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Les Clichés de l’histoire - Doux comme un viking par Jules Piet
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Les Clichés de l’histoire - Doux comme un viking par Jules Piet

Jules Piet est doctorant en études médiévales scandinaves à l’Université de Strasbourg et à l’Université d’Islande. Il prépare une thèse portant sur la réception de la mythologie nordique dans la littérature scandinave des XIIIe et XIVe siècles.

Il répond à nos questions sur son article Doux comme un viking, dans Les Clichés de l’histoire, les actes du colloque du festival Fest’Ain d’histoire, publiés par l’association Didaskalie, en cours de financement sur Ulule.

Actusf : De nombreux clichés sont associés au terme « vikings » : barbares, analphabètes, pirates, casques à cornes, … D’où nous viennent-ils ?

Jules Piet : Depuis le Moyen Âge les vikings souffrent en effet d’une mauvaise réputation. Les textes médiévaux qui en font mention ont souvent été écrits par des clercs européens. Ceux-ci cherchaient à justifier leurs efforts d’évangélisation en Scandinavie. Il était dans leur intérêt de représenter la Scandinavie comme une région sauvage que la conversion au christianisme aurait civilisée.
Certains de ces clichés sont plus récents. Le casque à cornes a pu être popularisé par les opéras de Richard Wagner. Il n’est pas impossible que des casques à cornes aient existé durant l’Antiquité, mais les vikings n’en portaient pas. Ce genre de confusion est typique des représentations artistiques du XIXe siècle dont le but étaient moins de coller à la réalité historique que de produire une image fantasmée du passé national En France on peut par exemple penser à la statue de Vercingétorix à Alésia le héros gaulois s’y retrouve paré de pièces d’équipement dont les époques d’origines s’étalent de l’âge du bronze jusqu’au Moyen Âge !

Actusf : Mais ces fameux vikings, comment étaient-ils « pour de vrai » alors ?

Jules Piet : Dans la langue des anciens Scandinaves les termes víking et víkingr désignent respectivement des expéditions maritimes de commerce ou de piraterie et celui qui la pratique. « Viking » n’est pas une identité ethnique, mais une activité pratiquée ponctuellement par une partie de la population. Les anciens Scandinaves ne sont pas plus des Vikings que les Caribéens du XVIe siècles ne sont des Pirates. Une partie des Scandinaves médiévaux ont en effet pratiqué la piraterie et le pillage, et c’est cet aspect de leur culture qui a le plus frappé l’imaginaire occidentale. Il ne faut toutefois pas que l’image du viking nous empêche de percevoir les autres facettes de cette société. Imaginons un instant que les Européens médiévaux ne nous soient connus qu’à travers les récits musulmans des Croisades, nos représentations seraient nécessairement partiales. De plus la plupart de nos sources écrites sur les vikings ont été écrites longtemps après les évènements qu’elles prétendent décrire. Les Européens du continent ont pu décrire les raids vikings, mais pas la vie quotidienne en Scandinavie.
Aujourd’hui le cliché du viking est toujours très présent. Ceux-ci ont bien sûr existé les pillages commis par des Scandinaves au Moyen Âge ne sont pas des fictions. Mais ce n’est pas le seul aspect de la culture médiévale scandinave. Les sagas nous présentent aussi une société dans laquelle les individus sont préoccupés par la justice et les dangers de la violence pour la communauté. Ces sagas peuvent avoir des vikings pour héros, comme c’est le cas de Egill fils de Grímr le chauve. Cependant, une autre figure est extrêmement importante dans les sagas celle du médiateur, de l’homme qui connait la loi et tente de résoudre les conflits à l’amiable. Les Scandinaves anciens ne sont pas seulement des guerriers, ce sont aussi de fins juristes.

Un autre cliché contemporain est de représenter les vikings comme de farouches adversaires du christianisme. En effet, il y a peut-être eu des opposants au christianisme parmi les Scandinaves, mais beaucoup d’entre eux ont bien perçu les avantages qu’apportaient la conversion et ce qu’elle impliquait. Selon le récit islandais de la christianisation la décision de convertir le pays fut prise au cours d’une assemblée et ce serait un païen qui aurait eu le mot de la fin !

Actusf : La frontière entre la réalité et la fiction est parfois floue. Vous parlez de Michael Hirst, le showrunner de la série Vikings, et de sa position entre Histoire et fantasy.

Jules Piet : La série Vikings, comme d’autres fictions sur le sujet, entretient un rapport complexe avec la vérité historique. L’histoire de Ragnarr et de ses fils est issue d’une saga qui contient des éléments tout à fait fantastiques. Par exemple, la saga met en scène l’affrontement entre Ragnarr et un dragon. Les sagas contiennent bien des informations extrêmement intéressantes sur la société médiévale scandinave, mais elles ne doivent pas être interprétée comme des récits historiques au sens moderne du terme. L’importance des sagas dans notre connaissance de la période viking a sûrement contribué à rendre poreuse la distinction entre le viking et ses représentations littéraires.

Actusf : On l’impression que cet imaginaire fantasmé des vikings est entretenu et alimenté par tous les médias. Vous évoquez les jeux vidéo comme God of War, qui ne s’inspirent que d’éléments très partiels – et partiaux ! - de la mythologie scandinave.

Jules Piet : Oui, et c’est très bien. God of War est un jeu d’action, et il est tout à fait logique d’y utiliser les éléments les plus violents de la mythologie scandinave. Il n’y a aucun mal à sélectionner des éléments de la mythologie pour les adapter à ses propres visées artistiques. Les médiévaux le faisaient eux-mêmes. Ce qui est parfois plus embêtant c’est qu’un nombre important de ces représentations se basent sur les mêmes clichés au détriment d’autres aspects intéressants de cette culture. Il serait intéressant de diversifier les représentations des anciens Scandinaves.

Actusf : Vous prenez pour exemple trois mythes de l’Edda de Snorri et de l’Edda poétique pour montrer que la violence de certains récits a, peut-être, été surinterprétée et mise en avant.

Jules Piet : Oui je pense qu’on a parfois tendance à confondre représentation de la violence et apologie de la violence. Il me semble que les mythes scandinaves tels que nous les connaissons ne font pas l’apologie de la violence mais en décrivent plutôt les aspects néfastes. Dans ces mythes la violence est souvent un moyen inefficace d’atteindre son but. Bien sûr il ne faut pas faire de généralisation ni d’angélisme, il existe également des récits norrois plus complaisants sur la violence, mais ce ne sont pas nécessairement les textes mythologiques.

Actusf : J.R.R. Tolkien s’est lui-aussi inspiré des mythes nordiques dans sa saga Le Seigneur des anneaux. Alors, a-t-il été un auteur rigoureux ou s’est-il lui-aussi laissé piéger par les clichés ?

Jules Piet : Tolkien a été inspiré par une grande diversité de récits anciens : norrois, finnois, bibliques, etc. Il a utilisé des éléments de ces récits pour en faire ce qu’il voulait. Tolkien ne parle pas de vikings, mais on note en effet des parallèles entre son œuvre et certaines sagas et récits mythologiques scandinaves. Par exemple, les noms des nains de la compagnie de Bilbo sont presque tous issus de l’Edda poétique. Chacun à leur façon Gandalf et Saroumane ne sont pas sans rappeler Odin. L’une des forces de Tolkien est d’avoir su utiliser des éléments de la mythologie pour les réassembler et en faire quelque chose d’original.

Vous pouvez commander Les Clichés de l’histoire par ici.

Et vous pouvez réécouter la conférence de Jules Piet, Rire avec les dieux, l’humour dans la mythologie scandinave, pendant l'édition 2018 du festival Fest'Ain d'Histoire.

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