Catherine Rideau-Kikuchi est maîtresse de conférence à l’Université Versailles-Saint-Quentin. Florian Besson est docteur en histoire médiévale de l’Université Paris-Sorbonne. Ils sont deux membres fondateurs du collectif Actuel Moyen Âge, visant à lire l’actualité à travers le Moyen Âge. Ayant réalisé une thèse d’histoire médiévale, ils sont également enseignants à l’université.
Ils répondent à nos questions sur leur article Terre plate et âges obscurs : de Twitter aux amphis, que faire des clichés médiévaux ? dans Les Clichés de l’histoire, les actes du colloque du festival Fest’Ain d’histoire, publiés par l’association Didaskalie, en cours de financement sur Ulule.
Actusf : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter Actuel Moyen Âge s’il vous plaît ? En quoi ce collectif consiste-t-il ?
Catherine Rideau-Kikuchi : Actuel Moyen Âge est un collectif de jeunes chercheurs et chercheuses, qui vise à diffuser la recherche en histoire médiévale. Il a commencé par un blog, créé début 2016. L’idée était de tisser des liens entre l’actualité et l’histoire médiévale, pour montrer comment la période médiévale permettait de mieux comprendre ou d’envisager différemment des évolutions contemporaines, des faits de société ou des évènements plus particuliers. Ce blog a donné lieu à un premier livre, publié chez Arkhê en 2017.
Florian Besson : aujourd'hui, Actuel Moyen Âge a pris de nouvelles formes, avec de nouvelles personnes. On continue à écrire sur notre blog, mais aussi sur un blog rattaché à Libération. On a publié un deuxième tome, on collabore avec des podcasts, avec une chaîne YouTube, on intervient dans des colloques universitaires, au Musée de Cluny ou dans des festivals de reconstitution... Diffuser la recherche, c'est aussi savoir chercher en permanence de nouvelles formes, de nouveaux discours, de nouveaux modes de communication, et c'est ce qu'on essaye de faire.
Actusf : Saleté, obscurantisme, terre plate… De nombreux clichés sont rattachés au Moyen Âge. Quand et comment sont-ils apparus ?
Catherine Rideau-Kikuchi : La mauvaise réputation du Moyen Âge a été construite en réalité par des intellectuels du Moyen Âge ! Les humanistes des XIVe et XVe siècle voulaient se démarquer de leurs prédécesseurs et ont contribué à créer cette première image d’un Moyen Âge obscur, où le lustre de l’Antiquité s’était perdu, tandis que ces intellectuels se présentaient comme ceux qui allaient pouvoir renouer avec le prestige du passé. Cette construction s’est poursuivie dans les siècles suivants : le Moyen Âge a beaucoup servi de contraste pour mettre en avant son époque ou se mettre en avant soi-même. Les écrivains des Lumières par exemple ont dépeint le Moyen Âge comme une période d’arbitraire et d’obscurantisme pour valoriser leurs propres réflexions. À partir de là, on aboutit à une image collective du Moyen Âge comme période retardée à tous les niveaux : réflexion, art, hygiène, sciences etc.
Mais tout ça veut aussi dire que la période du Ve au XVe siècle, que l’on considère généralement comme le Moyen Âge, n’est pas une construction qui repose sur des bases scientifiques. Le Moyen Âge allant de la chute de l’Empire romain à la Renaissance a été construit comme un repoussoir, un « ventre mou » entre deux époques plus prestigieuses. On parle du Moyen Âge comme un tout, mais ces dix siècles comportent pourtant de sérieuses transformations et leur unité est loin d’aller de soi.
Actusf : Pour analyser la nature et la fréquence de ces clichés dans notre quotidien, vous avez utilisé comme source des tweets. Pouvez-vous nous parler de ce protocole d’étude ?
Florian Besson : Actuel Moyen Âge est présent et très actif sur Twitter depuis la naissance du blog. Ce réseau social est un bel endroit où faire de la diffusion de la recherche, mais c'est aussi un bon observatoire de certaines tendances. Depuis plusieurs mois, je complète une base de données sur les usages des termes « Moyen Âge » ou « médiéval » sur Twitter. C'est impossible d'être exhaustif – on parle de plusieurs centaines de tweets chaque jour qui utilisent ces mots ! - mais ça donne une idée de la vision de la période médiévale sur internet...
Actusf : Résultat : le Moyen Âge semble encore largement stigmatisé aujourd’hui…
Catherine Rideau-Kikuchi : Stigmatisé, je ne sais pas, parce qu’il y a aussi une fascination pour le Moyen Âge. L’image est globalement négative, mais dans le même temps, on aime à imager un Moyen Âge rude, violent, anti-technologique, comme cadre d’aventures ou d’histoires plus ou moins merveilleuses.
Florian Besson : Absolument. La plupart des usagers de Twitter qui parlent du Moyen Âge en font une période sombre, dominée par l'ignorance, la saleté, la domination de religions obscurantistes, le refus de la technologie... Évidemment cette vision est totalement fausse, et totalement décalée par rapport à l'historiographie de ces 50 dernières années !
Actusf : Comment peut-on faire pour lutter contre ces clichés ?
Catherine Rideau-Kikuchi : en diffusant autant que possible les travaux des historiens. Et cela passe par des canaux très divers. Les cours à l’université sont bien entendu des vecteurs importants, pour un public certes un peu captif mais qu’on peut réussir à surprendre et à interpeler. Chaque chercheur et chercheuse indépendamment peut, grâce aux réseaux sociaux, transmettre ses recherches, diffuser des brides de Moyen Âge. C’est un travail de long terme et assez diffus mais qui me semble important. Ceci étant, contre des personnages beaucoup plus médiatiques, un discours beaucoup plus construit est nécessaire.
Florian Besson : c'est une lutte permanente, et il faut être assez patient... Quand on choisit de s'engager dans la diffusion de la recherche, il faut réussir à corriger certains usages fautifs, à déconstruire des erreurs, à critiquer des imprécisions, mais sans jamais être condescendant. Je pense qu'il y a deux façons de lutter contre des clichés historiques : d'abord en réfutant frontalement des discours erronés, surtout quand ils sont très médiatisés – c'est ce qu'on a fait en critiquant les visions historiques d'Eric Zemmour, Lorant Deutsch ou Stéphane Bern. Deuxième façon : continuer à produire un discours historique de qualité, en cherchant à le rendre accessible à toutes et à tous.
Actusf : Vous parler également de jouer avec les clichés pour les déconstruire. En terme de pédagogie, mais aussi dans la fiction, comme la série Kaamelott d’Alexandre Astier le fait.
Florian Besson : On le fait tous en cours : on part d'une idée reçue, colportée par un film (Les Visiteurs...) ou une série (Game of Thrones...) et ensuite on nuance, on critique, on déconstruit. C'est une stratégie pédagogique très efficace, qui marque les étudiant.e.s – et qui a aussi le mérite de leur rappeler que leurs profs sont des gens normaux, qui ont les mêmes pratiques culturelles qu'eux !
Vous pouvez commander Les Clichés de l’histoire par ici.
Et vous pouvez réécouter la conférence de Florian Besson et Catherine Kikuchi, Terres plates et âges obscurs : que faire des clichés médiévaux, donnée pendant l'édition 2018 du festival Fest'Ain d'histoire.