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Les conseils de Claude Ecken - Raccourcir ses descriptions
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Les conseils de Claude Ecken - Raccourcir ses descriptions

Keskiprentandtan ? À considérer l'épaisseur des pavés qui paraissent chaque mois, propre à pousser les critiques à la démission, le défaut apparemment le plus répandu dans la fiction actuelle, c'est la longueur. Stephen King est largement battu par nombre d'auteurs adeptes de la gonflette des pages et nettement moins intéressants que lui. Pourtant, il semblait entendu depuis le cursus scolaire qu'on ne supportait plus les tunnels que sont les descriptions trop longues. Il est difficile de croire que les ouvrages qui ne servent plus, depuis longtemps à caler une armoire, à moins de lui scier un pied, mais dont l'empilement, en s'inspirant de la caverne de Gaston Lagaffe, permet d'en réaliser d'assez commodes, n'enchaînent que des scènes d'action dégraissées de descriptions superflues.

 Mais il est difficile pour le lecteur de repérer d'emblée ce qui relève de l'essentiel et ce qui ressortit du superflu. À la description spatiale et à celle visuelle nécessaires à l'intrigue, s'ajoute une description d'ambiance, plus dynamique, propre à insuffler une émotion, mais aussi des notations, des points de détails qui seront utiles par la suite.
 
C'est souvent le cas dans le polar d'investigation, où le coupable est identifié à l'aide d'un élément, infime, qui doit passer inaperçu, mais qui doit être dit pour que le lecteur puisse apprécier la pertinence de la déduction, voire la précéder. Le détail qui tue que ça déchire la tête ne peut cependant être inséré discrètement que si les descriptions dans le récit sont suffisamment abondantes ou précises. On imagine mal Maigret interroger le personnel d'une maison où un meurtre a été commis avec un objet tranchant en silhouettant les suspects, en esquissant la scène du crime, à l'exception du seul détail qui aura son importance par la suite. S'il a face à lui une femme de chambre timide, souriante et prévenante, un garde du corps élancé, distant et méprisant, un garde-chasse, bourru et méfiant, enfin un cuisinier, corpulent, massif, aux yeux injectés de sang et aux sourcils rapprochés éternellement froncés, avec la lippe tombante, une blouse blanche tachée d'humeurs animales et de traces de doigts rougis essuyés à hauteur de la bedaine, il y a fort à parier que ce déséquilibre attirera l'attention du lecteur. Il comprendrait d'emblée que la femme de chambre est la coupable, car la seule suspecte à ne pas manipuler d'objet contondant lors de son service, ce qui la met trop facilement hors de cause. Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire les grimaces. Hein ?… Non, rien. D'ailleurs, il y a prescription.
 Il se peut donc qu'une description un rien fouillée soit introduite pour masquer un point essentiel. Son but est de faire diversion. Edgar Poe, qui disserte souvent sur le souci du détail dans les enquêtes du premier détective de la littérature, le chevalier Dupin, porte la minutie au rang d'un art.

 « Toutefois, j'ai remarqué que les volets du quatrième étage étaient du genre particulier que les menuisiers parisiens appellent ferrades, genre de volets fort peu usité aujourd'hui, mais qu'on rencontre fréquemment dans de vieilles maisons de Lyon et de Bordeaux. Ils sont faits comme une porte ordinaire (porte simple, et non pas à double battant), à l'exception que la partie inférieure est façonnée à jour et treillissée, ce qui donne aux mains une excellente prise.
 « Dans le cas en question, ces volets sont larges de trois bons pieds et demi. Quand nous les avons examinés du derrière de la maison, ils étaient tous les deux ouverts à moitié, c'est-à-dire qu'ils faisaient angle droit avec le mur. Il est présumable que la police a examiné comme moi les derrières du bâtiment ; mais, en regardant ces ferrades dans le sens de leur largeur (comme elle les a vues inévitablement), elle n'a sans doute pas pris garde à cette largeur même, ou du moins elle n'y a pas attaché l'im­portance nécessaire. En somme, les agents, quand il a été démontré pour eux que la fuite n'avait pu s'effectuer de ce côté, ne leur ont appliqué qu'un examen succinct.
 « Toutefois, il était évident pour moi que le volet appartenant à la fenêtre située au chevet du lit, si on le supposait rabattu contre le mur, se trouverait à deux pieds de la chaîne du para­tonnerre. Il était clair aussi que, par l'effort d'une énergie et d'un courage insolites, on pouvait, à l'aide de la chaîne, avoir opéré une invasion par la fenêtre. Arrivé à cette distance de deux pieds et demi (je suppose maintenant le volet complètement ouvert), un voleur aurait pu trouver dans le treillage une prise solide. Il aurait pu dès lors, en lâchant la chaîne, en assurant bien ses pieds contre le mur et en s'élançant vivement, tomber dans la chambre, et attirer violemment le volet avec lui de manière à le fermer, — en supposant, toutefois, la fenêtre ouverte en ce moment-là.
»

Dans cet extrait du Double Assassinat dans la rue Morgue, Poe ne s'étend sur ces volets que pour faire prendre conscience, non pas de la faisabilité d'une intrusion par ce passage que l'évidence qui doit en découler, à savoir l'agilité et la force que cela suppose, qui guide insensiblement le lecteur vers la solution.

 Dans La Lettre volée, la discussion passe par l'énumération minutieuse, pour ne pas dire fastidieuse si le métier de l'écrivain ne venait l'égayer avec quelques tours, des cachettes possibles, jusque sous les tapis et les parquets, car ce n'est qu'alors seulement que Dupin peut en déduire que la lettre n'est jamais sortie du cabinet – et que l'auteur s'assure qu'aucun petit con ne viendra jouer les malins en révélant avoir trouvé une autre cachette potentielle qui n'aurait pas été examinée. En général, les auteurs de romans policiers appartiennent à la seule catégorie d'écrivains qui n'aiment pas recevoir de courrier de la part de leurs lecteurs. Ils s'en méfient comme de la peste. Surtout des admirateurs qui se font une joie de relever les menues erreurs logiques d'une intrigue savamment montée. Dans le roman à énigme, la description porte l'histoire. Si celle-ci est loupée, c'est tout le récit qui s'écroule !

 On peut déjà se féliciter d'une chose : c'est que dans les enquêtes, les descriptions ne sont jamais jugées fastidieuses par le lecteur. Il sait qu'elles sont utiles, et même que l'on corse l'affaire en trouvant la solution dans des détails infimes. C'est aussi une leçon à méditer, puisque cela démontre en creux que ce sont bien les descriptions superflues qui sont redoutées. Reste à savoir quelles elles sont. La tâche est aussi ardue que celle du bistrotier censé savoir estimer à quel moment le consommateur est en état d'ébriété et ne peut plus être servi. Les frontières sont floues, tant s'y mêlent d'autres considérations comme la personnalité d'un style, la brillance d'une écriture, la marque de fabrique d'un auteur, défauts compris, et… la soif du lecteur. Arriver à séparer le bon grain de l'ivraie est l'objet de ce chapitre. Le tri, même de façon grossière, reste salutaire, sachant que le lecteur est prompt à relever les délits d'ivraie et que les débutants dissimulent moins bien leurs excès.
 
LA ROUTE VERS LE SUCCINCT

 On peut par exemple considérer que cette phrase de Jules Verne tirée de De La Terre à la Lune constitue un bon début de chapitre, sans une once de graisse :
 « Le 5 octobre, à huit heures du soir, une foule compacte se pressait dans les salons du Gun-Club, 21, Union-square. »
 Malheureusement, il ne faut pas moins de cinq pages à Jules pour décrire le Gun Club avant que le président ne prenne la parole. Après avoir peint le type de personnes se déplaçant à la réunion, puis le grand hall jusqu'aux lustres, les collections d'arme à feu exposées dans les vitrines, l'auteur détaille les membres importants de l'association, leur emplacement sur la scène ainsi que les tables et banquettes où ils officieront. Enfin est présenté Barbicane, physique, caractère et courte biographie, puis sa position actuelle dans la salle, « immobile dans son fauteuil, muet, absorbé, le regard en dedans, abrité sous son chapeau à haute forme, cylindre de soie noire qui semble vissé sur les crânes américains ». Suivent quelques considérations sur ses proches, avant que le son de l'horloge ne donne le signal du début de la discussion.

 La description de Verne n'est pas inutile dans la mesure où elle se veut humoristique, tout, dans cette salle, des colonnades aux candélabres en passant par les sièges étant en forme d'arme à feu. Cette partie, à l'évidence, est plus digeste que celle dévolue au président. En chercher la raison permet de dégager des principes : les canons empilés en colonnades et les revolvers groupés en lustres ont un sens, celui de dégager le ridicule des lieux, qu'on qualifierait aujourd'hui de kitch. La description ne se contente pas de noter des détails au hasard et de les accumuler jusqu'à constituer un stock conséquent.
 
ACCUMULATION ET AMPLIFICATION

 Voilà donc le défaut premier des longues descriptions, l'accumulation, qui entasse inutilement les détails, devient mono­tone et ennuie. La nécessité de nommer les objets et les éléments du paysage avec une précision suffisante ne signifie pas tout nommer, seulement ce qui est pertinent pour l'intrigue. Baudelaire, dans L'Art poétique, énumérait déjà les méfaits d'une « émeute de détails, qui tous demandent justice avec la furie d’une foule amoureuse d’égalité absolue. Toute justice se trouve forcément violée ; toute harmonie détruite, sacrifiée ; mainte trivialité devient énorme ; mainte petitesse, usurpatrice. Plus l’artiste se penche avec impartialité vers le détail, plus l’anarchie augmente. » La force réside dans la précision et la vitesse d'impact, pas dans le mouvement ample.

 On connaît surtout le dernier vers de Boileau exposant dans L'Art poétique le défaut d'accumulation, mais il n'est pas inutile de relire le passage entier tant il reste parlant :
 « Un auteur quelquefois, trop plein de son objet,
 Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
 S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face ;
 Il me promène après de terrasse en terrasse ;
 Ici s'offre un perron ; là règne un corridor ; 
 Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
 Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;
 « Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. »
 Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
 Et je me sauve à peine au travers du jardin.
 Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
 Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
 Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant ;
 L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
 Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
»
 
 L'amplification est un autre défaut qui, loin de juxtaposer de multiples détails, s'attarde sur ceux qu'elle trouve pertinents. L'amplification est moins neutre que l'accumulation puisque sa longueur ne procède pas d'une précision photographique, mais stylistique : elle multiplie les approches de son objet, varie les éclairages, et c'est l'écriture, non la quantité d'objets qui lui permet de s'attarder. C'est le photographe de charme opposé au reporter sur le terrain, tous deux étant de fameux mitrailleurs avec leur objectif. Comme l'écrit Antoine Albalat dans La Formation du style par l'assimilation des auteurs : « Dans l'accumulation, qu'on me permette le mot, on compose son plat avec une énorme quantité de petites choses. Dans l'amplification, c'est la sauce qu'on allonge. »
 
Il n'est cependant pas sûr que l'amplification soit toujours une intention de délayage. L'auteur est tellement fasciné par la scène qu'il décrit, séduit par son idée ou sa vision, qu'une pléiade d'adjectifs cerne difficilement les beautés qu'il lui appartient de faire lustrer et qu'elles lui semblent devoir mériter plus qu'un bref paragraphe de trois cents lignes, qu'il conviendrait de lui rajouter une quantité non négligeable de comparatifs, que dis-je !, que me limité-je !, des métaphores par centaines seraient un euphémisme, c'est un tombereau d'images qu'il faut déverser, des allégories qui flirtent avec l'infini, hé, coco, rajoute moi un peu d'emphase par ici, et puis je veux plus d'oxymorons aussi, et puis je veux plus d'anaphores, fais gaffe à l'hyperbole, bordel, elle masque les synonymes, et la catachrèse, où est la catachrèse ?

 Comme le martèle Gérard Klein dans ses conseils À L'auteur Inconnu sur le site Quarante-deux (c'est le numéro quatre et ça se trouve là : http://www.quarante-deux.org/index.html, grâces leur soient à tous rendues), « il y a dans presque tout écrivain quelque chose d'un orateur silencieux et donc, une approche un peu répétitive, spiralée, de l'expression idéale, et que chaque variation du thème secrètement ressassé lui apporte quelque chose. »

C'est le cauchemar de la tartine beurrée ! Raconté par l'indicible Lovecraft, on entend les horribles glissements chuintants des molles masses grasses s'étalant sur la tranche ; narré par le fuligineux Brussolo, on eût dit que les crevasses de la surface lunaire du pain se remplissaient d'une extraterrestre défécation à la nauséeuse couleur jaune ; écrit par un débutant, c'est juste chiant et c'est l'auteur qui s'étale. Revenons-en à Gérard Klein : « Mais il y a un moment où il faut choisir et rien n'égale l'efficacité d'une grande économie de moyens. Il faut être un écrivain très remarquable et très expérimenté pour savoir faire long, pour éventuellement tirer à la ligne sans ennuyer. »

C'est une remarque très judicieuse qu'on peut illustrer avec San-Antonio, qui, dans l'art de l'amplification, est passé maître sans jamais lasser, et mérite bien, en période de canicule, d'être extrait de Remouille-moi la compresse :
 « Et à présent c'est fini, vous tous et moi. J'en ai marre, on n'en parle plus qu'au passé. D'un instant à l'autre vous m'êtes devenus vachement lointains, improbables j'ajouterai ; vous ne me subsistez qu'à l'état d'auréoles, comme le foutre sur un drap. Cartes de France, de Bulgarie, des Philippines ou du Ruanda. Jusqu'à vos sales odeurs que je perçois plus, c'est vous dire ! Elles qui m'incommodaient plus fort qu'un égout en été, qu'une fosse à merde bouchée, que des menstrues négligées, que des œufs punais, que la cuisine à Jacques Borel et qu'une charogne décomposée. Mon nez vous a radiés. A force de ne plus pouvoir vous sentir, je ne vous sens plus. Il y a encore des miracles en ce monde. La multiplication des pains dans la gueule : banco ! J'ai enfin résurrecté. Lave-toi et mâche ! Je vais. Là où je vais, vous ne pouvez plus me suivre. Bye-bye ! Vous restez sur la rive, sur la terre, tandis que moi, visez un peu ! Vous le matez bien, cet envol ? Y a rien qui gêne, qui vous obstrue ? Vous assistez au grand lâcher de San-Antonio, mesconnes, mescons. Départ immédiat. Il vous dit merde un dernier coup, vous adresse un ultime bras d'honneur. Attention... Prêts? Go ! »
 Étendre le propos sans affaiblir la pensée n'est pas donné à tout le monde.
 
JUXTAPOSITIONS ET DIGRESSIONS

 À la suite de l'accumulation hyperréaliste, on notera cette anarchie galopante qui juxtapose des descriptions au hasard, de façon hétéroclite, qui se veut tableau, mais n'est que fatras, l'auteur ne sachant quoi noter au juste, devinant seulement qu'une pause descriptive serait appropriée à cet endroit. Le ciel lourd, le coq qui chante, un passant au loin, le ton pastel de ce champ, la cloche qui tinte, le grain de la peau, le chant d'un grillon, la fleur à la boutonnière, la page écornée du cahier sous le bras : on se sent promené au gré de l'inspiration qui note comme pittoresque ce qui vient à l'esprit, comme dans cette phrase où la description de la pièce se perd en cours de route :
 « De dimensions moyennes, la pièce était bien éclairée par une fenêtre donnant sur une maison de la rue Montbrun, maison qui n'avait, elle aussi, que deux étages. Rideaux écartés, croisée ouverte, un grand ciel parut, d'un bleu clair où couraient, poussés par la brise du nord-est, de légers nuages blancs. »

 A peine entré dans la pièce, nous voilà passé par la fenêtre !

 L'auteur est souvent coupable de telles dérives en début de volume, ou au moment de décrire une ambiance neuve, quand, ne sachant par où commencer, il surprend une attitude ou s'attaque à un objet, il en rappelle la fonction, son rôle dans la société, et en vient à peindre une foule d'annotations sans rapport avec le sujet, grand écart qu'il ne peut réduire qu'en revenant progressivement, par connexions successives, au point de départ. C'est aussi épuisant qu'une conversation qui tire sur chaque fil apparent pour changer de direction. C'est, en tout état de cause, une manière de meubler quand on ne sait quelle description insérer.

 D'ailleurs, Goscinny s'en sert, de façon caricaturale, dans un chapitre de La Potachologie, où, brodant sur la leçon qu'il ne sait pas, l'élève saute sur chaque mot éveillant un souvenir pour embrayer, au hasard, sur les bribes d'histoire ou de géographie qui lui restent.

 Les juxtapositions et les digressions dans les descriptions peuvent être interprétés comme un défaut de visualisation, le récit étant entièrement cérébral, ou comme un défaut de maîtrise dans la présentation des éléments : soit l'auteur ne sait pas lesquels traiter en priorité, dans la peinture d'une rue animée par exemple, soit son esprit bouillonnant tient à tout exposer en une fois chaque fois qu'un thème se pointe. Par exemple, lors d'un résumé rapide de la situation géopolitique de l'Afghanistan, où on a vite fait de se prendre les pieds dans les Bush et d'évoquer la guerre froide, la baie des cochons et la Lune de Cuba, on s'éloigne vers le co,nflit avec les Russes et on est paumé : comment voulez-vous revenir à Ben Laden après ça ? Moi, je changerais de sujet à sa place, ou je négocierais avec Dantec pour qu'il le traite.
 Le danger auquel est exposé le texte est la dispersion ou le recouvrement du sujet par des thèmes parasites. Il en résulte l'atomisation de l'intrigue en plein vol ou un byzantinisme qui laisse perplexe le lecteur.

 La juxtaposition volontaire, dans le cadre de la description, est un art difficile, car il nécessite de lui donner un sens là, où, en apparence, il n'y en a pas. C'est néanmoins possible : quand, dans Le Monde, enfin, la version publiée dans l'anthologie Utopies 75 chez Laffont, Jean-Pierre Andrevon montre la nature revenue à la vie par une juxtaposition exubérante de micro-événements. À ce foisonnement du renouveau il oppose encore les logos et les marques de l'ancien monde, simples signalétiques vidées de leur essence :
 « Mitsubishi. L'abeille Xylocope vrombit à la verticale du calice de la pivoine arborescente. Eastman Kodak. Le lièvre sort la tête de l'orifice de son terrier, ses oreilles indiquent neuf heures quinze mais il se trompe sûrement. I.T.T. Le courlis cendré pointe son long bec vers le sol, saisit avec dignité, presque avec affectation, un vermisseau qui arpentait la terre entre ses pattes. Royal Dutch. La musaraigne hume les odeurs de l'herbe, ses cinq petits trottinent derrière elle, le pre­mier accroché à sa queue avec ses dents, les suivants à la queue de celui qui précède. L'abeille plonge la tête la première dans l'enivrante douceur carminée de la pivoine. Le monde est à elle. Le lièvre pousse son corps gris-brun hors du terrier, il s'est assuré qu'aucun rapace ne rôdait dans l'azur du ciel. Le monde est à lui. »

 Mais il devient évident, après coup, qu'un ordre souterrain régit cet apparent chaos, l'opposition bien marquée entre le monde industriel et naturel en est la preuve la plus immédiate. Et c'est bien cet ordre qui constitue la charpente du texte.
 Les défauts pointés, les astuces pour y remédier semblent s'esquisser d'elles-mêmes. Il est temps de les passer en revue.
 
DE LA CLARTÉ AVANT TOUTE GNOSE

 La description sert à comprendre l'action. Elle doit avant tout être claire.
 Dans un premier temps, elle va à l'essentiel. On a déjà noté que les éléments familiers n'ont pas à apparaître, sauf s'il y a une raison interne au récit. La description doit être simple, ce qui ne signifie pas qu'elle doit être platement écrite. On distinguera les descriptions générales, qui plantent un décor ou une ambiance et peuvent être plus littéraires ou poétiques, à celles à usage immédiatement utilitaires, qui ont besoin d'être simples, concises et claires.
 Quand un paragraphe semble partir dans plusieurs directions, mieux vaut trier les éléments qui la composent :
 – ceux dont la présence est trop évidente pour être ignorés, même sans incidence sur l'action,
 – ceux qui sont nécessaires à la compréhension immédiate de l'action,
 – ceux qui auront une importance dans la suite du récit.
 Par exemple, on ne doit pas apprendre après cinq chapitres que la ville est recouverte de neige depuis des mois, que le héros a une taille ridicule, que la fenêtre du salon donne sur le local à poubelles de l'usine d'en face, condamnant son ouverture même au plus fort de l'été ; ces éléments sont visibles quelle que soit l'intrigue et doivent être posés comme un préalable. La compréhension immédiate nécessite de détailler l'ordonnancement des lieux pour que les positions de chaque protagoniste soient identifiées, le héros près d'un rideau séparant le salon de la cuisine, menacé par le pistolet du méchant en face, dos à la fenêtre. Enfin, si un élément doit avoir une importance par la suite, comme le frigo bourré de TNT derrière le rideau, il faut le mentionner avant le moment fatidique. 

 Les détails annexes comme la nature de l'activité de l'usine, la persistance de la neige pour la saison, et l'usage que font les paysans, en général, des explosifs, sont à bannir ou à reléguer plus loin dans le récit, là où ce sera nécessaire. Il faut éviter le bric-à-brac.
 Pour vous y retrouver, quand le démon de l'écriture vous a emporté trop loin, il est utile de disséquer le paragraphe en tronçons exposant chacun une idée différente. On repère ainsi plus facilement le rôle et donc l'utilité d'une phrase, voire d'un membre de phrase, ce qui permet de rayer le superflu ou de déplacer des blocs de texte pour les ré-assembler en un tout cohérent. Bref, il s'agit de ranger, selon un ordre logique ou chronologique, en tout cas, selon celui qui est le plus utile à la narration. Une fois identifié un morceau de description d'ordre spatial au milieu d'un inventaire d'objets, et des indications de couleur et de texture du rideau au moment où le méchant pointe l'arme en direction du héros, ce qui n'est pas exactement le moment opportun pour s'intéresser à la déco du lieu, même si elle est à gerber, on se rend vite compte où déplacer ces éléments mal disposés et lesquels écarter. Essayez quand vous ne savez plus par quel bout attraper votre scène : c'est très pratique !

 Souvent, c'est pour éviter de s'appesantir sur une description qu'on décide de la limiter à une phrase, voire deux, ce qui a tendance à allonger celles-ci à mesure que des indications secondaires la compliquent. Parfois, le début et la fin deviennent même contradictoires. Couper son texte en phrases courtes est aussi un bon moyen pour effectuer un tri et regrouper ce qui va de pair.
 
ENTRE PLATITUDE ET BOURSOUFLURE

 Reste à savoir comment décrire ce qui reste. Et avec quel degré dans le détail ?
 On a déjà vu que l'enfantine et très scolaire description intégrale d'un personnage, cheveux, yeux, dents, bouche, menton et tout ce qui se trouve en dessous, est à proscrire. D'ailleurs, faut-il commencer par le crâne et descendre jusqu'aux talons ou remonter à partir des chaussettes ? Le ridicule d'une telle méthode rappelle que l'usage ne retient que les éléments remarquables du personnage. N'importe quel homme vous le dira, et c'est d'ailleurs une source d'hilarité intarissable chez les auditrices, ce qu'il observe en premier lieu chez une femme, c'est son visage. On notera une propension plus marquée chez les femmes pour les détails vestimentaires. Cela est encore plus vrai en fantasy où l'exotisme de rigueur passe en grande partie dans les costumes d'apparat et les colifichets du pouvoir. Au dixième prélat, on en a sa claque. L'auteur comprend vite alors que, tout le monde ayant plus ou moins la même apparence, il n'est pas nécessaire de spécifier l'emplacement ni la taille de chaque organe, sauf cas anatomique particulier. Comme celui du héros. Oui, de l'héroïne aussi. Inutile de citer des passages, vous en trouverez sans peine.

 Décrire, c'est choisir. Et donc retenir ce qui mérite de l'être. D'accord. Mais quand tout, dans le paysage, est ordinaire ? Il faut surtout éviter de traiter les sujets généraux avec des clichés et des lieux communs. Ça vous plombe une ambiance. Inutile de s'enliser si le spectacle de l'océan n'inspire rien. La mer, c'est vague de toute façon. Quand le cas de la banalité se présente, autant ne pas s'attarder au lieu de s'appuyer sur des antécédents passés dans le langage courant. Dans ce cas, la description de la banalité devient simple notation, nécessaire et suffisante.

 D'ailleurs, s'attarder serait même suspect, comme si on laissait entendre qu'il y a là plus à voir que ce qui est montré.

 À l'opposé, le danger est grand de chercher l'originalité à tout prix, au risque de manquer sa cible avec des boursouflures qui compliquent les images à l'excès. Mieux vaut se méfier des métaphores et des périphrases qui expriment une idée simple en des termes outranciers, ce qui passe tout de suite pour de l'affectation. Les effets forcés se remarquent immanquablement car ils s'insèrent dans une trame qui ne leur convient pas ; les préciosités empruntées à d'autres trahissent l'imitateur incapable de tenir partout le même niveau. Quant aux facilités dont il use à loisir, il lui faut les renouveler avant qu'elles ne deviennent des tics, des gaufriers disait-on jadis, des formules qui signalent moins l'aisance d'écriture que la paresse. Balzac écrivait déjà à propos d'Eugène Sue : « La forme que M. Sue a trouvée une fois est comme le moule qui sert à une cuisinière pour toutes ses crèmes. » Et comme chacun sait, dès qu'il surprend un auteur se laisser aller à des procédés, le lecteur est très procédurier.

  Le critique Pierre Lasserre, qui se distingua au début du siècle dernier par une dénonciation du romantisme, écrivait : « Je refuse ma sympathie intellectuelle et mon admiration aux écrivains dont la forme n'est pas originale ; mais je voue mon exécration à ceux qui sont préoccupés de leur originalité. Ceux-là surtout la ratent, et nous n'avons à en espérer que des grimaces laborieuses. »

 Il ne faut pas chercher à dire bien mais à dire simplement. L'absence de style n'est pas forcément un style, mais il évite bien des boursouflures.
 
D'ailleurs, se contenter de décrire ce que l'on voit, à condition de ne pas surcharger, n'est pas de la reproduction mécanique, car l'œil qui regarde est unique et sélectionne les détails qui lui parlent. Il particularise forcément la scène et l'interprète à sa façon. Une tempête, une canicule ne sont pas des génériques, et assurément pas des généralités. Il est possible d'en parler de façon originale en les considérant comme des événements particuliers. Voici ce que Flaubert apprit à Maupassant, raconté par ce dernier qui fut son élève : « Si l'on a une originalité, disait-il, il faut avant tout la dégager ; si l'on n'en a pas, il faut en acquérir une.» Ayant posé cette vérité qu'il n'y a pas, de par le monde entier, deux grains de sable, deux mouches, deux mains ou deux nez absolument pareils, il me forçait à exprimer en quelques phrases un être ou un objet, de manière à le particulariser nettement, à le distinguer de tous les autres objets de même race ou de même espèce. « Quand vous passez, me disait-il, devant un épicier assis sur sa porte, devant un concierge qui fume sa pipe, devant une station de fiacres, montrez-moi cet épicier et ce concierge, leur pose, toute leur apparence physique, contenant aussi, indiquée par l'adresse de l'image, toute leur nature morale, de façon à ce que je ne les confonde avec aucun autre épicier, ou avec aucun autre concierge, et faites-moi voir par un seul mot en quoi un cheval de fiacre ne ressemble pas aux cinquante autres qui le suivent et le précèdent. »

 L'originalité de l'image ne souffre pas de la simplicité de la phrase du moment que la pertinence est au rendez-vous. Un détail parlant suffit à évoquer tout un monde et la force de l'auteur réside davantage dans la sélection que dans une peinture exhaustive. On se rend compte, à cette occasion, que le détail pertinent n'est pas de ceux qui viennent immédiatement à l'esprit et qu'on peut passer plus de temps à le trouver qu'à décrire la scène ou le décor par le menu. Ceux qui ont l'esprit sarcastique ou frondeur y parviennent mieux que d'autres : quand on cherche à blesser, on sait où frapper. Là où se trouve la faille, l'ensemble est résumé. C'est l'art de la caricature, qui exagère et déforme les traits distinctifs. Leur mise en évidence la rend perceptible au lecteur. Quand l'œil sera exercé, on pourra abandonner la charge au profit de l'esquisse : en elle se concentre l'essentiel, ce qui fait la force d'un trait. On pourrait appliquer à la description le conseil de Voltaire à Helvetius au sujet de la composition d'une épître : « leur effet dépend de la grandeur, de l'éclat et de la manière neuve de voir un objet, et d'y faire remarquer ce que l'œil inattentif n'y voit pas. » Finalement, observer une image à la loupe ne consiste pas à agrandir chaque détail mais à focaliser les rayons en un point décisif.

 Si vous ne parvenez pas d'emblée à trouver la bonne approche descriptive, voici un truc : laissez-vous aller à une peinture minutieuse et rayez ensuite ce qui paraît de trop, ou banal, ou anodin. Sculptez par retrait, comme un marbre, plutôt que par ajouts. Ce qui restera aura de la force.

 Résumons-nous :
 Rien ne vaut la brièveté, car une image vite jetée n'a pas le temps de s'affadir.
 Rien ne vaut la simplicité car elle a la force de l'évidence. « Vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige ; dites : "Il pleut, il neige". » Cela a été dit il y a plus de trois siècles par La Bruyère, dans ses Caractères et cela reste d'actualité. Il ajoute même : «Est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? » Que le soleil aille donc darder autre chose que ses rayons et qu'on ravaude cette couverture nocturne trouée d'étoiles !
 
 Une dernière remarque : ces trucs et astuces concernent le plus souvent des descriptions directes, celles-là même qui peuvent agacer car elles marquent une interruption dans l'action. L'approche indirecte les lie davantage à l'intrigue et les rend pratiquement invisibles, de sorte qu'elles passent beaucoup mieux, platitudes comprises. Elles y gagnent également sur un autre point, qui n'a pas été évoqué ici : l'effet de réel. Intégrées à l'action, elles échappent au statut de carte postale et se fondent dans le décor, ce qui est leur but, afin que chaque scène ait le grain du réel et l'apparence du vécu.

 

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