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Les conseils de Claude Ecken - Le scénario, une histoire de rythme
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Les conseils de Claude Ecken - Le scénario, une histoire de rythme

Une histoire a beau être originale, forte et belle, elle n'aura aucun lecteur si elle est mal racontée. Il faut donc, sans cesse, soutenir l'attention du public pour éviter qu'il n'aille lire autre chose, le traître !, ou qu'il saute des passages afin d'en finir plus vite. L'auteur est dans la situation d'un pêcheur à la ligne qui, dans un premier temps, attire l'attention du poisson et qui, une fois que celui-ci a mordu à l'appât, le ferre de façon à éviter qu'il ne se détache, ou donne du mou pour l'empêcher de casser la ligne. Ramener sa prise peut parfois prendre du temps. Il faut faire preuve de doigté et anticiper l'état d'esprit du lecteur, en délivrant les informations nécessaires quand la compréhension de l'histoire l'empêche de suivre sereinement les événements, maintenir un intérêt constant avec un suspense savamment dosé et le réveiller avec des scènes d'action avant que son attention ne se relâche. La façon de procéder n'est pas la même selon le type de récit, pas plus que les cannes à pêche et les appâts ne sont identiques selon le milieu, rivière, mer, lac, ni selon le poisson. Or, le lecteur est une espèce frétillante difficile à ferrer, qui n'a rien à voir avec la pêche aux moules, même aux respectables éditions du Rocher.

 Autant cohérence et unité du récit étaient nécessaires à l'élaboration du synopsis, autant sens du rythme et de l'exposition sont à présent indispensables pour écrire le scénario. Éveiller la curiosité du lecteur, capter son l'intérêt et maintenir l'attention représentent l'enjeu primordial en ces temps de sollicitations multiples et permanentes. Jadis, quand la seule distraction possible était la troupe de théâtre sur la place du marché la semaine de l'année où il pleuvait le moins, l'auteur pouvait se permettre de prendre ses aises sur quelques chapitres, sans nécessairement perdre ses lecteurs ; aujourd'hui, il suffit de voir comment les jeunes générations jouent de la zapette devant les offres pléthoriques du câble pour comprendre l'ampleur de la tâche qui l'attend s'il espère récupérer quelques miettes de temps de ces cerveaux de moins en moins disponibles. C'est le plus impitoyable des Titans qu'il se prépare à affronter, avec les armes dérisoires que sont les mots sur du papier : Chronos en personne !
 
 Il importe donc de ne pas lambiner quand l'attention risque à tout instant d'être détournée par un requin des médias. Certes, l'auteur éprouve pour son histoire un amour immodéré qui le pousse à mettre en valeur la moindre scène plus mouvementée qu'une ride à la surface de l'eau, à la caresser de la phrase comme un garagiste passant la peau de chamois sur la carrosserie de sa voiture de collection, à la circonscrire avec un luxe de détails qui fait paraître Autant en emporte le vent pour un condensé du Reader digest, à multiplier les éclairages directs ou réfringents, rasants ou encore… OK, vous avez compris, on passe ! Déjà qu'on se lasse des scènes que l'auteur a trouvé tellement géniales qu'il a multiplié les éclairages et les approches, celles qui se font les comptables minutieux de scènes sans intérêt se révèlent lénifiantes. Même dans les récits du type "24 heures dans la vie de…", les trivialités de la vie quotidienne sont épargnées au lecteur, surtout celles qui nécessitent de s'isoler, sauf bien entendu si le passage aux toilettes est nécessaire à l'intrigue, puisque c'est à ce moment que sonne à la porte la petite amie attendue avec tant d'impatience ou que s'introduit le méchant par la fenêtre. En un mot comme en moins de dix : ne racontez que ce qui est utile au récit.

 En général, raconter une histoire consiste à présenter dans l'ordre les éléments qui la composent. On a rarement fait mieux pour la compréhension des événements. Pourtant, il est des récits auxquels on reproche la trop grande linéarité. C'est à n'y rien comprendre, d'autant plus qu'on ne porte pas le même jugement sur quantité d'ouvrages qui déroulent leur intrigue dans un ordre chronologique strict. Souvent, la linéarité tant décriée est due à un récit détaillé qui ne fait l'impasse sur rien, pas même sur ce qui va de soi ; ce n'est pas la succession normale des événements qui pose problème, mais le fait qu'ils sont attendus au point de ne plus receler aucune surprise ni aucune montée de la tension dramatique : tout élément un tant soit peu intriguant ou sortant de l'ordinaire se trouve écrasé dans une masse d'informations mineures, et se trouve encore banalisé par le fait qu'ils sont commentés à longueur de pages par les protagonistes. Il y a de quoi décourager le plus réactif des encéphalogrammes du moindre pic d'activité.

 Il importe donc de ne sélectionner que les moments les plus signifiants et d'élaguer ce qui paraît secondaire à l'intrigue. Une histoire, par définition, met bout à bout des événements qui font sens et forment un tout, mais elle peut aussi se boursoufler de rebondissements redondants. Par exemple, tout le monde sait qu'un épisode récurrent sera décrit de façon toujours plus brève, jusqu'à ne plus être signalé que si une variation intervient, c'est le principe du running gag ; procéder autrement serait une faute de goût. Si donc vous décidez de détailler Les 5000 doigts du Docteur T, vous prendriez une fameuse claque ; rendre compte des 11 000 verges à l'unité reviendrait aussi à donner le bâton pour vous faire battre. Raconter Les 1001 et une nuits entre dans le domaine du possible, car la trame même du récit suppose que Shéhérazade raconte autant d'histoires que de nuits pour assurer sa survie. Ne retenir, dans une saga d'importance, que les sept piliers balisant le récit est le commencement de la sagesse. On peut, à partir de là, établir des hiérarchies entre les événements et dégager une structure qui donne une idée de la façon de construire le scénario.
 
LE RYTHME DANS L'APPÂT
 
 Les épisodes qu'il convient de sélectionner sont de deux ordres :
 - ceux nécessaires à la compréhension de l'intrigue,
 - ceux qui dramatisent le récit.
 L'idéal est de disposer des deux à la fois, afin de ne pas être ennuyeux dans ses explications, ni inintelligible dans les scènes d'action. C'est toujours plus confortable d'avoir les paroles et la musique en même temps.
 En général, les scènes d'ouverture, qui posent le sujet du récit, passent davantage par des conversations que par des combats épiques, ce qui peut susciter une légitime impatience si elles s'éternisent.

 L'intrigue est longue à se mettre en place ? Le début du récit est un peu mou ? Dans ce cas, il suffit d'intervertir l'ordre des événements. Commencer une histoire par le milieu fait un bon début. Entamer l'histoire in media res, en pleine intrigue, est une solution utilisée depuis l'Antiquité, et ce n'est pas parce qu'Homère l'utilisait déjà qu'il faudrait cesser de l'employer, au contraire puisqu'elle a fait la preuve de son excellence jusqu'à présent. D'ailleurs, on n'a pas fini non plus de plagier Homère.

 Jadis, l'accroche consistait davantage dans une phrase qu'une action : l'intrigue était en cours mais la scène d'ouverture se contentait de la rappeler, ce qui n'avait rien de particulièrement excitant. Elle permettait, comme au théâtre, de résumer les événements passés avant d'en reprendre le cours. De nos jours, surtout dans un récit populaire, c'est une scène d'action mouvementée qui constitue une bonne accroche dans le prologue. Évidemment, à la vue d'un passage très dynamique, le lecteur comprend également qu'il va devoir se farcir tout de suite après des scènes moins exaltantes, à savoir les flashes back expliquant par quels concours de circonstances on en est arrivé là. Ça doit une loi de conservation de l'énergie ou un principe de vases communicants, pour compenser les efforts du lecteur. Plus l'intro est épique, plus ce qui suit sera lent ou verbeux, car on aura toujours pris soin de donner au lecteur l'élan nécessaire pour lui permettre de franchir la difficile pente qui suit. Parfois, le roman entier est un flash back et s'achève comme il a commencé, dans une circularité qui fait d'autant plus un effet bœuf qu'on a perdu de vue le début de l'histoire.

 La scène d'introduction n'a pas à être forcément spectaculaire ; il lui suffit d'être suffisamment intrigante pour donner envie d'y aller voir de plus près. Il est même possible de commencer par présenter les conséquences lointaines d'une succession d'événements, conséquences dont il ne sera plus question par la suite : le fameux avant-propos de Demain, les chiens fait figure de su-sucre capable de calmer le plus impatients des lecteurs : en se demandant si l'homme a réellement existé et quelle part de réalité recouvre les récits du recueil, il génère un horizon d'attente suffisamment fort pour développer tranquillement ensuite les premières histoires sans lien direct avec l'espèce canine, pas même une discrète évocation.

 Plus artificielle est la scène d'introduction qui ne sert que de présentation du personnage. Elle a l'avantage d'être encore plus dynamique que les autres, car on se fout de ce qui s'y passe comme de la façon de justifier l'action, puisqu'elle ne sert qu'à mettre en valeur les indéniables qualités de héros du héros. Elle est aussi vue comme une vitrine du récit, qui donne le ton et met l'eau à la bouche du lecteur. Un exemple cinématographique, parangon du genre, serait Les Aventuriers de l'Arche perdue. Mais, par sa pauvreté en informations, force est de reconnaître que ce type d'introduction, quand elle devient stéréotypée, a la vulgarité d'une publicité et s'utilise essentiellement dans les séries B.

 On pourrait bien entendu être tenté d'enchaîner les scènes d'action pour éviter la dépression post coïtale du calme plat qui suit, mais ce refus des temps morts intercalaires nécessite aussi une grande dextérité et une longue pratique. En effet, les scènes d'action pure finissent par lasser quand elles ne comportent aucun élément permettant de progresser dans l'intrigue. On se débrouille donc pour dramatiser les passages les plus plats afin de maintenir éveillé l'intérêt du lecteur, voire le lecteur tout court pour les exposés de niveau universitaire. Comme lors de l'élaboration d'une bande son, où la musique ne doit pas parasiter le bruitage, ni le bruitage écraser le dialogue, le mixage doit être équilibré. Mieux vaut ne pas trop pousser la bande son, comme ces films qui dramatisent le moindre haussement de sourcil, au risque de rendre la scène artificielle. Celle de deux amis se coupant tour à tour la parole pour avoir le privilège d'expliquer la situation à un tiers ne doit pas déboucher sur une rixe. Même atténuée, la dispute, si elle est mal gérée, peut modifier les relations entre les personnages, qui provoqueront par ricochet des modifications sur le synopsis. C'est par exemple la raison pour laquelle Franquin a remplacé Fantasio par Prunelle comme supérieur hiérarchique de Gaston Lagaffe : à force de pester à chaque gaffe du héros-sans-emploi, il devenait trop sérieux et bougon pour continuer à être un bon faire-valoir dans les aventures de Spirou.

 À la limite, l'emploi d'un cliché est préférable à un effet raté. Pas un cliché trop évident tout de même : le mourant qui demande à son pote d'approcher pour lui murmurer une révélation fracassante a désormais été relégué de la catégorie ficelle grossière au rang de câble rigide – mais trouve encore une utilisation dans les parodies. La dispute où la personne en colère profère des propos qui permettent au protagoniste de comprendre le fin mot de l'affaire est un classique qui fonctionne encore, s'il est bien fait. Les clichés sont des facilités dont l'usage n'est pas formellement prohibé mais qui peuvent devenir des marques de paresse voire d'insulte à l'intelligence, si l'auteur ne prend pas la peine de les masquer, ni d'en imaginer des variantes. C'est manquer de respect au lecteur que de considérer qu'il n'est pas nécessaire de consentir à ces aménagements pour se conserver un public suffisant. Mais tout le monde est libre d'agir à sa guise.
 
LA POSITION DES PÔLES
 
 Le plus souvent, une intrigue oscille entre ces deux pôles, les scènes nécessaires à la compréhension de l'intrigue et les scènes dramatiques qui la font progresser. Resserrer le passage de l'une à l'autre permet d'éviter les temps morts, l'idéal à atteindre étant que l'une embraye directement sur la suivante, en ne donnant jamais au lecteur l'occasion d'être distrait dans sa lecture.

 Sur le papier, l'exercice paraît facile, mais la pratique réserve quelques surprises : on a déjà évoqué les inévitables problèmes de timing qui nécessitent de laisser filer du temps et qu'on ne peut pas toujours évacuer en passant directement à la prochaine scène intéressante. Si on veut que le héros, acharné à retrouver des personnes dans une ville de moyenne importance, les interpelle à la faveur d'un événement situé dans trois mois, on ne peut se contenter de déclarer que ses recherches furent vaines durant un trimestre, à moins de le faire passer pour un incapable majeur. Il faudra donc le clouer au lit avec la grippe, l'expédier à l'hosto parce qu'un chauffard a grillé un feu, bref le retarder sous n'importe quel prétexte sans impact notable sur le reste du scénario : un tsunami ou une tornade, surtout au fin fond de la Beauce, entraînerait trop d'ajustements narratifs. Une bonne méthode est de profiter de ce laps de temps pour progresser dans l'intrigue secondaire, comme par exemple faire effectuer au héros des démarches pour rétablir une ligne de téléphone injustement coupée : selon l'opérateur choisi, l'auteur dispose même d'un délai supérieur à ses besoins.

 Un autre problème apparaît quand le rapport entre les scènes d'action et d'explication se partagent de façon trop équitable et routinière. Le mouvement de balancier ainsi généré provoque des effets similaires au pendule de l'hypnotiseur. Le lecteur qu'on veut pêcher s'endort, bercé par le roulis. Destination : vide, de Franck Herbert, était guetté par cette monotonie du rythme, au vu de sa structure romanesque offrant peu d'échappatoires : pour créer une conscience artificielle, les protagonistes s'interrogent sur la nature de la conscience avant de chercher comment transférer techniquement leurs conclusions sur l'ordinateur de leur vaisseau spatial. Le bricolage effectué, ils constatent leur échec et reprennent leurs discussions. On comprend les réticences de l'ordinateur à s'éveiller à la conscience. Pour atténuer la répétitive alternance de discussions philosophiques et techniques, Herbert imagine plusieurs alertes provoquées par les conséquences des modifications faites sur l'ordinateur et développe une intrigue parallèle tirée du prétexte à cette entreprise, à savoir le piège tendu aux protagonistes bien forcés d'agir comme ils le font, lesquels en prennent progressivement la mesure, ce qui permet de brouiller le caractère trop pendulaire du récit.

À l'inverse, Stephen King le met en évidence dans Ça. Chaque épisode dans le présent révèle un détail qui déclenche le rappel des souvenirs avec son lot de scènes dramatiques éclairant partiellement l'intrigue principale. Mais le récit de King est beaucoup plus long, même plus long qu'un Stephen King ; la pulsante brièveté d'un tempo de boîte de nuit ne lui sied pas. Au contraire, un roman de cette dimension a besoin d'une structure solide pour tenir sur ses bases, laquelle dessine les lignes de force suggérant le mouvement et donnant une vision d'ensemble. L'ampleur de ce formidable balancier temporel acquiert du coup la lenteur et la majesté qui conviennent au roman.

 Ce montage en alternance n'est pas toujours aisé à réussir : il arrive qu'un pan de l'intrigue progresse plus vite que sa pendante et que l'auteur remplisse le chapitre où il ne se passe rien par des considérations verbeuses ou des rebondissements où la seule chose qui saute vraiment aux yeux du lecteur est leur caractère artificiel et factice. Ici encore, l'intrigue secondaire peut se révéler d'un grand secours. Cependant, si vous avez trop souvent recours à la même pour équilibrer les parties du scénario, n'hésitez pas à la remonter au premier plan car visiblement, c'est elle qui mérite d'être l'intrigue principale. On constate souvent, dans les romans de débutants, un fil narratif qui s'effiloche et qui s'appuie en milieu de partie sur un élément secondaire de l'intrigue pour en faire le sujet du roman. Le résultat n'est pas convaincant, on s'en doute, et il vaut mieux, dans ce cas, réécrire le scénario en conséquence.
 
ALTER LEGO
 
 La structure du récit dégagée lors de l'élaboration du synopsis détermine bien évidemment la structure du scénario. Cette fois, le squelette précédemment assemblé est mis en scène, à l'image de ces animaux empaillés figés dans une posture dynamique : les plus petits ont les attitudes les plus vives, les plus gros les plus imposantes. Il ne viendrait à l'idée d'aucun taxidermiste de placer un pachyderme au galop ou debout sur ses pattes arrière, trifouillant une oreille avec sa trompe. Peut-être les arrière-boutiques des taxidermistes sont-elles pleines d'empaillages ratés, une belette roulée en boule, un chien déféquant et un alligator relevant la queue comme un scorpion ? Pourquoi n'y aurait-il que l'apprenti boucher de supermarché qui dissimulerait au fond des barquettes de promo des côtes de porc découpées au pétard et panées d'esquilles d'os, ou l'écrivain qui tapisserait le fond de ses tiroirs d'œuvres de jeunesse impubliables ?… Ce dernier n'a pas compris du jour au lendemain que la structure romanesque qu'il a choisie induit un rythme qui lui est propre mais qui doit aussi correspondre au sujet, ni que le rythme influe pareillement sur la structure.

 Les récits brefs disposent donc de constructions plus audacieuses, plus dynamiques, et les complexes ou les plus longs de rythmes plus marqués. Dans les scénarios où deux intrigues parallèles se développent simultanément ou à travers le temps pour se fondre en une seule en fin de récit ou bien s'éclairer mutuellement, le montage en alternance reste un classique quasi incontournable. Rares sont les cas où cette alternance est délaissée au profit de blocs imposants délivrant deux points de vue opposés de la même histoire : il faut l'art de John Fowles pour écrire L'obsédé, journaux intimes du ravisseur puis de sa victime, qui jettent sur la séquestration un regard contradictoire évitant les redites, ou celui de Faulkner pour raconter dans Le Bruit et la fureur la même journée du point de vue de trois protagonistes avant de reprendre dans une quatrième partie la narration à la troisième personne et de la mener à son terme. Vendre plusieurs fois la même histoire dans le même ouvrage est un tour de force réservé aux seuls virtuoses.

 Dans les romans de plus grande envergure, qui se distinguent par une multiplicité de lieux et de protagonistes, les scènes rendent compte de la diversité des intrigues sans perdre de vue la ligne directrice du récit. Un roman polyphonique comme Dune focalise son attention sur Paul d'Atréides sans cesser de raconter les autres pans de l'histoire, ce qui suppose une succession de chapitres plus rapide que dans un récit pourvu d'un point de vue unique ou dédoublé.

 Pour rendre compte de certains événements se déroulant sur une grande échelle, la multiplicité des anecdotes peut se fragmenter jusqu'au puzzle, comme chez Steinbeck, mais un puzzle géant proche de la mosaïque. World War Z, le récent roman de Max Brooks, présente une collection d'interviews qui sont autant de points de vue sur la guerre contre les zombies, narrées par des militaires, des victimes ou de simples témoins. Le rythme, forcément, gagne en nervosité avec des chapitres courts, de moins d'une page parfois. Le risque était grand de voir l'histoire s'effacer au profit de vignettes sans lien entre elles si l'auteur n'avait composé avec elles un tableau pointilliste en regroupant dans plusieurs parties les principales phases du conflit, depuis les origines jusqu'à la multiplication des zombies à travers le monde, les poches de résistance et la reconquête. Ce sont elles qui constituent la colonne vertébrale du récit et lui donnent son équilibre. Le travail s'apparente ici à un jeu de Lego : les éléments narratifs dépourvus de liens directs entre eux s'apparentent à des briques qu'on peut disposer à sa guise, du moment qu'on respecte les règles générales d'architecture.
 
 Il se peut que plusieurs tentatives soient nécessaires pour trouver le bon rythme, voire que le scénario nécessite des retouches en cours de rédaction. Afin de prévenir tout découragement, surtout si le roman projeté est une saga à côté de laquelle La Roue du Temps de Robert Jordan fait office de short story, une méthode éprouvée consiste à segmenter l'action en autant d'éléments distincts. Numérotez-les ou disposez-les sur des fiches aisément manipulables, peu importe, du moment que chacune se réduit à une action insécable ! Selon les choix que vous serez amené à faire lors de l'élaboration du scénario, chaque élément de l'intrigue trouvera ainsi rapidement sa place. C'est une situation qui s'assimile à celle du monteur de film : parmi l'ensemble de rushes dont il dispose, il doit sélectionner ceux qui lui permettront de raconter la meilleure histoire possible. Or, on a souvent affirmé que la position la plus importante dans un long métrage est celle du monteur : c'est sa sélection et son timing qui feront la différence, s'il sait repérer et éliminer les "ventres mous", les longueurs si dommageables à une histoire, quelle qu'elle soit.

 En procédant par segments, vous serez également assuré de ne pas oublier un épisode important lors de ces remaniements. C'est le genre d'omission qui vous flingue une intrigue d'entrée de jeu. Et vous n'aurez plus ensuite qu'à ajouter quelques lignes restaurant les liens de causalité qui pourraient avoir été dérangés pour disposer d'un scénario prêt à être rédigé.

 Vous serez en tout cas assurés de disposer d'une bonne vue d'ensemble sur l'histoire, le genre de recul stratégique qui assure la victoire, comme le confirmera n'importe quel militaire, on ne les appelle pas pour rien des vues générales. C'est un spectacle réconfortant qui donne envie de s'atteler à sa rédaction.

Claude Ecken

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