lorsque celle-ci a ravagé Iphos. Il a échappé à plusieurs reprises à la « justice », à la corde et au démembrement. Et de surcroît on lui a appris, dans un univers où les rapports de force sont très concrets, à penser ces rapports de force, et à manier l’acier. En dépit de tout ce qu’il a vécu, c’est un personnage qui a éminemment conscience de sa bonne fortune, principalement parce qu’il côtoie depuis toujours des personnes moins privilégiées que lui, ou enchaînées à leurs trajectoires pour d’autres raisons.

Actusf : Dans ce nouveau tome, la nature et la contemplation ont une place de choix. Toutefois, vous abordez également la politique, la diplomatie et la gestion des groupes humains. Est-ce des sujets qui vous touchent ? Pourquoi ?

Patrick K. Dewdney : Il me semble que la fantasy peut-être lue comme une parabole de notre monde, c’est ma démarche, du moins. J’essaye d’y retranscrire les mêmes enjeux, de les démystifier, de donner à y réfléchir sous d’autres angles. Puisqu’il m’intéresse de parler de l’expérience humaine, de proposer un contre-récit qui, s’il en reprend certains des codes, ne va pas dans le sens de nos grands textes fondateurs, il va de soi que ces sujets se retrouvent nécessairement au cœur de mon écriture.

Actusf : Avez-vous eu des sources d’inspirations en particulier lors de l’écriture des Chiens et la charrue, différentes des deux premiers volets ?

Patrick K. Dewdney : Pas fondamentalement, non. L’histoire du Cycle est calée depuis le début, en vérité je n’en suis que le rédacteur. Il y a eu quelques défis en termes d’écriture, cependant, et un apprentissage à faire, puisque la narration y est davantage portée par le dialogue, et le contexte y est bien plus social que dans les premiers tomes. Je n’étais pas vraiment sur mes points forts, mais j’ai un avantage, celui de travailler avec un collectif de lectrices et de lecteurs, qui m’ont offert assez de recul sur ce que j’entreprenais pour pouvoir aller au bout, et obtenir un résultat dont je suis satisfait.

Actusf : Côté illustrations et cartes, celles-ci sont réalisées par Fanny Etienne-Artur. Comment travaillez-vous ? Elle a carte blanche ?

Patrick K. Dewdney : Pour les cartes, Fanny travaille à partir des brouillons très moches que je lui fournis, et elle les transforme en choses très belles. Pour les illustrations, je lui laisse carte-blanche, elle me fait une sélection et on les choisit ensemble lorsqu’elle estime en avoir assez. Il faut aussi savoir que Fanny est la première personne qui a accès au Cycle, puisque je lui en fais la lecture, par visio ou téléphone, au fur et à mesure que je l’écris. Ça me permet de tester l’oralité de mes textes et d’affiner mon travail sur le rythme et la sonorité. De son côté, ça vient nourrir la manière dont elle met le Cycle en images : généralement Fanny enchaîne les dessins tout le temps de la lecture.

Actusf : Avez-vous d’autres projets à venir ?

Patrick K. Dewdney : Le tome quatre, évidemment, que j’ai déjà commencé. Un projet de beau-livre autour de l’univers du Cycle, qui s’appuiera sur les illustrations de Fanny Etienne-Artur, et qui s’intitule provisoirement « Carnets des Quatre Mers. » On espère avoir bouclé ça avant la sortie du quatrième tome. Je compte également poursuivre ma collaboration avec la plasticienne écossaise Rebecca MacDiarmid, avec qui nous avons conçu un bestiaire lié à la saga l’année dernière, et avec qui j’aimerais explorer d’autres possibilités, tout en donnant à voir notre travail achevé, par exemple dans le cadre d’expositions.

Actusf : Où pourra-t-on vous rencontrer dans les semaines, mois à venir ?

Patrick K. Dewdney : J’ai pas mal de dates jusqu’à la fin de l’année, j’en fais régulièrement le bilan sur ma page facebook. De mémoire pour les gros évènements, je serai présent aux Imaginales et aux Utopiales de cette année, ainsi qu’à plusieurs autres salons, par exemple à celui de Toulon, d’Arras, ou du livre jeunesse de Montreuil.

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