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Les conseils de Claude Ecken - Le Synopsis
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Les conseils de Claude Ecken - Le Synopsis

(Avant de lire cette rubrique, n'hésitez pas à lire l'introduction de la rubrique)

BÂTIR UNE INTRIGUE 1 – LE SYNOPSIS

 Ca y est, l'inspiration vous est tombée dessus sans crier gare, aussi brutalement qu'une enclume dans un dessin animé de Tex Avery ! L'idée de raconter une invasion d'extraterrestres intellectuellement supérieurs mais si ressemblants à l'humain que leur infiltration est indécelable est une variation sur un thème classique à laquelle personne n'a songé à ce jour, pour ce que vous en savez, et qui contient en germe nombre de situations angoissantes. Le synopsis seul mériterait un Grand Prix de l'Imaginaire, en attendant que le Goncourt récompense à nouveau un roman de science-fiction ; à raison d'un par siècle, l'élection est imminente : autant vous mettre immédiatement au travail.
 Une idée frappe un peu comme la foudre ; elle vous traverse, vous tétanise et fait crépiter vos neurones à un point tel que vous n'aurez désormais de cesse qu'elle soit transcrite en mots et en phrases jusqu'au point final. À la place d'une situation comme celle des envahisseurs humains, il peut s'agir d'un projet plus général, comme un univers de fantasy où chaque créature et chaque royaume est un subtil démarquage du nôtre, ce qui permet de résumer à travers un récit épique et haut en couleurs l'histoire de l'humanité entière, et le premier qui demande comment ça finit reçoit un gage.

 L'idée n'a pas d'origine précise ni ne se manifeste à l'identique d'une fois sur l'autre. Ça peut être une émotion, une réflexion, une scène, voire le télescopage d'une information et d'une image : rien n'a changé depuis que Lautréamont a défini la beauté comme "la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie", même si les points de suture ne se font plus à l'aide de cet ustensile voué à l'obsolescence depuis l'invasion des textiles chinois (voyez cependant comme l'esprit est prompt à lier des objets entre eux pour donner du sens, même par l'absurde).

 L'image éblouit, interroge et il faut ensuite l'habiller, imaginer l'enchaînement de situations qui y conduit, de façon, si possible, à la mettre en valeur, il ne manquerait plus qu'elle tombe à plat parce que vous en avez imaginé mille autres plus excitantes avant elle. Cependant, il n'est pas non plus nécessaire de la conserver au centre du récit : elle peut n'avoir servi que de tremplin à l'imaginaire et on lui sait gré d'avoir fourni le déclic. Une scène de guerre, par exemple, serait amenée par une série de circonstances, dont la première serait l'événement déclencheur, soit le début de l'histoire, et il n'y a plus, après, qu'à dérouler le récit jusqu'à sa conclusion.

 Reste que commencer à raconter sans délai les tourments d'un soldat au cœur du Blitz ou sur le front russe n'est pas le plus sûr moyen de parvenir à ses fins. On s'en rend vite compte au terme de quelques tours et détours pour amener le combattant au bon endroit, au bon moment, que sa trajectoire manque de naturel ou de crédibilité, voire d'intérêt.

 Il se peut même que vous n'ayez pas encore de personnage et que votre projet de fantasy épique, riche pourtant de nombreuses créatures, ne soit pour l'instant qu'un théâtre d'ombres peuplé de silhouettes anonymes. Par où commencer votre subtile métaphore du monde ?

 Et c'est aussi après avoir glissé des extraterrestres. partout dans la société que vous vous demandez comment, en l'absence de signe distinctif, l'humanité pourrait bien prendre conscience de la menace. Finalement, le petit doigt en l'air dans Les Envahisseurs, pour ridicule qu'il fût, n'était pas une si mauvaise idée, outre le fait qu'il établissait un parallèle avec la haute bourgeoisie à l'heure du thé, ce qui rendait d'emblée le scénario plus pertinent et plus profond qu'en apparence. Et quand bien même le péril d'outre-espace aurait été identifié, comment le contrer si rien en-dehors d'extraordinaires facultés mentales ne permet d'identifier les intrus ? Aucun scientifique ne songerait à proposer une traque des intellectuels de la planète sans craindre aussitôt pour sa peau. Vous seriez obligé de choisir pour personnage principal un dirigeant politique, ce qui réduirait considérablement sa liberté de mouvement ainsi que les chances d'un happy end qui ne serait dû qu'à ses qualités de héros.

DE L'IDÉE À L'INTRIGUE

 Pour vous être précipité, dès le chapitre deux, votre narration est devenue un enfer. C'est normal, vous ne disposiez que d'une intention. Et si vous ne voulez pas l'ajouter aux pavés qui jonchent les allées littéraires, il convient avant tout de l'examiner attentivement afin de la changer en briques utiles pour bâtir votre récit.

 Une idée n'est pas une intrigue, un sujet ne fait pas une histoire, finissez-vous par réaliser. Votre projet, aussi grandiose soit-il, n'est que château de sable s'il ne repose pas sur le socle d'une intrigue. C'est souvent au moment de commencer la narration que devient évidente la confusion entre le récit et une trompeuse intention, qu'elle soit idée, sujet ou thème. Et que l'on en vient à regretter les cinquante feuillets hâtivement noircis, avec de très beaux passages pourtant, mais totalement inappropriés tant qu'on n'a pas de vision globale du chef d'œuvre en travaux. Attention à ne pas jeter les papiers froissés à côté de la poubelle, merci !

 De quoi a-t-on besoin pour raconter une fiction ? C'est un lieu commun de dire qu'il faut des personnages, un au minimum. Peu importe si ce personnage n'est pas humain mais un monstre légendaire, un chihuahua ou un moulin à café ; il pourrait être sous-vêtement du moment qu'il est personnifié : c'est possible à condition d'accepter de perdre une frange non négligeable de son lectorat. L'important est qu'il ait un minimum de rapport avec l'histoire pour qu'il puisse en être le vecteur.

 Comme ce personnage a besoin d'évoluer (oublions le sous-vêtement un instant), il faut l'inscrire dans un lieu, de préférence connu pour éviter les erreurs géographiques ou culturelles ainsi que les pertes de temps à consulter le Guide du routard et les brochures des agences de tourisme. Sauf si les besoins du récit imposent une localisation exotique : se rabattre, sous prétexte de limiter la documentation, sur la Seine Saint-Denis pour raconter la guerre du Pacifique n'est pas approprié. Dans tous les autres cas, le simple bon sens vous demande, si l'action peut se dérouler indifféremment à Paris, Tombouctou ou Vestmannaeyjar – je vous laisse chercher sur une carte, chacun son tour –, de vous en tenir à ceux qui vous sont familiers. Il vaut mieux parler de ce que l'on connaît, ne serait-ce que pour éviter les effets pervers de l'ignorance inconsciente. On peut toujours s'arranger avec les lacunes qu'on sait avoir, qui relèvent de l'ignorance consciente, mais avec les autres, on met les pieds dans le plat sans même songer à retirer les godasses en foulant le tapis du salon.

 Enfin, il est nécessaire d'inscrire le récit dans un temps, pas seulement la saison ou le climat, mais aussi l'époque : une infiltration d'extraterrestres au Moyen-âge sera sensiblement différente de celle se déroulant à notre époque. Le contexte n'est pas à négliger non plus, qu'il s'agisse du milieu dans lequel on évolue l'histoire ou d'événements particuliers ayant défrayé la chronique et laissé leur empreinte dans l'Histoire. Si les envahisseurs s'immiscent de nos jours, aux États-Unis, le choix de la date du 11 septembre 2001, aux yeux du lecteur, ne saurait être fortuit et doit donc être pris en compte dans le récit : il serait en effet étonnant que dans votre récit les journaux fassent la une sur une mystérieuse infiltration extraterrestre, alors que tout le monde a les yeux tournés vers les Twin Towers. Ne changez pas la date pour autant, mais intégrez ce fait à votre récit, par exemple en expliquant que les extraterrestres profitent des soubresauts de l'Histoire, voire les provoquent, pour planifier leurs invasions, comme ce fut le cas déjà le cas en 39-45, lors de la guerre du Vietnam et aussi des conflits irakiens. Vous gagnerez ainsi en épaisseur car votre fiction sera intimement mêlée à l'actualité au lieu de se dérouler "en parallèle". Tous ces points seront abordés ultérieurement, il suffit pour l'instant de recenser les ingrédients de base, idées, personnages, temps, lieux, contextes, avec lesquels mitonner une histoire. Reste à savoir laquelle et comment l'ordonner.

 Il faut déjà se demander ce que l'on veut raconter exactement. Les horreurs de la guerre, c'est un fait, mais encore ? Faut-il adopter le point de vue du brave soldat ou de l'implacable ennemi, d'une victime civile, pourquoi pas d'une épouse ou d'une fiancée, ça ferait joli dans le paysage ? D'ailleurs, doit-on raconter une histoire d'amour, un acte de bravoure ou au contraire un exemple d'héroïsme stupide, un destin brisé ou une rivalité, un fait historique peut-être ? L'éclairage ne sera pas le même selon la perspective choisie, didactique ou moraliste, critique voire polémique, ni suivant les effets recherchés, tragique, épique, mélodramatique, tragi-comique, épigrammatique, mélo-tragico-romantico-fantastique, et pis d'autres aussi, on va pas y passer la nuit.

 Ce qui est sûr, c'est que ces choix sont déterminants pour la suite. L'histoire est le véhicule avec lequel vous embarquerez votre lecteur pour aller admirer votre idée. Autant en concevoir un adapté au sujet, bolide nerveux pour l'écriture d'un thriller, 4x4 pour une randonnée aventureuse, belle décapotable pour une évasion sentimentale, vélo pour un drame romantique s'attardant devant les paysages remarquables, etc. L'envie de départ ne s'est probablement pas incarnée dans une seule idée : il s'y est aussi greffé un sentiment d'épique, de frénésie ou de majesté, une émotion qui donne le rythme approprié à votre récit. Choisissez donc le véhicule convenant à l'effet recherché.

 Pour obtenir une histoire, il est nécessaire de traduire l'idée en termes d'intrigue, et donc de lui fournir un enjeu. Selon le Larousse, une intrigue est, outre un  "enchaînement de faits et d'actions formant la trame d'une [fiction]", une "machination secrète ou déloyale qu'on emploie pour obtenir quelque avantage ou pour nuire à quelqu'un". Si celle-ci est limpide dans l'exemple de l'invasion extraterrestre, qu'il s'agira de dénoncer et de combattre, elle l'est moins dans l'univers imaginaire, qui procède d'un concept, le démarquage de notre monde : ce n'est pour l'instant qu'une coquille vide, car sans enjeu. Concernant le récit avec la guerre pour toile de fond, l'intrigue se dérobe non parce qu'elle manque mais parce qu'il y a profusion : de multiples chemins sont susceptibles de conduire à l'image ayant provoqué le déclic. Il convient donc, pour vous déterminer, de réfléchir à ce qu'elle vous inspire (Ach ! la guerre, grosse malheur ! ou J'me farcirais bien du Boche, moi) pour sélectionner la trame la plus appropriée. Le Larousse donne comme autre définition de l'intrigue une "liaison amoureuse passagère", dont on ne voit pas ce qu'elle apporte de plus au sujet, quoiqu'une perspective sentimentale apporterait un contrepoint intéressant à une succession de scènes bourrées de testostérone et d'explosifs (Si je m'en sors, j'épouse Germaine… non, Gertrude, ou alors Lucie). Il est à noter toutefois, dans cette définition, le terme de liaison, qui rappelle la nécessité de conserver un lien avec l'intention de départ. Si une image ayant servi de déclencheur peut disparaître du récit final, l'intention doit demeurer sous peine de perdre le sens de l'histoire.

 Et c'est bien ce qui pose problème dans l'exemple du récit de fantasy : n'importe quel démarquage de notre univers peut fournir la trame d'une intrigue, la révolution de 1789, la fracture numérique, l'invention du verre à pied ou l'influence des bêtisiers sur la vie politique. Il ne débouchera que sur un récit dont on percevra mal l'intérêt si l'intention qui lui a donné naissance n'est pas perceptible. D'ailleurs, vous connaissez tous des fictions qui ne vous ont inspiré que la perplexité au final, car vous vous demandez pourquoi on les a racontées : leur portée s'est perdue en route, et donc leur légitimité. Si Terry Pratchett fait son miel de tels thèmes pour enrichir son univers si délicieusement farfelu, c'est parce qu'il utilise le Disque-monde à des fins parodiques. C'est pour lui le moyen idéal de se moquer de nos sociétés, un peu à la façon des voyages extraordinaires d'antan, les risques de bûcher et d'embastillement en moins (quoique fatwas et procès représentent aujourd'hui des équivalents de poids) – et à présent que ce fait a été révélé, vous voilà contraints de trouver une autre stratégie de légitimation de votre démarquage pour ne pas passer pour un plagiaire. Mais du moment que vous avez compris que la clé réside dans le moyen de rendre visible l'idée première, en se demandant, une fois de plus, ce qu'elle recouvrait exactement à vos yeux, vous trouverez aisément la solution.

 Vous pourriez par exemple avoir envie de montrer que les univers imaginaires ne sont que des versions fantasmées de la réalité, les événements qui font son histoire sont identiques sur le fond et peuvent connaître la même issue catastrophique, mais ils sont plus riches, plus colorés, et à ce titre plus fascinants que le réel. À l'inverse, vous pouvez vouloir démontrer que, par-delà les siècles et les cultures, rien ne change jamais, les belles gourdes tombent toujours amoureuses du crétin macho, les arrivistes complotent sans vergogne et les salauds prospèrent comme l'acné sur un visage adolescent, ce n'est pas ce monde qu'est pourri, ma pôv' dame, c'est l'humain, tout simplement. Dans les deux cas, mettre en évidence le démarquage et l'idée qui le sous-tend par une scène, une réflexion placée au bon moment, voire une mise en parallèle des deux univers avec un personnage évoluant de l'un à l'autre et se livrant à de pertinentes comparaisons, donne du relief au récit et permet de faire comprendre au lecteur que le recours à une adaptation de la guerre du Pacifique dans un univers imaginaire n'est pas un signe de faillite chez le romancier que vous êtes, mais bien l'illustration d'un projet mûrement réfléchi, qui permettra de vous mettre dans la poche lecteurs et critiques, jusqu'au plus obtus des Académiciens.

 L'option d'un lien entre un univers magique et le monde réel ouvre des perspectives qui n'avaient pas été envisagées à l'origine mais qui ont été inspirées lors de la recherche d'une intrigue au service du projet. Et voilà comment, au fur et à mesure que des choix sont effectués, le récit se dessine.

 De simple esquisse, les traits de l'histoire se renforcent, les personnages se précisent, les détails essentiels se mettent en place. Vous commencez à avoir une vue d'ensemble qui permet de mieux combler les espaces encore vacants. Des objets indispensables sont-ils manquants ? L'arrière-plan a-t-il besoin d'être détaillé ? C'est ce qu'il appartient de définir une fois tracées les grandes lignes.
 Il n'existe pas de règle précise balisant ce processus de création, sinon des principes basés sur la logique et le bon sens. C'est un aller-retour permanent entre les personnages et les étapes du récit, qui ajoute un personnage pour les besoins d'un épisode, qui modifie un rebondissement pour le faire coïncider avec un détail précédemment négligé. Chaque élément de l'intrigue influe sur les autres et il convient de toujours adapter un ajout ou un retrait en fonction de l'ensemble afin, d'une part, lui conserver sa cohérence, d'autre part ne pas perdre de vue le sujet premier, deux points essentiels à la clarté du récit. Le meilleur moyen d'y parvenir est de ne pas se laisser distraire par les détails lors de l'élaboration de l'intrigue. Notez à part les premières répliques et le plan des lieux, ils serviront plus tard. Concentrez-vous sur l'essentiel.

 Par exemple, vous avez réalisé que la surveillance actuelle du ciel rend hautement improbable l'arrivée subreptice d'un engin spatial, alors que le moindre caillou en orbite d'une taille équivalente à un bouffeur de MacDo a été identifié et cartographié depuis des lustres. Pour remédier à ce problème, vous avez hésité entre une invasion depuis un univers parallèle, plus discret que ça, c'est pas possible, t'es mort !, ou bien d'un atterrissage à une époque où les outils d'observation de la voûte céleste étaient moins sophistiqués. Le choix de la seconde guerre mondiale vous a paru excellent, ne serait-ce que parce que le danger omniprésent contraindra les envahisseurs à se trahir, et d'ailleurs n'est-ce pas à la fin de ce conflit qu'on observa une vague de soucoupes volantes sans précédent, preuve s'il en est, que les extraterrestres ont mis un certain temps avant de réaliser que les humains avaient cessé de se taper sur la gueule – en public du moins. Voilà le type de cohérence qu'il convient de régler avant de s'attaquer à l'histoire proprement dite. En cours d'écriture, vous pourriez le regretter. Souvenez-vous de la perte de temps occasionnée quand vous avez été contraint de jeter des chapitres entiers ! Certains ont même tenté de sauver les meubles en ajoutant des séquences qui rectifient le tir, donnant naissance à une usine à gaz à côté de laquelle l'ancien site de Bhopal n'est pas plus sophistiqué qu'une expérience amusante du Petit Chimiste. Pourquoi prendre le risque de voir l'intrigue vous péter à la figure ? On éprouve moins de remords à rayer une ligne de synopsis

UN SQUELETTE DANS LE SYNOPSIS

 Synopsis, le mot est lâché ! Un synopsis donne les grandes lignes de l'intrigue. Il diffère d'un scénario dans la mesure où il donne une vue d'ensemble, sans rien laisser dans l'ombre, alors que le scénario est le montage final, la mise en scène du récit, dans laquelle l'ordre chronologique peut être bouleversé. C'est d'ailleurs ce que le terme sunopsis signifie en grec : vue d'ensemble, alors que scénario dérive du latin scena, la scène, le monde est bien fait quand même ! Qui aurait cru qu'un jour vous mettriez des histoires à plat puis articuleriez les scènes entre elles, alors qu'à l'école, en français, on vous a tant rebattu les oreilles avec le plan (du latin planum) que vous ne rêviez que de virer (de vibrare, balancer) ?

 Le synopsis que vous remettez à votre éditeur est succinct, celui que vous gardez par-devers vous peut être plus ou moins détaillé, tout dépend du type de récit auquel vous vous attaquez. Un roman d'aventure peut laisser subsister des zones d'ombres qu'on dissipera en cours de rédaction : du moment que la direction est bonne, le navire peut caboter le long des golfes clairs ; en revanche un roman à énigme nécessite un synopsis plus précis et fouillé, puisque ce sont de menus détails qui donneront la solution de l'intrigue. Tout doit être réglé comme du papier à musique chaque fois que se niche au cœur de l'intrigue un élément qui ne supporte pas l'à peu près : timing prépondérant ou élément du décor signifiant. Jules Verne n'aurait pu écrire Le Tour du monde en 80 jours s'il n'avait calculé les temps de trajet des différents moyens de locomotion à son époque et selon les contrées parcourues, sans parler des grilles horaires en fonction du jour de la semaine et des saisons. On peut supposer qu'il a maintes fois modifié l'enchaînement des péripéties afin de les faire coïncider avec sa collecte d'indicateurs et d'almanachs, et que ce synopsis lui coûta plus de préparation que pour Les Enfants du Capitaine Grant, qui ne nécessitait que d'estimer par où pourrait passer une expédition de secours qui aurait déchiffré de travers une longitude illisible dans le message d'une bouteille à la mer.

 Élaborer un synopsis consiste à réunir les pièces d'un puzzle complexe, en assemblant ce qui s'impose au regard, en faisant des tas avec les fragments de même couleur, mais sans avoir la certitude de disposer de toutes les pièces ni que des étrangères ne s'y sont pas mêlées. L'auteur se trouve dans la situation d'un paléontologue devant un tas d'os qui ne demande qu'à être assemblé pour révéler un animal fabuleux, peut-être un Sagaliber bestsellerus ou un Magnusprimus Imaginarus, allez savoir ! De même qu'il n'est pas trop difficile de situer une mâchoire ni une vertèbre de petite taille comparée aux plus grosses, certains passages comme la scène d'exposition ou la conclusion sont plus aisés à caler que d'autres épisodes encore incertains. Et il est à peu près certain qu'il vous restera à la fin des fragments avec lesquels jouer aux osselets.

 La seule exigence qui doit vous guider durant ce travail d'assemblage est celui de la cohérence de l'ensemble. Pour surprenants que soient les fossiles du Jurassique ou du Crétacé, ils paraissent équilibrés et chaque partie semble en harmonie avec les autres. S'il manque des os, ils seront reconstitués à partir des données existantes. De même, les blancs de l'intrigue seront comblés de façon à relier sans heurt les éléments du récit déjà connus. L'équilibre est atteint quand les épisodes nécessaires à la compréhension du récit se mêlent harmonieusement aux épisodes servant à la dramatisation et que l'on constate une progression dans les deux cas.

 Vous ne pouvez pas, après avoir sauvagement torturé et frappé le héros, lui faire subir au rebondissement suivant la violence d'une gifle sur la joue. Pas plus qu'après avoir disserté sur la nature de cet autre monde dans lequel il s'est aventuré, si dissemblable au sien et pourtant si identique dans les faits, le héros, cherchant à résoudre le conflit dans son univers en s'inspirant de la situation dans le réel, ne peut prolonger son voyage d'étude sans avoir à surmonter quelques difficultés. Il est facile de deviner pourquoi : dans les deux cas, on a l'impression que le récit s'essouffle. Et avec lui, l'intérêt du lecteur.

 Parfois, on a beau faire, il n'est pas possible de dramatiser certains scènes, ni d'éviter des temps morts, que ce soit pour des raisons de timing (la longue attente commence, le diagnostic prendra un mois, le courrier s'est perdu, non, celui-ci, vous pouvez l'éviter) ou de linéarité (l'expédition, l'enquête, la mission, bref, ce pour quoi vous avez envoyé votre personnage au casse-pipe, se déroule sans heurt jusqu'à sa conclusion, et sans surprise pour le lecteur qui ne cherchera même pas à la connaître). Dans ce cas, il est nécessaire de faire appel à des intrigues secondaires qui combleront ces vides du récit. Attention cependant à ne pas les rendre trop étrangères à l'intrigue première (un compositeur tchèque traque les extraterrestres pour leur faire entendre sa musique) ni à se laisser envahir par elles... La stagiaire qui accompagne le héros ne se distinguera par sa maladresse que lorsque l'action patine et l'intrigue sentimentale qui vient apporter un peu de douceur dans ce monde de brutes ne doit pas passer au premier plan si vous ne comptez pas adresser votre récit aux éditions Harlequin.
 L'ajout d'une intrigue secondaire reste le meilleur moyen pour densifier le récit, à condition toutefois que les temps forts qui la composent ne coïncident pas avec l'action principale mais s'y intercalent. Souvent, il n'est pas nécessaire de la chercher bien loin, elle est contenue, en germe, dans le récit, et sert tout à la fois de mise en valeur de celui-ci, en lui apportant un éclairage inédit, et de "retardant" permettant de compliquer une intrigue trop rapide et convenue. Ainsi, l'histoire se déroulant durant la seconde guerre mondiale et qui met en scène une jeune femme anxieuse de retrouver son amoureux vivant fournirait un bon contrepoint à cette intrigue d'extraterrestres profitant du conflit pour envahir discrètement la planète. Pour corser le tout, vous pourriez également profiter de la porosité entre les deux mondes, l'imaginaire et le réel, pour y planifier une invasion : il suffit de remplacer les extraterrestres par les créatures de ces royaumes, en leur donnant une apparence humaine grâce à la magie appropriée et le tour est joué. Ces envahisseurs se trahiront pareillement devant les humains par leur réaction face à un danger, en révélant inopinément leur vraie nature et l'étendue de leurs pouvoirs. Comme ils fuient en outre un terrible champ de bataille se déroulant dans leur univers, on dispose en bonus d'un motif valable pour justifier cette invasion, laquelle manquait encore dans le récit de science-fiction. Cette fois, il vous sera difficile de trouver encore des blancs dans l'histoire. Il vous faudra même élaguer et jouer de l'ellipse afin de prévenir la surcharge.

 Une fois de plus, il convient de considérer l'ensemble du squelette pour vous assurer qu'il est bien proportionné. Afin de le compléter, vous avez effectué des emprunts à des genres différents. Mais vous n'êtes pas tenus à l'exactitude. Il s'agit d'une fiction après tout, dans le domaine de l'imaginaire qui plus est. Il n'est d'ailleurs pas certain que les paléontologues ne se soient pas trompés en assemblant leurs premiers mégathériums au XIXe siècle, il semble même que ce fémur gauche appartenait en fait au mâle en rut qui avait perdu la lutte pour la conquête de la femelle. On a souvent vu, dans les bestiaires imaginaires ayant émaillé la littérature, des créatures qui en imposent au premier coup d'œil et d'autres trop mal assemblées pour susciter l'adhésion, par exemple avec des griffes trop longues pour être fonctionnelles et qui doivent gêner dans ses mouvements. Peu importe, donc, le réalisme de votre assemblage, du moment qu'il est harmonieux et que les articulations des différentes parties s'agencent correctement. Ce sont elles, surtout, qui feront la différence : les défauts dans l'enchaînement des événements sont plus dommageables qu'un postulat de départ tiré par les cheveux mais bien mené. La cohérence de l'ensemble avant tout !

 Une fois le squelette achevé, il ne reste plus qu'à lui ajouter de la chair, insérer des scènes et des épisodes qui donneront de l'épaisseur à l'histoire, feront vivre les personnages et battre le cœur de vos lecteurs. Votre intrigue est enfin devenue un synopsis digne de ce nom, ce n'était pas bien compliqué après tout.

 Le travail de préparation du récit n'est cependant pas tout à fait achevé. Une fois que le paléontologue sait reconstituer les os d'un squelette, il va les assembler de manière à mettre le fossile en valeur, en choisissant une attitude spectaculaire ou conforme à sa nature. En d'autre termes, il procède à une mise en scène, ce qui est le propre du scénario.

 A présent que l'histoire repose sur des fondations solides et que ses articulations sont connues, il sera plus facile de bouleverser l'ordre chronologique des faits, de mettre des épisodes en avant et d'en dissimuler d'autres afin de rendre le récit le plus intriguant et le plus passionnant possible. Mais il n'est jamais inutile non plus de s'en détourner pendant quelques temps pour s'assurer que son travail est toujours aussi satisfaisant après qu'il ait décanté dans l'esprit. Le synopsis attendra bien un prochain chapitre.

 Entraînez-vous d'ici là. Avec de la pratique, la conception d'un synopsis fonctionnel ne vous posera plus de problème particulier. Un paléontologue expérimenté vous identifie au premier coup d'œil une esquille d'os comme appartenant à l'omoplate d'un Ichtyosaurus dont il aura déterminé le sexe, le poids, l'âge à trois mois près et les troubles digestifs provoqués par ses habitudes alimentaires. En vous amusant avec les titres de romans et les deux lignes de présentation du catalogue d'un éditeur, vous pouvez vous entraîner  à esquisser rapidement des intrigues ; le but n'est pas d'en développer d'originales mais d'acquérir les réflexes qui permettent d'en bâtir de suffisamment solides pour résister à un examen critique. Ne partez pas des résumés des quatrième de couverture, sinon pour les comparer avec vos résultats : à partir du même point de départ, deux auteurs développent des récits bien différents. Et c'est bien aussi ce qui fait le charme de toutes ces histoires.

Claude Ecken

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